Soins de santé

Médibus : soigner les oubliés de la rue

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L'équipe de volontaires du Médibus en train de débriefer la journée. (c)Caroline Thirion
L'équipe de volontaires du Médibus en train de débriefer la journée. (c)Caroline Thirion
Soraya Soussi

Soraya Soussi

Un chapeau de velours noir. Des bagues à chaque doigt. Deux vestes noires enfilées l'une au-dessus de l'autre "parce qu'il fait beau mais c'est quand même la Belgique". César, sexagénaire saint-gillois, se rend depuis 10 ans aux rendez-vous du Médibus. Une camionnette transformée en cabinet médical, mais pas seulement! Le véhicule s'arrête tous les mercredis et jeudis à Bruxelles, près des gares ou stations de métro. Depuis février, le bus médical a coupé le moteur Porte de Hal. Objectif du projet : prodiguer des soins paramédicaux aux exclus des systèmes de santé comme les personnes sans-abri, mal logées, en grande précarité... Et plus largement, les informer de leurs droits, les aider à trouver un hébergement et les orienter vers des structures et services qui peuvent répondre à leurs besoins.

Renouer la relation de confiance

"Gaufres, café, thé, touillettes, sucre… c'est bon, on a tout", vérifie Martine, volontaire chez Médecins du Monde (MDM). Infirmière de formation, elle a dû arrêter le métier pour des raisons de santé. Depuis 10 mois, Martine ne rate jamais les jours du Médibus. "Cela me fait du bien de venir aider et discuter avec les gens et ça leur fait également du bien", lance-t-elle en souriant aux personnes autour d'elle, café et gaufre en main.

Aujourd'hui, César n'a pas vraiment besoin de soins. Il vient juste boire un thé et échanger avec les personnes présentes. "Je suis seul chez moi. Ici, on papote avec les gens. J'en connais déjà certains et en rencontre d'autres. L'équipe de volontaires est sympa. Il y a une bonne ambiance." Les "habitués" se rendent facilement dans la camionnette pour soigner un léger mal. Un homme au dos vouté s’approche timidement de la table des boissons chaudes. Tout le monde se salue. "Une discussion permet d'approcher la question des soins, développe Anitha Kangana, coordinatrice du projet Médibus à Bruxelles. Les personnes que nous rencontrons ont souvent eu de mauvaises expériences avec le corps médical. Ou ne sont pas en ordre administratif. Elles ont perdu confiance envers les services de santé. Le projet Médibus tente de recréer du lien et de faire des ponts entre les personnes et ces services."

Des soins qui en disent long

L'équipe se sépare en deux. La première reste sur place, l'autre part en maraude dans les alentours, direction la station de métro Porte de Hal. "On va vous montrer les passages et endroits secrets de la station. Là où on retrouve les 'consommateurs'", confie Marie, une volontaire qui connait bien le quartier et les bénéficiaires habitués du Médibus. Le début de cette tournée est calme. Peu de gens sont présents dans les "lieux secrets de la Stib", qui finance d'ailleurs, en partie, le projet. Finalement, l’équipe découvre une dame assise à terre dans un coin peu visible de la station. Elle est blessée à la jambe et ne peut se lever. Les volontaires proposent de lui apporter à boire et à manger et reviendront pour lui trouver un hébergement.

Dans l'équipe du Médibus, il n’y a aucun médecin. Les professionnels sont des infirmiers et infirmières volontaires. Les consultations sont gratuites mais aucun médicament nécessitant une prescription n'est donné, pour des raisons de sécurité. Dans la rue, tout se "deale". Généralement, les soignants traitent des problèmes dentaires et dermatologiques, comme des plaies, des abcès, des ulcères ou la gale. Soigner ces pathologies en dit long sur les conditions de vie et d'hygiène de la patientèle et les conséquences sur leur santé. Des kits d'hygiène et du matériel pour les menstruations sont également distribués.

Les crises successives ont appauvri la population et ont allongé la liste des publics précarisés en matière de santé. "Avant le Covid, nous accueillions principalement les personnes sans-abri, migrantes, des usagers et usagères de drogues. Mais aujourd'hui, non seulement ces publics sont plus présents, mais des personnes qui n'étaient pas dans la précarité extrême viennent également nous voir", déplore Anitha Kangana. Fautes de revenus suffisants, de plus en plus de personnes doivent choisir entre se soigner ou remplir leur assiette, regrette la coordinatrice.

Travail en réseau

Les bénéficiaires défilent. Un homme au teint hâlé, cheveux noirs et bouclés, les dents abîmées par la drogue, s'approche en boitant, chargé d'un grand sac de voyage sur le dos. Il entre discrètement dans la camionnette, de l'autre côté du rideau pour y prendre du "matériel de consommation". Médibus a développé un pôle "prévention", avec l’association bruxelloise Dune comme principale partenaire. Cette asbl accueille et accompagne les personnes sujettes aux addictions. "Ils mettent à disposition du matériel d'injection et d'inhalation stérile pour les usagers et usagères de drogues afin de réduire les risques d'infection. Nous les accueillons sans qu'ils se sentent stigmatisés, c'est aussi notre mission", précise Anitha Kangana, coordinatrice du Médibus à Bruxelles.

Marc, infirmier retraité et volontaire au Médibus, sort quelques minutes de la camionnette pour prendre l'air. "Un monsieur vient de passer pour des douleurs intestinales. Je pense que c'est un ulcère. Ce qui ne serait d'ailleurs pas étonnant. Il m'a expliqué qu'il était sans papiers, que sa demande d'asile n'avait pas été acceptée. Il est très angoissé pour la suite… confie-t-il l'air désolé. Nous l'avons orienté vers notre hub humanitaire où des médecins accueillent les patients plus fragilisés."

Médecins du Monde développe en effet divers projets d'accompagnement et services de soins de santé. Les équipes du Médibus ont l'opportunité d'orienter les personnes vers leurs collègues médecins, psychologues, assistants sociaux, etc. pour suivre la situation de ces personnes. Un projet qui travaille également avec un large réseau de structures associatives d'aides alimentaires, d'espaces pour se laver comme Douche Flux, etc. à Bruxelles et depuis quelques années, dans le Hainaut.

César en est à son cinquième thé. Il est resté toute l'après-midi avec l'équipe et les bénéficiaires. Tout sourire, il les salue avant de repartir, satisfait de sa journée. Les volontaires remballent tout avant le débriefing de clôture : neuf consultations, dont six personnes ont été réorientées vers le hub humanitaire et quatre ont reçu des kits de matériel de consommation. Les données sont enregistrées. Elles serviront à objectiver la situation sanitaire des personnes les plus précaires.

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