Films

Basta, les catas !

3 min.
© Cinéart
© Cinéart
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

"Personne n'a envie d'être confronté à des choses terrifiantes. Pourtant, nous devons les regarder en face, nous n'avons plus le choix". Ces paroles ne sont pas celles d'un Charles Michel ou d'un François Hollande aux lendemains d'actions terroristes, mais bien celles de Mélanie Laurent. L'actrice française ne savait pas, en s'impliquant dans la réalisation du documentaire Demain, à quel point ses paroles auraient une résonance particulière au moment de sa sortie en salle (1). La terreur qu'elle évoque fut la sienne après la lecture d'une étude parue dans la revue Nature, il y a trois ans, annonçant l'effondrement généralisé des écosystèmes et, de là, la fin d'une certaine stabilité sur la planète Terre.

"C'est fou ce que l'homme peut faire preuve d'imagination pour décrire l'écroulement de son monde : science-fiction, romans noirs, films d'apocalypse, etc.

Encore un film écolo qui nous annonce le grand effondrement pour après-demain ? Vous n'y êtes pas. Seules les cinq premières minutes s'inscrivent dans cette veine, via la rencontre des deux auteurs de l'étude de Nature. Le reste présente une suite joyeuse d'expérimentations sociales, éducatives, financières, environnementales… destinées à donner la pêche et à croquer goulument dans le monde de demain. Rob Hopkins, l'homme des "Villes en transitions", donne le ton : "C'est fou ce que l'homme peut faire preuve d'imagination pour décrire l'écroulement de son monde : science-fiction, romans noirs, films d'apocalypse, etc. Mais, pour s'inventer des récits positifs et enthousiasmants : rien !"

Du potager au système bancaire

Demain est une sorte de road-movie qui nous emmène à Copenhague, Détroit, Bâle, Reykjavik… en passant par la Bretagne, l'Inde ou la Finlande. Avec Mélanie Laurent et Cyril Dion, qui se filment eux-mêmes en action, on rencontre les artisans du monde de demain. Pas de ces utopistes un peu prêcheurs ou moralistes mais, simplement, des acteurs qui ont fait leurs preuves : un couple de "permaculteurs" qui, sur un espace réduit, produit davantage que l'agriculture conventionnelle; des citoyens américains qui ont détourné 80% de leurs déchets de l'incinérateur; des citoyens devenus coopérateurs éoliens, etc. Un film écolo pur jus, quand même ? Pas sûr. Car, après l'alimentation et l'énergie renouvelables, c'est la finance alternative qui est mise en évidence. Puis, de nouvelles formes d'exercice de la démocratie, d'instruction, d'éducation… Bref, on ratisse large.

Bien sûr, après En quête de sens, Une Douce Révolte et autres Tous au Larzac, les tenants d'un monde en transition douce s'irriteront peut-être de retrouver toujours les mêmes têtes à l'écran : Pierre Rabhi, Jeremy Rifkins, Rob Hopkins, Vandana Shiva… Mais il y en a d'autres, aussi, moins connues. Qui, sans formules pesantes ni savantes, parviennent à convaincre que toutes ces pistes de bien-être et de justice fonctionnent déjà et ne demandent qu'à être imitées : l'architecte urbaniste Jean Gehl, l'économiste Bernard Lietaer, le juriste Olivier de Schutter, l'écrivain David Van Reybrouck, le pédagogue Kari Louhivuori, etc.

De douces contaminations

Ce documentaire souffre d'un inconvénient, assez classique dans sa catégorie : il est trop long (ne pas rater tout de même la dernière séquence – jouissive – consacrée à l'instruction scolaire en Finlande !). De même, il ne présente ces réalisations que sous leur seul aspect de réussite, passant sous silence leurs défauts et tâtonnements. Mais, habilement construit et souligné par la musique tonifiante de Fredrika Stahl, il vaut largement le détour ne fût-ce que parce qu'il ne nous parle pas de grands soirs ou de révolutions hypothétiques, mais bien de trajectoires d'individus qui nous ressemblent. Inquiets, voire abattus devant la grande marche du monde. Mais pas vraiment résignés. Désireux, malgré le climat plombant de notre époque aux aguets, de construire quelque chose dans leur rue, leur quartier, leur ville au bénéfice du lien humain. Cyril Dion voulait, chez son spectateur, "toucher ce petit quel que chose qui n'est pas loin de la surface et qui donne envie de faire mille choses utiles, de trouver du sens". Le pari est réussi.