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La dérive des suppléments d’honoraires à l’hôpital

La dérive des suppléments d’honoraires à l’hôpital © M. Cornélis

Les résultats de notre 11e baromètre hospitalier sont inquiétants. Les suppléments facturés en chambre individuelle s’envolent. Les hôpitaux augmentent leur offre de chambres particulières et certains mettent la pression sur les patients pour y séjourner. Nous craignons que les soins hospitaliers soient de plus en plus privatisés. Pour éviter une stratification sociale des hôpitaux, des mesures de régulation sont nécessaires. 


Depuis 2003, la Mutualité chrétienne (MC) publie chaque année l’évolution des montants moyens facturés à ses membres hospitalisés au cours d’une année. À chaque édition, tous les hôpitaux sont informés des résultats et ont la possibilité de réagir. Ces analyses rigoureuses et les recommandations formulées par la MC ont donné lieu à des mesures pour mieux protéger les patients hospitalisés en chambre commune ou à deux lits : suppression des suppléments de chambre, interdiction des suppléments d'honoraires y compris en hospitalisation de jour, meilleure couverture des coûts du matériel médical…

Résultats : le coût moyen d'une admission en chambre double ou commune a fortement bais sé ces dernières années. Notre 11e baromètre hospitalier (basé sur 1,4 million de factures traitées en 2014) montre que ce coût se situe autour de 281 euros en moyenne et est stable depuis deux ans. Hélas, il n'en va pas de même pour les séjours en chambre individuelle...

En chambre à un lit, les suppléments s’envolent

En chambre individuelle, le coût moyen par admission atteint 1.461 euros. C'est cinq fois plus qu’en chambre à deux lits ! Ce coût a augmenté de 5 % alors que l’inflation n’était que de 0,4 % en 2014. C’est la plus forte augmentation depuis que la MC publie son baromètre hospitalier. Cette hausse est due principalement par la hausse des suppléments d’honoraires (+ 6,3 %) et des suppléments de chambre. Et, on note une augmentation encore plus forte des suppléments pour les actes techniques comme la radiologie ou la biologie clinique, des actes réalisés par des prestataires que le patient n'a pas vu ni choisi.

Vers une privatisation insidieuse ?

En additionnant les suppléments d'honoraires, les suppléments de chambre, le matériel médical, les médicaments non remboursés et les tickets modérateurs, c'est 1,2 milliard d’euros que les patients paient de leur poche dans les hôpitaux généraux. Ce montant représente 10 % des rentrées financières des hôpitaux!

Et cette spirale inflatoire des suppléments se poursuivra certainement dans les années à venir. D’une part, en 2015, de nombreux hôpitaux ont décidé d’augmenter encore le pourcentage maximal de suppléments d'honoraires pouvant être portés en compte aux patients en chambre particulière. Certains passent ainsi de 100 % à 200 ou 300 %, voire même à 400 % ! D’autre part, dans leurs projets de construction et/ou de rénovation, les établissements hospitaliers étendent leur offre de chambres individuelles. Certains prévoient jusqu'à 50 %, voire même 80 % de chambres à un lit, réduisant dans le même temps l'offre de chambres à deux lits.

En considérant ces deux évolutions, dans cinq ans, le coût total à charge des patients hospitalisés augmentera de 500 millions d'euros ! Les perspectives sont inquiétantes. Le coût des séjours en chambre individuelle deviendra intenable pour les assurances hospitalisation et trop cher pour les patients non assurés de manière complémentaire. Les hôpitaux situés dans des zones "prospères" pourront facturer davantage de suppléments et bénéficieront dès lors de plus de moyens pour financer un équipement médical de qualité et mieux rémunérer les médecins.

Que financent ces suppléments ?

Le système des suppléments d’honoraires liés au type de chambre n’est-il pas dépassé ? D'après une récente enquête menée par la MC auprès de ses membres, trois quarts de la population demande à être soignée en chambre à un lit. Dans les pays qui nous entourent, les nouveaux hôpitaux ne disposent souvent plus que de chambres individuelles (sans système de suppléments d'honoraires).

C’est une évolution de société dont il faut tenir compte. Mais le système des suppléments d’honoraires n'est pas transparent. Personne ne sait exactement quelles parts de ces suppléments rémunèrent les médecins et financent l’hôpital. Les accords en la matière diffèrent d’un établissement à l’autre. Les rémunérations entre les spécialités médicales sont aussi très variables et les résultats financiers des hôpitaux ne sont pas nécessairement liés à la hauteur des suppléments.

Pour maintenir un système de soins solidaire, accessible à tous, la MC propose de réguler la pratique des suppléments d’honoraires, soit en plafonnant ceux-ci à maximum 100 %, soit en fixant un forfait par pathologie. Par ailleurs, comme la loi le prévoit, avant leur admission, les patients devraient obtenir une estimation du coût total de l’hospitalisation à leur charge. Cette pratique est déjà d’application dans une dizaine d’hôpitaux.

Autre recommandation : les suppléments d’honoraires devraient être interdits sur les prestations techniques et la réanimation. Enfin, à terme, dans le cadre du nouveau mode de financement des hôpitaux annoncé par la Ministre fédérale de la Santé, il faudra revoir fondamentalement le mécanisme des suppléments d’honoraires lié au type de chambre.

La dérive des suppléments d’honoraires en chambre individuelle nous entraîne insidieusement vers une médecine duale, sans aucune maîtrise des coûts. Les factures s’envolent. Le système est intenable. À terme, il devra être fondamentalement revu. En attendant, pour préserver un accès solidaire à des soins hospitaliers de qualité pour tous, il faut réguler la pratique des suppléments d’honoraires.