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Fiscalité made in Belgium

Fiscalité made in Belgium © Paul Corbeel

Dans les questions fédérales en Belgique, il n'est pas rare de voir l'anglais prendre le dessus. "Tax on web", "mypension.be"… La langue de Shakespeare semble faire recette pour les communicateurs à la recherche d'une large adhésion des citoyens belges. Quand il s'agit de finances en tout cas. Sans étonnement alors, on vient de voir se répéter à l'envi l'expression anglophone : tax shift.


Encore ovni langagier voici quelques mois, la terminologie tax shift se montre indispensable pour suivre une conversation sur les débats politiques du plat pays aujourd'hui. Comme un prérequis, il est entré de manière fulgurante dans le bagage du petit Belge qui entend participer à sa Cité. Pourtant le vocable tax shift reste bien nébuleux, en particulier en dehors des cénacles d'experts. Mais, plus encore. Car il ne semble pas être doté d'une définition univoque, pour ceux-là mêmes qui font usage de la formule, la débattent, la défendent.

Une formulation, plusieurs traductions

Par tax shift, entendez, dans la langue de Voltaire ou de Molière, "déplacement d'impôt", "réorientation fiscale". Dans le cas de figure actuel, il s'agissait d'opérer "un glissement de la fiscalité et de la parafiscalité (cotisations sociales payées par les travailleurs et les employeurs) sur le travail vers d'autres sources de rentrées fiscales" (1). Annoncé par le gouvernement pour le mois de janvier 2015, puis pour le contrôle budgétaire du printemps, le tax shift version gouvernement Michel 1er vient de voir le jour. Le gouvernement aux portes des vacances a annoncé qu'il projetait de réduire les cotisations patronales de 33 à 25% et d'augmenter le salaire des travailleurs à bas et moyens revenus de 100 euros par mois, à partir de 2016. Plusieurs sources de financement sont identifiées par le gouvernement pour ce faire : l'État par une opération de rationalisation de son fonctionnement, qualifiée de "redesign"; le consommateur par l'augmentation de certaines accises sur l'alcool, le tabac, le diesel, ou une nouvelle taxe sur les boissons sucrées, ainsi que le retour à une TVA de 21% sur l'électricité; et puis un peu des revenus mobiliers en relevant le précompte de 25 à 27% ou encore de la lutte contre la fraude fiscale via le renforcement des contrôles… À cela, viennent s'ajouter des mesures, pourtant conséquentes, que le gouvernement préfère sans doute ne pas rappeler : économies en soins de santé et en sécurité sociale de manière générale.

Attentes déçues et alarmées

"Tax pschitt", disent certains politiques de l'opposition, inspirés peut-être par les augures au printemps d'un économiste de renom (2). "Ceci n'est pas un tax shift", réagit également le Mouvement ouvrier chrétien. Aux aguets, le MOC venait de s'enquérir du "tax shift promis". Dix jours avant l'accord, il réclamait avec son homologue flamand (Beweging.net) et toutes leurs organisations constitutives dont la MC, ce glissement fiscal. Leurs souhaits : un système plus juste, plus équitable, qui favorise également l'emploi, sans économiser davantage sur les fonctions collectives. Une sortie qui se voulait un signal fort : cela doit faire une quinzaine d'années que ces organisations n'ont plus pris la parole toutes ensemble. Aujourd'hui, ces maigres espoirs sont déçus. "Pour l'essentiel, c'est le budget de la sécurité sociale qui est mis à contribution, via une diminution non conditionnée des cotisations sociales patronales, estime le président du MOC, Christian Kunsch. C'est le pouvoir d'achat des travailleurs et des allocataires sociaux qui est encore une fois mis à mal via l'augmentation des accises et de la TVA sur l'électricité. C'est, plus globalement, notre modèle d'État social qui se voit encore davantage fragilisé." Les observateurs voient en effet les entreprises comme les bénéficiaires à court terme de l’opération tandis que les grands perdants se trouveraient du côté des pensionnés (avec la hausse des taxes en fonction de ce qu'ils consomment, sans compensation par ailleurs), du côté aussi des personnes malades et vulnérables.

Une justice fiscale encore à construire

Des premiers commentaires, on comprend que le véritable "virage" fiscal, la réforme attendue n'est pas à l'ordre du jour. Comme l'explique Isabelle Richelle, professeur à l'ULG sur les ondes de La Première (RTBF), "pour une réelle réforme de l'impôt sur les revenus, impôts des personnes physiques et impôts des sociétés, il faudra repenser les choses d'une manière globale avec des arbitrages difficiles à réaliser sur le plan technique mais surtout sur le plan politique. (…) Le système fiscal à l'heure actuelle est extrêmement complexe. Il devient injuste. Et il est de plus en plus ressenti comme tel. C'est peut-être le moment de se dire qu'au-delà de ce qui vient d'être décidé, on s'engage sur la voie d'un travail plus en profondeur qui pourrait à terme déboucher sur une vraie réforme (…)."