Vivre ensemble

Le wallon, une langue bien vivante                        

6 min.
(c)belga
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Julien Marteleur

Julien Marteleur

Christine Decock est heureuse. Elle a passé une partie de sa matinée dans une école de Vedrin (Namur) pour donner un "bain de wallon" aux enfants. À travers des chants et des comptines, elle familiarise ces petits bouts de deux ans et demi à la musique de la langue wallonne. "Le wallon, pour l'apprivoiser, il faut l'entendre. Le wallon n'a pas disparu, c'est nous qui l'avons perdu !", déplore-t-elle. Christine, secrétaire des Rèlîs Namurwès, une association namuroise qui promeut, entre autres, l'enseignement du wallon dans les écoles, fait partie de ces 10% de Wallons – une estimation - qui pratiquent encore couramment le dialecte. Avec l'ASBL, elle s'invite dans les écoles pour partager son précieux savoir. "Les écoles viennent aussi à nous, s'enthousiasme-t-elle. Les enseignants font appel à notre association pour traduire un petit texte en classe, mettre sur pied une pièce de théâtre… Pour les enfants, le wallon est amusant parce qu'il s'agit d'une langue très imagée, très riche, aux sonorités particulières." En créant sa propre "école de wallon", il y a une dizaine d'années, l'ASBL permet aussi à tous, y compris aux enseignants, de se former à la langue.

Un traumatisme générationnel
Jusqu'au début du xxe siècle, le wallon reste la langue parlée par la majorité de la population du sud du pays, car le français y est seulement la langue des lettrés et des classes supérieures. Le bilinguisme wallon-français est alors une réalité, que ce soit dans le milieu professionnel ou le monde politique. Dans la sidérurgie, à la mine, dans la cour des fermes, le wallon est souvent la langue utilisée pour la formation des ouvriers et, dans de nombreuses communes, les conseils communaux se font généralement dans les deux langues. À l'entre-deux-guerres, cette "popularité" lui colle une réputation de vulgarité. "En 1914, la loi belge rend obligatoire l'enseignement primaire pour les enfants âgés de 6 à 14 ans, précise Joseph Dewez, président des Rélîs Namurwès. Après la Première Guerre mondiale, le français, langue des 'élites', apparaît comme une langue essentielle à la promotion sociale. L'école se met à réprimer, parfois vertement, tout locuteur wallon dans l'enceinte des établissements scolaires. Dans les familles, ce sont principalement les mamans, soucieuses de l'avenir professionnel de leurs enfants, qui bannissent l'usage du wallon à la maison."
Pour Joseph Dewez, cette interdiction conjointe aux foyers et aux écoles crée une sorte de traumatisme générationnel, qui va précipiter la disparition du wallon. Principalement orale, la langue souffre de ne plus être parlée ni entendue. Mais la résistance s'organise assez vite. Elle est d'ailleurs à la base de l'existence des Rélîs Namurwès, qui, dès le début du siècle dernier, veulent sauver la langue en proposant un wallon de qualité. "En proposant une littérature qualitative, les fondateurs veulent se démarquer de ce qui s'écrivait à l'époque et qui était un peu 'au ras des pâquerettes', quand ce n'était pas carrément en-dessous de la ceinture", souligne Joseph Dewez. Pour cela, les Rêlîs se basent sur l'orthographe Feller, établie en 1901 par le philologue Jules-François Feller dans son Essai d'orthographe wallonne. Avec ce traité, Feller réussit un sage compromis entre, d'une part, la phonétique – elle tâche de reproduire fidèlement la prononciation – et d'autre part, l'analogie avec le français et l'étymologie – elle ne heurte pas trop les habitudes graphiques françaises et tient compte, dans la mesure du possible, de l'origine des mots. Cela va favoriser la préparation d'un vaste projet linguistique : le Dictionnaire général de la langue wallonne. En effet, sans un système à la fois simple et précis de transcription, comment collecter, conserver, classer tous les trésors lexicaux des dialectes belgo-romans ? Et par-là même, permettre la longévité de la langue ?

Des trésors littéraires
À 35 ans, Baptiste Frankinet est responsable du Fonds dialectal wallon et de la bibliothèque du Musée de la vie wallonne de Liège. Dans ses archives, plus de 20.000 ouvrages en wallon ou traitant de la langue wallonne sont compilés. "On écrit encore aujourd'hui en wallon, même si c'est plus confidentiel qu'avant, précise Baptiste. Le marché est morcelé en fonction des différences géographiques du wallon. On ne parle pas le même dialecte à Liège qu'à Charleroi, Tournai ou Namur… Les publications actuelles sont surtout théâtrales ou proviennent d'institutions comme la Société de langue et de littérature wallonne." Véritable académie des langues wallonnes, la Société se veut une caisse de résonance pour les auteurs en wallon et veille à éditer, sous des exigences de qualité, les écrits contemporains. Sous leur égide, "on trouve véritablement de la littérature de haut vol qui gagne à être connue." La langue wallonne peut d'ailleurs s'enorgueillir d'une flopée d'excellents auteurs qui ont traversé les époques : Arthur Masson – à qui un espace est dédié à Treignes (Namur) – Willy Bal, Chantal Denis, Émile Gilliard, Albert Maquet… Aujourd'hui, Baptiste Frankinet considère qu'une "vingtaine d'ouvrages majeurs sont édités chaque année. Ce qui n'est pas rien, pour une langue qu'on dit moribonde !"
La bande dessinée ne boude pas non plus le wallon. À Liège, Noir Dessin Production en a d'ailleurs fait son fonds de commerce. Créée en 1992, cette maison d'édition, gérée en famille, propose des ouvrages en wallon mettant en scène le fameux Tchantchès ou l'hôtesse de l'air Natacha, personnage emblématique de François Walthéry. "Ce qui nous a particulièrement fait connaître, c'est lorsque nous avons eu l'idée de nos Agayons. En wallon, le mot désigne un truc, un bazar, un bidule, quoi ! Il s'agit en fait de produits dérivés (t-shirts, cravates, tasses, porte-clés) sur lesquels on appose une expression en wallon. Cela permet de faire sortir le wallon d'un carcan un peu éculé. Le wallon est une langue populaire, elle doit retourner dans la rue, même si c'est par l'entremise d'un t-shirt !". Une manière aussi de sensibiliser un public plus jeune, qui a parfois oublié ses racines. Si les productions de Noir Dessin touchent principalement un "public de trentenaires", les petits ne sont pas oubliés : la maison d'édition a récemment sorti un album des Schtroumpfs traduit en wallon et dont la version namuroise traduite par Joëlle Spirkel, Lès Chtroumf èt l’ murwè èssôrçulé, a connu un vrai succès d'estime. Un album de Gaston Lagaffe est également en préparation. Il y a une dizaine d'années, les célèbres éditions Casterman avaient déjà publié l'album Les Bijoux de la Castafiore des Aventures de Tintin en différentes variantes du wallon. On compte aujourd'hui quatre versions différentes : L'èmerôde d'al Castafiore en liégeois ; Lès pindants dèl Castafiore en ottintois ; Les berlokes del Castafiore en aclot (nivellois) et Lès-ôr’rîyes dèl Castafiore en wallon carolo.
En musique, si le wallon est souvent l'apanage des chansons entendues lors des carnavals de la région ou des fêtes folkloriques comme le Doudou à Mons où les Fêtes de Wallonie, la langue s'est adaptée aux styles plus contemporains. De la musique jazz de Guy Cabay au blues d'Elmore D ou de William Dunker, en passant par le hard-rock des groupes Compost Binde ou des Slugs, le wallon est encore chanté. Il est aussi déclamé dans le hip-hop ou en slam, comme l'a récemment fait Marcel Slangen dans son slam è walon.

Les communes disent "oui"
Pour assurer la survie du wallon, les communes agissent aussi. Depuis 2018, 28 communes ont adhéré au label "Ma commune dit oui aux langues régionales". Des villes comme Charleroi, Huy, Liège ou Namur y participent, mais aussi des plus petites localités (Malmedy, Gerpinnes, Durbuy…). Concrètement, le projet vise à développer une dynamique de promotion des langues régionales sur le territoire communal. Lancé et financé par le Service des Langues régionales endogènes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il propose une série d'actions dans plusieurs secteurs : école, médias, bibliothèques, centres culturels… Même la signalisation routière sur le territoire communal ou les noms de rue sont concernés ! Autant de moyens mis à disposition pour mener à bien des campagnes de sensibilisation et de préservation de la langue. " En se réappropriant le wallon 'du coin', les communes peuvent faire un vrai travail pédagogique de terrain, se réjouit Baptiste Frankinet, car le wallon a surtout du sens dans son ancrage local. La RTBF, à travers son contrat de gestion, est partenaire de la promotion et du développement des identités culturelles régionales, dont celle du wallon. C'est très bien, mais les émissions actuelles ont tendance à 'abâtardir' le wallon pour en faire un melting-pot de wallon liégeois, de namurois, de carolo… Pour finir, cela déforme un peu le vrai visage du wallon et ce qui en fait toute sa richesse."
Qu'il soit gaumais, picard ou liégeois, le wallon semble profiter d'un certain regain d'intérêt. Il est encore enseigné aux futurs instituteurs à l'Institut Jonfosse de Liège, chanté et joué sur les planches des théâtres de Charleroi ou de Liège, s'invite à l'église lors de la Messe du lundi des Fêtes de Wallonie, fait l'objet de festivals d'écriture… Comme toutes les racines, il est parfois profondément enfoncé dans la terre, caché de la vue du promeneur. Mais si on le cherche bien, le wallon n'est pas si difficile que cela à (re)trouver.

Quelques expressions sur la santé en wallon namurois

Vaut mia aler au bolèdjî qu’au médecin
Il vaut mieux aller chez le boulanger que chez le médecin (c’est signe de bonne santé).

Ça n’ va qu’ d’one fèsse
Cela ne va que d’une fesse (Cela ne va qu’à moitié - Je ne suis pas en grande forme).

Ritinkyî s’ cwade
Retendre sa corde (Se retaper - Guérir).

Yèsse todi à claus èt à maus
Être toujours à clous et à maux (Être continuellement en mauvaise santé).

Pwârtoz-vos bin èt dj’ payerè l’ médecin !
Portez-vous bien et je payerai le médecin !

Ci n’èst nin todi l’aube qui osse qui tchaît l’ prumî
Ce n’est pas toujours l’arbre qui vacille qui tombe le premier (Mauvaise santé ne signifie pas nécessairement courte vie).

Merci à Christine Decock pour sa précieuse collaboration.