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Non à la médecine duale

Non à la médecine duale © M. Cornélis

À la suite du reportage diffusé par Questions à la Une sur le "business des médecins", nous dénonçons la privatisation des soins et la médecine duale qui s'installent insidieusement, une pour les riches, une pour les pauvres. Notre système de soins de santé est financé en grande partie par les moyens collectifs. Il ne peut être détourné à des fins privées ou commerciales.


Les témoignages recueillis lors du reportage diffusé le mercredi 17 février dernier par la RTBF illustrent de manière éloquente les dérives d'un système de soins où l'argent prime sur la santé, tant en hospitalisation qu'en soins ambulatoires. Quelques exemples :

  • Un médecin n'opère qu'en chambre individuelle pour pouvoir facturer au patient des suppléments d'honoraires élevés.
  • Pour être reçu plus rapidement par un spécialiste en consultation, le patient est invité à payer un tarif "coupe-file" deux fois plus élevé que le tarif officiel. - Un médecin oriente son patient vers une assurance hospitalisation où il pourra facturer un maximum de suppléments d'honoraires.
  • Certains établissements hospitaliers ne mettent pas à la disposition des patients les informations sur les coûts d'hospitalisation avant leur admission alors que la loi les y oblige.

Ces pratiques, même limitées, sont intolérables. Elles sont contraires au code de déontologie médicale dont l’article 5 précise que "le médecin doit soigner avec la même conscience tous ses malades, quels que soient leur situation sociale, leur nationalité, leurs convictions, leur réputation et les sentiments qu'il éprouve à leur égard". Nous demandons à l'Ordre des médecins de dénoncer ces pratiques.

Des constats alarmants… mais pas neufs

En novembre dernier, lors de la présentation de son 11e baromètre hospitalier, la Mutualité chrétienne avait déjà tiré – une Xe fois – la sonnette d'alarme sur les risques d'une médecine à deux vitesses dans les hôpitaux. Pour rappel, en raison des suppléments de chambre et d'honoraires, une hospitalisation classique en chambre individuelle avec nuitée(s) coûte cinq fois plus cher qu’en chambre double ou commune. Et la facture à charge du patient ne cesse de grimper.

La pratique des suppléments d'honoraires élevés concerne tant les hôpitaux privés que les hôpitaux publics. Les dirigeants d'hôpitaux, les conseils d'administration qui ont approuvé ces pratiques sont en fait mis au pied du mur devant les exigences financières de certains médecins spécialistes. On assiste à une véritable surenchère entre établissements hospitaliers.

Une spirale intenable

La spirale sans limite des suppléments d'honoraires n'est tenable financièrement ni pour les patients, ni pour les assureurs (mutualistes et commerciaux) dont les primes s'envolent pour faire face au coût exponentiel. Le gouvernement fédéral précédent (Di Rupo) avait interdit les suppléments d'honoraires en chambres communes et à deux lits.

Nous demandons au gouvernement Michel d’aller plus loin : dans un premier temps, limiter à 100% les suppléments d'honoraires en chambre individuelle mais à terme les supprimer totalement. C'est une question de volonté politique, pas de moyens financiers. Il est nécessaire de réguler un système qui est financé par la collectivité.

Équilibrer les comptes des hôpitaux ? Des médecins mal payés ?

Les gestionnaires d'hôpitaux justifient la pratique des suppléments d'honoraires par la nécessité d'équilibrer les comptes de l'hôpital en raison d'un sous-financement chronique par les pouvoirs publics. Si c'est le cas, il faudrait plus de transparence pour le confirmer. Personne ne peut dire aujourd'hui quelle part des suppléments d'honoraires alimente les recettes de l'hôpital et laquelle rémunère les médecins. Les pratiques sont différentes selon les hôpitaux et parfois même par pôle dans un même hôpital.

Quoi qu'il en soit, il est interpellant de constater que certains établissements sont à l’équilibre avec des suppléments d'honoraires à 100% tandis que d'autres facturent 300% et n'atteignent pas cet équilibre.

Une étude du Centre fédéral d'expertise en soins de santé (KCE), publiée en 2012 (1), met en lumière l'énorme écart de rémunérations entre les spécialités médicales. Ainsi, par exemple, en moyenne ; un neurologue perçoit un revenu brut annuel de 143.000 euros tandis que le néphrologue perçoit 636.000 euros et ce, après rétrocession à l’hôpital d'une partie des honoraires. On sait par ailleurs que les médecins spécialistes belges sont parmi les mieux rémunérés d'Europe.

Un autre mode de financement

Pour la MC, le système actuel de financement des hôpitaux doit évoluer rapidement. Les établissements hospitaliers sont actuellement financés à l’acte et donc en fonction des montants facturés. Ce système engendre une inflation naturelle des prestations. Le reportage de Questions à la Une l'a démontré en prenant l'exemple de la multiplication des examens radiologiques, pourtant néfastes pour la santé. Chaque hôpital tente ainsi de s’arroger une part du budget global (défini et fixe), la plus importante possible pour se financer, au détriment des autres.

La dérive des suppléments d’honoraires nous entraîne tout droit vers la médecine duale. Inacceptable ! Les moyens collectifs sont suffisants pour garantir le financement des hôpitaux et accorder des rémunérations correctes aux spécialistes. C’est une question de transparence, de régulation et de volonté politique. Les membres de la MC peuvent compter sur leur mutualité pour promouvoir cette équation et pour les défendre lorsqu'ils sont confrontés à des pratiques abusives.