Economie

"Protection sociale pour tous" : bilan sur un an de campagne

3 min.
© Tineke D'haese
© Tineke D'haese
Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

"Oui, on est loin de la globalisation de la protection sociale. Mais le monde ne pourra pas s'attaquer à la pauvreté sans l'implémenter partout. C'est un sine qua non ! Votre campagne peut et doit être maintenue. Merci beaucoup de nous montrer le chemin. Au Nord et au Sud, vous guidez les décideurs. Vous influencez les politiques du monde !"

Une déclaration de Guy Rider, l'invité-vedette de ce moment politique. Cet Anglais de Liverpool est devenu directeur de la plus grande organisation de travailleurs au monde. Pas besoin de convaincre l'homme de la pertinence d'une protection sociale pour tous… "73% de la population mondiale n'a pas de filet de sécurité. C'est le cas des petits métiers du secteur informel. En Thaïlande, c'est 70% de l'économie. En Inde, c'est 90%."

Qui souffre le plus de cette situation ? "Ce sont les femmes, les migrants, les personnes âgées, les minorités ethniques, les malades du sida, les handicapés, les fermiers…" Mais le manque de sécurité sociale ne concerne pas seulement les pays du Sud, rappelle-t-il : "L'intérim, le travail au noir, le labeur pénible… dans les pays du Nord rendent la vie difficile à un grand nombre de travailleurs." L'absence de protection sociale a des conséquences dramatiques : difficulté d'accès aux soins de santé, malnutrition des enfants (qui impactera leur état de santé tout au long de la vie), pas d'accès à l'éducation, obligation de travailler dès le plus jeune âge et jus qu'au dernier souffle…

"La solidarité se voit de plus en plus délégitimée, c'est inacceptable ! Certains prétendent que nos sociétés ne peuvent plus s'offrir de protection sociale…"

Bon pour l'économie

Dans de nombreux pays du monde, observe Guy Rider, le discours dominant tente de réduire le spectre de la sécu. "La solidarité se voit de plus en plus délégitimée, c'est inacceptable ! Certains prétendent que nos sociétés ne peuvent plus s'offrir de protection sociale, déplore-t-il. Nous serions trop nombreux… D'autres y voient une injustice pour ceux qui ont un emploi et qui cotisent pour les autres sans en profiter." La protection sociale est davantage perçue comme un coût exorbitant que comme un investissement. Elle est pourtant un sacré stimulant économique. "La protection sociale accroît la santé, l'éducation… et donc la capacité de production d'une économie. C'est là que le social et l'économie se rejoignent", s'enthousiasme à la tribune le directeur général de l'OIT.

L'ONU confirme

Le concept d'un filet de sécurité bénéfique à l'économie est défendu jusqu'aux Nations-Unies ! En 2015, l'ONU l'intégrait dans ses Objectifs internationaux de développement durable. Un texte approuvé par les dirigeants du monde et censé mettre en place un programme ambitieux pour améliorer la vie des populations et protéger la planète pour les générations futures. "Comme la protection sociale est cruciale pour diminuer la pauvreté et les inégalités, pour renforcer les gens et les protéger, ce n’est pas seulement un levier social, c’est aussi un boost pour l’économie”, affirme Luc Cortebeeck, président de la CSC et vice-président de l’OIT.

40.000 adhérents

Les revendications de la campagne ont été appuyées par plus de 40.000 citoyens dont les visages, suite aux "actions sparadraps", sont exposés sur www.protectionsociale.be.

Par ailleurs, de nombreuses organisations, dont le Mouvement ouvrier chrétien (MOC), la Mutualité chrétienne, la CSC, Solidarité mondiale… appuient un manifeste présenté aux parlementaires. Le document rappelle l'inscription de la protection sociale dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme depuis 1948. En y apposant leur paraphe, les signataires s'accordent sur ses objectifs : assurer un revenu suffisant et un accès aux services de base pour que chacune et chacun soit capable de faire face aux risques et événements de la vie (chômage, maladie, perte de revenus…). Ils approuvent aussi la manière de l'organiser : "des initiatives et des mesures structurelles collectives basées sur la solidarité".

Enfin, les signataires soutiennent les demandes de la plateforme : ancrer le droit à la protection sociale dans les lois et les traités, garantir son financement durable et solidaire, associer les acteurs sociaux et mener des politiques cohérentes (nationales, régionales, internationales) avec le renforcement de la protection sociale.

La chaise vide d'Alexander De Croo

Le Ministre fédéral de la Coopération au développement n'a pas pris la peine de se déplacer en personne pour l'occasion. Que signifie son absence à une rencontre organisée par le CNCD, donc par près de 90 organisations, et accueillant le dirigeant d'une organisation importante des Nations-Unies ? Dirk Vandermaelen, parlementaire SPA, livre un indice : "Le ministre se positionne clairement pour une coopération au développement orientée vers le marché. La protection sociale n’est dès lors pas envisagée par lui comme une stratégie de développement pertinente." Il ajoute que dans l'hémicycle fédéral, les parlementaires "tendent la main vers la campagne" pour œuvrer ensemble à davantage de protection sociale. Le sujet y sera débattu dès la rentrée parlementaire de janvier.

Une année. C'est le temps qu'il reste à la plateforme d'organisations pour convaincre davantage de citoyens, d'organisations et de décideurs qu'une protection sociale par tous et pour tous est possible et souhaitable. Pour plus d'équité. Pour stimuler l'économie. Pour permettre aux précaires, aux fragilisés d'aujourd'hui et de demain d'être libérés de la peur. Comme l'espère Guy Rider : "Freedom from fear".