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Garantir l'accès à certaines consultations par la gratuité, une illusion

Garantir l'accès à certaines consultations par la gratuité, une illusion © M. Detiffe

Le coût des soins à charge des patients est un vrai problème. Rendre les soins accessibles à tous est une priorité essentielle ! Mais rembourser les tickets modérateurs pour les consultations des médecins généralistes et des gynécologues, comme proposé par certaines mutualités, n’est pas la bonne solution. La Mutualité chrétienne (MC) défend d’autres choix pour l’accès aux soins, en concordance avec une politique de santé cohérente.


Avec comme argument l’accès aux soins, certaines mutualités ont décidé de rembourser, pour les consultations des médecins généralistes et des gynécologues, les tickets modérateurs. Rappelons-le, ceux-ci représentent  la part qui reste à charge du patient après le remboursement par l'assurance soins de santé.

Drôle d'idée. Car, à y réfléchir, quel est réellement le poids de ces tickets modérateurs ? Sont-ils vraiment une barrière à l’accès aux soins ? Cette gratuité ne va-t-elle pas déresponsabiliser et entraîner une certaine surconsommation ? Présenter comme une grande avancée sociale, ce remboursement "intégral" des quelques euros des tickets modérateurs n’est en fait qu’une illusion. Ce que les patients craignent, ce sont les grosses factures de soins. Or les coûts importants ne sont pas assez couverts par les remboursements et les patients courent encore de gros risques financiers.

La réalité des problèmes d’accès aux soins

La MC dénonce depuis des années le coût des soins à charge des patients en Belgique :  il s'élève à 9 milliards d'euros, soit 800 euros par an par personne ! Ce montant comptabilise les tickets modérateurs mais aussi – et surtout -les suppléments d'honoraires, les prestations non remboursées et les médicaments non remboursés.

Ce coût est particulièrement élevé pour les malades chroniques, les personnes âgées dépendantes, les invalides… Les tickets modérateurs payés par les patients pour les consultations chez les médecins généralistes ne représentent qu’une part infime du coût à charge des patients :137 millions d'euros sur les 9 milliards. D'ailleurs, la consultation coûte seulement 1 ou 1,50 euro aux personnes à faibles revenus. Appelées Bim dans le jargon pour bénéficiaires de l'intervention majorée, deux millions de personnes bénéficient de ce tarif et ne doivent d'ailleurs pas avancer l'honoraire à leur médecin, celui-ci se faisant directement payer par la mutualité.

Pour les autres patients, le ticket modérateur de la consultation coûte entre 4 et 6 euros. Quand on sait qu’en moyenne le Belge consulte trois à quatre fois par an le médecin généraliste, on ne peut pas vraiment affirmer que ce coût constitue une barrière financière. Le vrai problème pour les patients, surtout dans certaines régions, ne constitue-t-il pas plutôt de pouvoir trouver un médecin généraliste ou d'obtenir un rendez-vous, tant la pénurie commence à se faire sentir ?

Par contre, d’autres soins sont vraiment très coûteux et problématiques pour les patients : les médicaments (2 milliards d'euros à charge des patients), les soins hospitaliers, les frais d’ambulance, les soins dentaires (800 millions à charge des patients), l’orthodontie, les lunettes, les appareils auditifs… Et si certains patients renoncent à consulter le médecin généraliste, c’est plus en raison du coût de certains médicaments prescrits que du prix de la consultation.

Rappelons également que si le médecin n’est pas conventionné, la part à charge du patient dépasse alors – parfois de beaucoup - le ticket modérateur officiel. Or, 15 % des généralistes et 50% des gynécologues pratiquent hors convention. Dans ces cas de figure, affirmer que la consultation est intégralement remboursée n'est pas correct. 

Les risques de la gratuité

Lorsqu’un service ou un bien est gratuit, on pourrait avoir tendance à le consommer plus que nécessaire. La gratuité peut également entraîner une dévalorisation de la prestation ou du métier : "ce qui est gratuit a moins de valeur". Il est vrai que certaines prestations sont entièrement remboursées par l'assurance soins de santé. Mais lorsque cela concerne la population de manière générale, l'intention est de promouvoir de bonnes pratiques (comme le dépistage de certains maladies ou encore le fait de confier son dossier médical global à son généraliste) et d'instaurer de bonnes habitudes dès le plus jeune âge (ainsi, par exemple, la majorité des soins dentaires sont remboursés à 100% pour les moins de 18 ans).

Le gynécologue, un généraliste ?

On peut légitimement se demander pourquoi les gynécologues sont les seuls spécialistes à être concernés par la mesure décidée par les mutualités  en question. Un des arguments utilisés est de promouvoir l'égalité hommes/femmes et, en particulier, de permettre aux femmes enceintes de multiplier les consultations chez le gynécologue durant leur grossesse.

Faut-il le rappeler, le gynécologue est un médecin spécialiste et il ne doit pas devenir le médecin généraliste de la femme. Si le suivi gynécologique est indispensable durant la grossesse, on sait, par contre, qu'il génère globalement plus d'échographies que ce qui est recommandé scientifiquement en cas de grossesse sans risque particulier. Pour promouvoir le suivi des futures mamans, ces mutualités auraient été mieux inspirées de rappeler le rôle important que peuvent jouer les sages-femmes dans l'accompagnement de la grossesse et de la naissance. La toute grande majorité de leurs prestations sont intégralement remboursées par l'assurance soins de santé et plus de 90% des sages-femmes sont conventionnées !

Enfin, en remboursant les tickets modérateurs pour les consultations des  gynécologues, que ceux-ci soient conventionnés ou pas, ces mutualités confortent les praticiens qui ont fait le choix de ne pas appliquer les tarifs de la convention. La MC a pris une toute autre option : celle de négocier avec les prestataires  des revalorisations d'honoraires ciblées afin de promouvoir le conventionnement et d'accroître l'accès aux soins pour tous via l’assurance obligatoire. Non vraiment, la gratuité n’est pas un bon signal et risque de perturber un usage rationnel des services et soins de santé.

Assurer les vrais coûts problématiques

Chaque membre titulaire cotise auprès de sa mutualité pour un montant unique couvrant divers avantages et services. Notre volonté, notre raison d’être à la Mutualité chrétienne est de garantir l’accès aux soins de santé de qualité à tous. Par cette cotisation unique et solidaire personne n’est exclu ; il n’y a ni stage ni de questionnaire médical. Et c’est à vie que tous nos membres sont assurés.

Nous pouvons tous, un jour ou l’autre, être confrontés à de grosses factures : soins hospitaliers, soins dentaires, transport urgent, soins à domicile... Ce sont elles que craignent les patients et nous nous battons pour que ces coûts soient d’abord mieux couverts par l’assurance soins de santé obligatoire. Parallèlement, nous avons choisi de concentrer les moyens provenant des cotisations  de nos membres pour couvrir ces grosses factures : ce sont les avantages Hospi solidaire, Dento solidaire, le remboursement des frais de transport urgent, le remboursement des soins pour les petits, les frais de convalescence... Sans cette solution solidaire, chacun devrait faire face seul, soit en souscrivant une assurance facultative plus coûteuse, soit en puisant dans ses réserves ou pire en s’endettant.

L’accès aux soins de santé de qualité pour tous est une priorité pour la Mutualité chrétienne. Mais la solution d'une soi-disant gratuité avancée par d'autres mutualités n'est pas efficace.. Cette gratuité n'améliorera pas l'accès aux soins. Et elle risque de conduire à un usage irrationnel des soins de santé. C’est un mauvais signal. Nous défendons par contre une assurance solidaire qui couvre les vrais risques financiers, les factures de soins importantes et coûteuses.