Sécurité sociale

  "Les mutualités sont vitales pour la démocratie !" 

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Bruxelles, 3 décembre 2023. Alexandre Verhamme marche pour le Climat avec les collègues de la MC. (c) Anne Havaux  <br />
Bruxelles, 3 décembre 2023. Alexandre Verhamme marche pour le Climat avec les collègues de la MC. (c) Anne Havaux
sandrine warsztacki

sandrine warsztacki

En Marche : Dans la perception du grand public, le rôle d’une mutualité consiste surtout à rembourser les soins de santé.  En quoi est-ce bien plus large ?

Alexandre Verhamme : La première mission des mutualités est de garantir l’accessibilité des soins de santé à la population. Il faut se rappeler qu'elles sont nées au 19e siècle d'initiatives citoyennes solidaires. Des coopérateurs ont mis en commun une partie de leurs ressources pour s’entraider face aux problèmes de santé. Ce projet humaniste a été reconnu d’utilité publique et, lorsque la sécurité sociale obligatoire a été créée en 1944, les mutualités sont devenues cogestionnaires de l’assurance "maladie-invalidité". Ainsi, dans les soins de santé, nous négocions avec l’État fédéral et les prestataires de soins pour garantir à tous l’accès à des soins de qualité. 

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Mais la mutualité aujourd’hui s’intéresse aussi à la santé au-delà de ses aspects curatifs. Garants de la bonne utilisation des moyens publics, nous sommes convaincus que l’argent le mieux dépensé est celui qui permet d’éviter de tomber malade ! Par exemple, les mutualités ont obtenu le remboursement à 100 % des soins dentaires préventifs avant 19 ans. Mais nous sommes conscients que lever les obstacles financiers ne suffit pas. Notre rôle est aussi de sensibiliser, d’accompagner. 

En Marche : En Wallonie et à Bruxelles, la MC organise plus de 800 activités par an : du jogging aux formations pour seniors en fracture numérique, en passant par des ateliers destinés aux parents solos. Le rapport avec la santé est-il toujours évident ?

Alexandre Verhamme : L’environnement, l’éducation, le statut socio-économique, etc. exercent davantage d’influence sur notre santé que les soins eux-mêmes. Quand Ocarina organise des séjours et plaines pour enfants, pour prendre cet exemple, elle permet à des jeunes animateurs de s’engager, de vivre une expérience inclusive avec des enfants en situation de handicap… Les jeunes sont les premières victimes collatérales de la crise sanitaire, du point de vue de la santé mentale. En recréant du collectif et du sens, les mouvements de jeunesse font partie des solutions. Tout ça, c’est de la santé et de la solidarité !

En Marche :  Entre les crises écologiques, économiques, géopolitiques, l’anxiété de la population est palpable. Comment la MC vit-elle son rôle dans ce climat ?

Alexandre Verhamme : Sur le terrain, on rencontre beaucoup de fragilité, mais aussi de colère. C’est d’autant plus confrontant que l’État fédéral est dans une logique de réduction des moyens financiers alloués aux mutualités pour mener à bien leurs missions (1). Plus que jamais, nous avons pourtant besoin de temps et de personnel pour écouter, expliquer et apporter des réponses aux demandes légitimes de nos affiliés. 

 La colère qui ne parvient pas à s’exprimer dans des discours collectifs fait le lit des discours extrêmes.

Au-delà de la bonne gestion des dossiers personnels, notre rôle est aussi de traduire les besoins individuels exprimés sur le terrain en réponse collective visant le bien commun. En l'occurrence, plus de 1.500 volontaires actifs à la MC et ses mouvements ont participé à la construction des plaidoyers que nous adressons aux partis politiques avant les élections (lire p. 10-11).

En ce sens, les mutualités sont vitales pour la démocratie. Car la colère qui ne parvient pas à s’exprimer dans des discours collectifs fait le lit des discours extrêmes. On nous reproche parfois de faire de la politique… Évidemment que nous en faisons, et avec fierté ! Mais dans le sens noble du terme, avec une vision de société, pas dans le sens de prendre parti pour l’une ou l’autre formation politique. 

En Marche : Certains partis politiques au nord et au sud du pays veulent pourtant affaiblir le rôle des mutualités et des syndicats…

Alexandre Verhamme : ... et se débarrasser de tout intermédiaire associatif et non marchand pour concentrer le pouvoir au sein des appareils de l’État ou le confier au secteur marchand. Une administration publique va-t-elle contredire les décisions d’un ministre ? Le marché va-t-il critiquer le marché ? Les conflits, négociations et compromis font partie de la démocratie. Sans contre-pouvoirs, on se dirige tout droit vers une démocratie moribonde, qui ne vivrait plus qu’au moment des élections. La contestation désorganisée ne parvient pas à se faire entendre. On l’a vu en France avec les Gilets jaunes. Sans les organisations de la société civile, les citoyens se retrouvent isolés et démunis face au pouvoir politique.  

Les contre-pouvoirs, on se dirige tout droit vers une démocratie moribonde, qui ne vivrait plus qu’au moment des élections. 

Aujourd’hui, les mutualités sont, avec les syndicats, les seules organisations sociales présentes aux trois échelons du pays : fédéral, régional et local. Les seules à maîtriser les législations dans les matières sociales et de santé de A à Z. Nous défendons les intérêts de nos membres en même temps que nous garantissons la bonne gestion de l’argent public. Nous travaillons aussi étroitement avec les représentants des prestataires de soins. Nous ne sommes pas toujours d’accord avec eux, mais on cherche toujours des compromis dans le respect les uns des autres. Nous évoluons dans un monde complexe mais c’est une richesse ! Le simplisme est toujours dangereux pour la démocratie.

En Marche :  Vous le pointez, les mutualités sont aussi une protection contre la commercialisation de la santé… 

Alexandre Verhamme : Les assurances privées n’ont pas les instruments politiques ni la volonté pour contrôler les dépenses de santé. C'est une des raisons qui expliquent que dans des pays comme les États-Unis, les soins de santé coûtent beaucoup plus chers. Le risque est de dériver vers une médecine à deux vitesses où l’accès aux soins est déterminé par le revenu. La raréfaction des prestataires de soins conventionnés dans certaines spécialités médicales nous en offre déjà un aperçu… 

La santé ne peut pas devenir une marchandise. La santé est un bien commun et doit le rester.

Nous défendons un principe ‘d’universalisme proportionné’. Les politiques de santé doivent bénéficier à l’ensemble de la population de la même manière. Mais des efforts supplémentaires sont nécessaires pour atteindre les publics plus fragiles. Par ailleurs, comme mutualité, nous jouons depuis toujours un rôle d’entrepreneur social. La MC a participé activement à la création de maisons de repos, d'hôpitaux, de services d’aide et de soins à domicile, de centres de convalescence… À l'origine de chaque projet, il y avait des besoins non couverts par ailleurs. Et quelques constantes : ne pas avoir de but lucratif, garantir l'accessibilité financière, offrir des services de qualité, respecter les droits du patient. Si les mutualités font concurrence au secteur marchand, comme l’accusent certains courants politiques, alors c’est pour le tirer vers le haut ! Mais nous arborons fièrement cette conviction : la santé ne peut pas devenir une marchandise. La santé est un bien commun et doit le rester. 

En Marche : On entend parfois que les mutualités seraient coûteuses pour les finances publiques... 

Alexandre Verhamme :  C'est tout à fait faux ! En 2023, les subsides accordés par l'État fédéral à l’ensemble des mutualités pour la gestion de l'assurance obligatoire en soins de santé et en indemnités (les frais d'administration, NDLR) s’élevaient à 3 % de l'enveloppe budgétaire allouée à ces politiques. C'est bien moins que les frais de gestion d'un équivalent public ou des assureurs privés commerciaux (2).  Contrairement à ces derniers, les mutualités n’ont pas de dividendes à dégager et d’actionnaires à rétribuer. Cependant, elles ont des comptes à rendre à l’État : pas question de dépenser plus que l’enveloppe prévue. Et l'Office de contrôle des mutualités assure pleinement son rôle !  Par ailleurs, l’existence de cinq mutualités en Belgique permet aux citoyens de choisir celle qui correspond le mieux à ses attentes et ses valeurs. Cela veut dire aussi qu’elles doivent se montrer concurrentielles, proposer le meilleur service. 

Il est vrai que dans les années à venir, la digitalisation permettra d’automatiser certaines opérations de remboursement. Mais elle a aussi un coût technique et surtout social ! Il faudra investir dans les métiers de proximité pour pallier notamment la fracture numérique. 

En Marche : Les mutualités sont nées dans un contexte de mouvements sociaux, comment voyez-vous la MC évoluer dans une société plus centrée sur l’individu ? 

Alexandre Verhamme : Nous sommes attentifs à proposer des services et solutions individualisées à chaque membre. Mais nous ne voulons pas devenir des consultants de la santé pour autant ! Le travail d’éducation permanente de nos mouvements, les dynamiques collectives et participatives font et feront toujours partie de notre ADN. Mais nous devons aussi pouvoir faire évoluer nos modes de participation, tester de nouvelles pratiques, trouver le bon équilibre entre notre rôle d’expert et de mouvement citoyen.