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La planification médicale, une question de santé publique

La planification médicale, une question de santé publique

La limitation de l’accès à la profession de médecin fait débat : avenir incertain pour les futurs médecins francophones, pénurie de médecins généralistes… Cet été a vu les étudiants déposer un préavis de grève, s'exprimer colère et incompréhension dans le chef des universités flamandes, et planer une menace de scission dans l'organisation des soins entre le nord et le sud du pays. Pourtant la planification médicale a été décidée il y a 20 ans déjà.


En 1996, le gouvernement fédéral décidait de créer la commission de planification de l’offre médicale, lui confiant la mission d’examiner les besoins en matière d’offre médicale. Depuis lors, la limitation de l’offre médicale, autrement dit le numérus clausus, a été confirmée par tous les gouvernements et ministres fédéraux de la santé qui se sont succédé.

Pourquoi limiter le nombre de médecins ?

La régulation de l’offre est un levier essentiel d’une politique de santé garantissant accès, qualité et efficacité. Planifier le nombre de lits d’hôpitaux, d’appareillage et services médicaux lourds, de pharmacies … mais aussi de médecins, dentistes, kinésithérapeutes, logopèdes fait partie de cette nécessaire régulation. En effet, un trop grand nombre de médecins peut induire des consultations et des actes techniques superflus, conduire à des dépenses inutiles. Tandis que la qualité des soins peut être altérée par une pratique trop réduite.

Bien sûr, la planification doit constamment être adaptée aux évolutions démographiques de même qu'aux besoins, modes d’organisation et techniques médicales. Ainsi, par exemple, compte tenu de la féminisation croissante du corps médical et de la nécessité d’un meilleur équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle pour les médecins, la commission de planification a revu à la hausse le nombre total de médecins pouvant accéder à la profession. De 700 par an en 2004, nous sommes passés à 1.230 en 2022. La commission a également proposé de légèrement revoir la répartition du quota entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Flandre. Ainsi, la répartition des numéros Inami 60/40 Nl/Fr passe à 57/43. Ceci afin de tenir compte des évolutions démographiques.

Une vision globale nécessaire

La planification du nombre total des médecins doit être intégrée dans une vision globale du système de santé. Aujourd'hui, le vieillissement de la population et les besoins en soins chroniques nécessitent le renforcement des soins ambulatoires et de première ligne. C’est pourquoi, au sein du nombre total de médecins formés, il faut imposer un sous-quota minimum notamment de médecins généralistes, de gériatres et d’ophtalmologues. Et ainsi garantir qu’il y en ait suffisamment. Par contre, dans certaines spécialités déjà en surnombre, il faudrait en réduire l’accès. La différence d’attractivité entre les spécialités s’explique notamment par des inégalités flagrantes dans les honoraires perçus.

Globalement, le nombre de médecins spécialistes – en lien avec la surabondance de lits d’hôpitaux – est trop élevé, spécifiquement du côté francophone . On y dénombre 22 médecins spécialistes actifs par 10.000 habitants en 2016 alors qu’en Flandre, il y en a 16 par 10.000 habitants. Il importe surtout de soutenir la médecine générale. Nombre de leviers doivent être activés dans ce sens : poursuivre la subsidiation de l’aide administrative, encourager les pratiques de groupe, développer les postes médicaux de garde, mettre en œuvre une politique explicite de collaboration multidisciplinaire (entre les médecins, infirmiers, pharmaciens par exemple) ou encore de délégation des tâches. À ce propos, dans de nombreux pays, l’existence d’assistant de pratique médicale ou encore d’hygiéniste dentaire a permis de garantir l’accès aux soins tout en étant plus efficace dans l’utilisation de l’expertise et des qualifications des médecins. La délégation des tâches implique une reconnaissance de ces formations au niveau fédéral et devrait être mise en œuvre sans tarder.

La responsabilité de la Fédération Wallonie-Bruxelles

L’organisation de l’accès aux études de médecine est de la responsabilité des Communautés. La Communauté flamande a décidé d’organiser la limitation de l’accès aux études de médecine en introduisant un examen d’entrée en 1997. La Fédération Wallonie-Bruxelles (ex-Communauté française) avait choisi d’organiser le numerus clausus après les trois années de candidature. Ce système s’est révélé impraticable et fut abrogé en 2003. Il a été remplacé par un nouveau décret prévoyant une sélection après la première année d’étude. Ce dernier aurait dû entrer en vigueur en 2006. Mais il fut contesté comme le décret de 2015 qui prévoyait le même principe.

Et pendant toutes ces année de tergiversations, les étudiants ont poursuivi de bonne foi leurs études difficiles, coûteuses, sans être sûrs de pouvoir pratiquer puisque leur nombre dépassait le quota fédéral. Cette situation est intenable. Pour en sortir, la ministre Onkelinx (PS) à l'époque en charge de la Santé au fédéral, et maintenant la ministre De Block (OpenVLD), ont proposé d’accorder l’agrément des médecins surnuméraires francophones en ponctionnant sur le quota des années futures. Mais à une condition : mettre en place un système efficace de limitation du nombre d’étudiants et respecter la loi fédérale qui date de 1996.

Pour la Mutualité chrétienne, une limitation de l’accès aux études de médecine, intégrée dans une vision de politique globale qui tient compte de l’évolution des besoins, est indispensable pour assurer des soins accessibles, de qualité et financièrement soutenables.

L’organisation de ce numérus clausus en médecine est de la responsabilité des Communautés. Il est regrettable que la Fédération Wallonie-Bruxelles et les universités francophones n’aient pas réussi en 20 ans à mettre en place un mécanisme de limitation efficace qui ne pénalise pas les étudiants.