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Dépasser le prêt-à-penser            

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Aurelia Jane Lee

Aurelia Jane Lee

Internet et les médias représentent à la fois une manne et un piège pour les esprits curieux : théories et croyances en tous genres y pullulent. Les bien nommés "influenceurs" entraînent quantité de "followers" (littéralement, des suiveurs) dans leur sillage. Il est tentant d'adhérer aux conseils, explications et conclusions proposés par d'autres, sans nécessairement prendre la peine de s'interroger sur leurs fondements. Par manque de temps, par facilité, par paresse, qui ne s'est pas déjà surpris à croire sur parole une idée à première vue sensée et bien étayée, pour s'apercevoir plus tard qu'elle était fausse, biaisée ou lacunaire ?

Maitres à penser ou faiseurs d'opinion ?

"Que faut-il penser de… ?" La tournure même de cette question, souvent posée aux spécialistes, philosophes ou autres psychologues de plateaux TV à propos de phénomènes de société ou de faits d'actualité, est interpellante. N'est-il pas plus pertinent d'entendre l'avis d'une personne éclairée sur tel ou tel sujet que de s'enquérir de ce qu'il "serait bon" d'en penser ? 
"Ce n’est pas tel ou tel prêt-à-penser en soi qui est mauvais, précise le sociologue des médias Julien Lecomte, mais le fait de les recevoir comme tels, le fait de s’y conformer sans s’ouvrir davantage, sans aller voir plus loin".
Certaines personnes s'empressent de relayer en toute bonne foi des informations qu'elles ont jugées intéressantes et a priori fiables. Mais il importe de se nourrir à différentes sources et d'adopter un esprit critique avant de se former sa propre opinion.

Seuls les fous ne changent pas d'avis

Les idées que l'on considère comme siennes sont essentiellement celles d'autrui : elles proviennent des parents, des éducateurs, de la culture et de la société dans lesquelles on évolue.
Confronté à des points de vue divergents, l'être humain a naturellement tendance à s'aligner sur une pensée qui conforte ses croyances. Parfois, un nouvel élément de compréhension ou une information différente parvient à faire son chemin. Des théories longtemps admises par tous, parce qu'encore jamais démenties par les faits, peuvent finalement se trouver remplacées par d'autres − jusqu'à la prochaine remise en question. Cependant, l'esprit humain est souvent freiné par la dissonance cognitive, cet inconfort ressenti lorsque des informations reçues sont contradictoires.
Et ce processus s'applique que l'on soit un expert dans son domaine professionnel ou un simple expert de sa propre vie. Tout le monde peut ainsi être victime de fausses croyances ou se tromper. Cependant, "que les conséquences de nos erreurs soient tragiques ou insignifiantes, que leur portée soit immense ou minime, il nous est généralement difficile, voire impossible, de dire : "j'ai eu tort; j'ai commis une grave erreur'", pointent Carol Tavris et Elliot Aronson, auteurs de "Pourquoi j'ai toujours raison et les autres ont tort".

Retrouver le fil de ses propres pensées

Dans une société hypermédiatisée, le réflexe pour s'informer est souvent de consulter Internet, où l'on se retrouve assailli de théories et de conseils en tous sens. S'asseoir et méditer tranquillement, à la façon d'un philosophe de l'Antiquité, n'est presque plus envisageable. Pourtant, cela permet de redécouvrir sa capacité à réfléchir et construire sa pensée. Essayer de comprendre par soi-même et faire appel au bon sens, à la logique et à la sagesse humaine. Ne pas s'épargner l'exercice de la conscience critique, ne pas se contenter d'adhérer au "prêt-à-penser". Admettre que l'on ne sait pas, quand on ne sait pas, et accepter l'incertitude, parfois. Reconnaître son erreur quand c'est nécessaire, aussi.
Sans doute, l'homo dit "sapiens sapiens" est-il capable de raisonner sans qu'on lui souffle ce qu'il "faut" penser. Mais pressé de se faire une opinion sur tout, séduit par les raccourcis, il a parfois oublié qu'il disposait de cette faculté et peine à s'entendre penser dans le brouhaha médiatique.