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Exode sous la canicule

Exode sous la canicule © Philippe Turpin BELPRESS

Entendu le week-end dernier lors d'une fête de village: "quel printemps pourri !" Cinq jours plus tard, c'est plutôt la chaleur et le soleil qui alimentent les conversations. À l'autre bout de la planète, et même bien plus près de nous, d'autres n'ont pas ce luxe des babils convenus.


En Californie les propriétaires de terrains de golf disposent de stocks de peinture bien achalandés. Ceux-ci leur permettent de repeindre en vert les "greens" désespérément bruns, calcinés par le soleil. Fichue sécheresse, qui dure là-bas depuis quatre ans ! Maudite canicule qui force les plus résignés d'entre eux à fermer définitivement les terrains, alors que les puits se tarissent les uns après les autres.

Les conducteurs de rickshaw, les vendeurs de rues et les ouvriers du bâtiment, en Inde, se moquent de la peinture californienne. Ces deux dernières semaines, plus de 2.000 d'entre eux sont morts au travail, exténués par la sécheresse exceptionnelle qui frappe leur pays. Pas de conditionnement d'air dans leurs baraquements en tôle. Pas de droit au repos, lorsqu'il faut ramener au logis de quoi nourrir la famille. La mousson et ses promesses de fraîcheur se font attendre...

En Europe, on patiente aussi. Plus que quelques jours, et le traditionnel exode estival vers le Sud pourra reprendre. Avides de soleil et d'évasion, ses millions de bénéficiaires croiseront probablement, cachés dans la cargaison d'un camion d'autoroute ou en attente de leur "passeur" dans un port, des candidats à l'asile syriens, somaliens, libyens, érythréens rêvant d'un monde meilleur, quelque part au Nord. Étranges flux et reflux qui font penser à ces terribles images, il y a peu, de jeunes Sénégalais s'échouant à moitié morts sur les plages espagnoles des Îles Canaries, parmi les corps avachis des touristes en bronzette.

C'est un autre convoi, encore, qui prendra la route vers Paris, dans quelques semaines. Le "Climate Express" – trains, bus, vélos… – devrait emmener 10.000 Belges au grand rendez-vous des Nations-Unies sur le climat, fin novembre. Avec d'autres, ils tenteront d'arracher aux dirigeants de la planète un accord limitant la hausse de la température moyenne du globe à 2°C d'ici à 2100. Nous en sommes déjà à une hausse de 0,6°C depuis la Révolution industrielle. Et, en 2035, nous serons – c'est quasiment inévitable – à 1,6 °C (1).

Ah, deux petits degrés.... Que ne donnerait-on pas pour les avoir en supplément pendant l'été ! Sauf que voilà: la météo, ce n'est pas le climat. Pas plus qu'une petite "pointe" de température ne peut se comparer à une augmentation continue de la température moyenne de la planète, liée à une croissance exceptionnellement rapide de la concentration des gaz à effet de serre.

Que disent les climatologues ? Que ces deux degrés sont tout sauf anodins : il y a vingt mille ans, en pleine période glaciaire, l'Europe et l'Amérique du Nord étaient recouvertes d'une couche de glace épaisse de 2 à 3 kilomètres, alors que la température moyenne y était inférieure d'à peine 4 à 5 degrés par rapport à l'époque actuelle.

Études et projections à l'appui, ces experts nous rappellent aussi qu'avec 2°C en plus à l'horizon 2050, les vagues de chaleur frapperont jusqu'à 20 % des terres immergées de la planète (et 60% avec 4°C !). Que 40 % des terres dédiées à la culture du maïs en Afrique subsaharienne deviendront impropres à la production. Et qu'en Asie, la croissance des rendements agricoles sera cinq fois moindre que dans un monde non "réchauffé".

Présent l'autre jour à Louvain-la-Neuve (2), Jean- Marc Jancovici, spécialiste de l'énergie et du climat, invite lui aussi à jeter un regard plus panoramique sur l'actualité immédiate. Si l'immolation d'un jeune homme à Tunis, en décembre 2010, a largement contribué à l'émergence du Printemps arabe, c'était dans un contexte très particulier.

Peu auparavant, la Russie, confrontée à une terrible sécheresse, avait décidé de mettre fin à ses exportations de céréales. La flambée des prix agricoles qui en avait résulté avait alors jeté de l'huile sur le feu de tensions politiques et sociales à la fois vives et anciennes, dans le Maghreb et au delà.

Le dérèglement climatique, c'est évident, ne crée pas les révolutions sociales. Mais, il sème les ferments d'une recomposition profonde des équilibres de la planète, pour le meilleur et pour le pire.