Coronavirus

Paroles confinées d’une jeunesse oubliée

6 min.
"Rester ouvert et garder un lien avec les familles était essentiel pour nous". Hayat El Aroud, responsable de la maison le Compas à gauche de la photo. ©Soraya Soussi
Soraya Soussi

Soraya Soussi

"Rester enfermé, c’est nul. Ça ne sert à rien. Je ne supporte pas de ne rien faire.""Ce qui m’a le plus manqué c’est de ne pas voir mes amis. D’habitude tu les vois tous les jours. Et du jour au lendemain, plus rien. Plus de famille, plus d’amis, plus d’école." Mohamed et Sephora ont respectivement 12 et 13 ans. Tous deux ont participé à "Parlons jeunes, parlons (dé)confinement" (1). Le projet a été lancé par le Parlement bruxellois francophone et le Délégué général aux Droits de l’enfant. Objectif : récolter les témoignages d’enfants et de jeunes sur la façon dont ils ont vécu le confinement, à travers des productions artistiques (dessins, photos, sons, vidéos, écriture...).

D’abord l’angoisse à gérer...

Les enfants et les adolescents ont été soumis à une série de bouleversements dans leur quotidien durant la crise sanitaire : écoles fermées, distanciation sociale et confinement imposés, règles de sécurité à respecter... Ces injonctions ont profondément transformé leur vie et leurs repères habituels. Un climat d’insécurité s’est installé dans de nombreux foyers. Face à ce virus inconnu, difficile de saisir objectivement l’ampleur de cette crise pour les parents et, a posteriori, leurs enfants. "Les parents ont dû tenir différents rôles sur une longue période, sans savoir combien de temps cela allait durer : parents, professeurs, animateurs, tout en assurant leur travail, rappelle Andreia Santos, psychologue pour enfants et adolescents. Et pour certaines familles, il fallait également tenir un rôle de thérapeute et autres spécialisations pour des enfants ayant des difficultés en plus, ce qui a dû être extrêmement compliqué, voire impossible. Ce sont des métiers à part entière. Tout cela a alimenté un climat très tendu."

... puis, la résilience accompagnée

Au début du confinement, se souvient Mohamed, ses copains et lui étaient plutôt contents de ne plus aller à l’école. "On a trouvé des petites astuces pour s’occuper. On faisait des bricolages, des jeux, etc. Puis, on en a eu marre de ce coronavirus. On a commencé à s’ennuyer." Lors des ateliers de "Parlons jeunes, parlons(dé)confinement", les participants ont souvent exprimé le fait d’être passés par différentes phases. L’excitation des premiers jours cède rapidement à l’ennui : "À un moment, ça devenait lourd psychologiquement. J’étais lassée d’être toujours au même endroit", confirme Sephora. Andreia Santos précise : "L’ennui peut être effectivement bon pour un enfant mais l’ennui prolongé, dans une situation d’incertitude qui dure également dans le temps, sans projections futures, peut-être très angoissant." Sephora a pu, néanmoins, compter sur le soutien de ses parents : "Au début, on avait peur avec mes sœurs. Moi, j’avais peur de ne pas réussir mes cours. Mais mes parents ne m’ont pas lâchée." Avec cet accompagnement, la jeune fille a pu profiter de son temps libre à la maison :"On a fait un mini-potager. J’ai aidé mes sœurs à faire leurs devoirs... On a même participé à une action solidaire en préparant des collations pour les personnes sans-abri."

Nous possédons tous une capacité de résilience et d’adaptation qui est, de manière générale, plus développée chez les plus jeunes. "Cela ne veut pas dire que l’enfant a la capacité de s’adapter à tout et à n’importe quelle condition, met néanmoins en garde Andreia Santos. C’est important de lui permettre de jouer, de créer, de s’exprimer, de manipuler, donner du sens, être acteur et d’agir."

Conscientes et inquiètes des effets du confinement sur les enfants et les jeunes, les associations de quartiers et organisations d’aide à la jeunesse restées ouvertes ont mis en place des dispositifs ludiques. C’est le cas de la maison des enfants et des jeunes, le Compas, située à Anderlecht, au grand bonheur de Mohamed : "Pour ne pas m’ennuyer je venais à l’école des devoirs. Ils nousont aussi donné une ludobox remplie de jeux et de collations. C’était trop bien."

Parlons-en !

"On avait envie de faire comme les journalistes et de parler du coronavirus à notre façon. Ça fait du bien de donner son opinion", s’exclame Mohamed quand on lui demande ses motivations à participer au projet "Parlons jeunes, parlons(dé)confinement". Même enthousiasme chez Sephora : "J’ai l’habitude de raconter ma vie, en détails à tout le monde. Et là, j’avais l’occasion de m’exprimer librement avec de la vidéo, me faire interviewer. Et puis, je me suis aussi dit que tous les jeunes n’ont pas cette opportunité, alors j’ai pensé parler en leur nom." Si comme Mohamed, d’autres enfants et jeunes de quartiers plus précaires ont pu s’exprimer et participer à cette initiative, c’est notamment grâce au travail des partenaires qui ont adapté leurs services pendant la crise, se réjouit Pauline Bombaert, animatrice et réalisatrice pour ce projet. "J’ai prié pour que les AMO (services d’aide aux jeunes en milieu ouvert) et les associations de quartiers avec qui on travaille habituellement restent disponibles pour continuer ce travail d’accompagnement et de soutien auprès des enfants et des jeunes des quartiers populaires. Sans cela, on aurait été dans une situation sociale catastrophique pour eux."

Pas tous égaux face au (dé)confinement

Pendant la crise, Hayat El Aroud, responsable de la maison d’enfants Le Compas, a poursuivile travail qu’elle mène quotidiennement avec de nombreuses familles, dont certaines connaissent des situations de grande précarité :"Quand le gouvernement a annoncé le confinement, j’ai tout de suite pensé aux familles qui viennent chez nous. J’ai été très inquiète ! On reçoit des enfants dont les parents ne parlent pas français, qui sont parfois très malades... Il y a aussi beaucoup de parents qui travaillent dans le secteur des soins et étaient donc peu présents ou avaient peur de contaminer leurs proches. C’est pour cela que j’ai décidé de laisser les portes du Compas ouvertes pour les familles qui auraient besoin de soutien, de présence, d’espace..."

Des situations liées à l’environnement socio-économique de l’enfant peuvent influencer l’état de sa santé mentale, d’autant plus dans un contexte de confinement : espaces réduits, famille nombreuse, manque d’activités extérieures, etc. La personnalité de l’enfant joue aussi sur la façon dont il a géré le (dé)confinement. "Les enfants ne peuvent pas s’exprimer comme les adultes. Ils vont le faire davantage à travers des comportements. Certains enfants auront tendance à se contenir face à l’angoisse et au stress. D’autres vont avoir des attitudes plus régressives qui se traduiront au niveau du langage, du sommeil, de la propreté, etc. D’autres encore vont adopter des comportements plus agressifs."

"J’ai travaillé avec un petit garçon de dix ans qui m’a beaucoup touché, se souvient Pauline Bombaert. Quandje lui ai demandé ce qu’il y avait ici, à l’association et pas chez lui, il m’a répondu : ‘ Du calme. J’ai besoin de calme...’ Il regardait dans le vide et sa voix était éteinte. Il vit dans un petit appartement avec ses parents et ses quatre sœurs. Il parlait comme un adulte au bord du craquage. Alors que d’autres étaient plutôt satisfaits de passer plus de temps en famille." Le confinement a creusé de nombreuses inégalités, déplore Andreia Santos : "Il y a des enfants plus introvertis, moins sociables qui, dès lors, ont relativement bien vécu le confinement puisqu’il y avait moins d’interactions sociales. Ils étaient plutôt rassurés d’être à la maison, avec leurs parents. Mais avec le déconfinement, pour ces enfants, cela va être plus difficile de sortir."

Retour à l’école ?

Un jardin orné de bancs et de bacs de potagers mène à la maison du Compas. À l’arrière de la maison, une cour d’école remplie d’enfants qui jouent. Une scène presque oubliée. Mohamed qui revient de l’école raconte : "Oui, ça fait trop plaisir de retourner à l’école. Se lever, prendre le petit déjeuner, sortir de la maison, retrouver mes amis, mes professeurs. J’avais hâte aussi de reprendre mes cours de géographie et d’histoire." Même chose pour Sephora. "Ça fait du bien de retrouver un rythme normal, se lever tôt, de revoir ses amis, ses professeurs... De reprendre le tram !" Si le retour semble être vécu positivement par Mohamed et Sephora, d’autres enfants et adolescents le vivent moins bien ou jugent ce retour inutile, observe Pauline Bombaert.

Le retour à l’école est essentiel à la bonne santé mentale des enfants et des jeunes, "à condition qu’on prenne le temps d’accueillir ces enfants. Ils viennent tous avec un vécu, propre à leur situation", nuance néanmoins la psychologue Andreia Santos. Cette rentrée spéciale est également synonyme de séparation, ce qu’il ne faut pas négliger. "C’est un retour à un monde complètement différent de ce qu’ils ont vécu durant plusieurs mois. Les repères ne sont plus mêmes. Certes, on revient à l’école mais ce n’est pas exactement pareil (règles de sécurité, nouvelles normes...). Il faut prendre le temps d’adapter des rituels, d’en créer de nouveaux, de renouer les liens en se retrouvant en face à face, alors que les enfants étaient, pendant toute une période, dans un contexte où il fallait se méfier de l’autre."

Le confinement a laissé des traces. "Il faudra aussi accepter que des enfants régressent au niveau scolaire mais aussi adoptent des comportements plus agressifs, plus émotifs suite à des deuils parfois. Il va falloir prendre le temps d’accueillir tout cela et créer un lien avec la famille pour rassurer et comprendre les parents. Comprendre comment ils ont vécu cette période. Retenons qu’un enfant qui est stressé, qui ne va pas bien, ne sera pas disponible pour l’apprentissage."


(1) "Parlons jeunes, parlons (dé)confinement", une initiative du Parlement francophone bruxellois, du Délégué général aux Droits de l’enfant, Scan-R, UNI-CEF Belgium, Comme un Lundi asbl et ses partenaires Urbanisa’son et le GSARA asbl.