Maladies chroniques

Fatigués d'avoir mal    

5 min.
© Jean Elleboudt
© Jean Elleboudt
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André : la fibromyalgie se donne en spectacle

Casque de vélo vissé sur la tête et raquette de badminton en main, André arrive sur scène l'air plutôt serein. "Je suis malade. Je sais, on ne le dirait pas." Et invite le public à lui répondre : "Ah ça non !" Pendant plus d'une heure, André décortique les conséquences de la fibromyalgie sur sa vie, son moral et ses relations. Cette maladie déstabilisante lui est tombée dessus par surprise, à l'aube du troisième millénaire. "Je perds peu à peu les commandes. Sournoisement, elle prend le pouvoir, se souvient-il. Un coup d'État ?"

Plusieurs années de rencontres médicales, d'examens et de traitements infructueux s'écouleront avant de nommer l'agression qui le ronge : le syndrome fibromyalgique. Aucune lésion et aucun traumatisme ne peuvent être identifiés. La cause serait à chercher dans des dysfonctions du système nerveux central de modulation de la douleur. 

Il lui faudra aussi du temps pour oser se livrer à ses proches. "Lorsqu'on a mal, souvent l'on se tait. Pour économiser son énergie, ne pas produire un effort supplémentaire", constate Myriam Tonus, théologienne belge, dans la préface du livre d'André "Le rivage d'un océan sans terre". L'écriture permet à André de transmettre ses ressentis. Il rédige des poèmes, des lettres et en 2017 un livre. "J'ai eu beaucoup de mal à vous exprimer mon mal, y avoue-t-il à ses enfants. Un père est un homme fort, non ? C'est en tout cas une des facettes de mon souci : comment, devant vous, me montrer limité, me dire douloureux, me reconnaitre moins fort, vulnérable ?"

Sur les planches

Convaincu que "se dire, c'est déjà un peu guérir", André se lance le défi de présenter une conférence gesticulée sur le thème de la fibromyalgie (1), avec l'aide de Bruno Hesbois, responsable de la Compagnie Buissonnière. Le public est prévenu d'emblée : "Vous me voyez lire et me verrez lire encore à de nombreuses reprises. Fibromyalgie et mémoire font très mauvais ménage. Merci de ne pas trop en tenir compte." Mais André maitrise son sujet et rivalise d'ingéniosité pour tantôt faire rire, tantôt émouvoir.  

"Je souffre de douleurs chroniques diverses mais aussi de fatigue chronique, troubles cognitifs, phases dépressives, humeurs changeantes, sommeil perturbé, jambes impatientes et d'autres petits soucis…" explique André. Pour décrire les sensations qu'il éprouve dans son corps, il met en scène des objets du quotidien : "Cadeau d'accueil de la fibromyalgie… la clé à molette. Coups de mâchoire aux phalanges, poignets, coudes, genoux… Crispations, grande sécheresse dans les jointures." Avec une pince à spaghetti, il simule les attaques qu'il peut ressentir sur l'extérieur d'un pied. Et puis il y a les visites surprises du papier abrasif gros grain dans ses articulations.

Relations sociales

Quelqu'un a toujours un conseil à lui donner quand il est fatigué. Un brin moqueur, André évoque la sagesse populaire. "Repose-toi ! Lève le pied ! Tu en fais trop !" Pourtant, André ne parle pas de cette fatigue-là. "Je sens une impuissance totale, un corps vide, l'esprit défaillant. Sans raison. Et cela me trouble." 

Ses relations avec les autres sont parfois difficiles, confesse-t-il. La maladie l'aurait-elle rendu hypersensible ? Excessivement méfiant ? "Je crains les explications. Je déteste les questions. Les conseils m'agacent. Les commentaires suspicieux me font mal." 

Et pourtant, de projets d'écriture en groupes de parole, de la création de capsules vidéo à la réalisation d'une conférence, André arrive encore à profiter des éclaircies entre les orages. 

(1) "Fibromyalgie – entre orages et éclaircies", conférence gesticulée, André Elleboudt, mise en scène par Bruno Hesbois, 2023

 

Rafaël : un mal mystérieux 

"Je vis avec des douleurs du matin au soir et du soir au matin. Les antidouleurs que j'avale quotidiennement me permettent juste de les supporter. " Après une opération des varices, Rafaël continue à souffrir au niveau de sa jambe gauche. Le chirurgien est convaincu qu'il ne s'agit plus d'un problème veineux. À 26 ans, le jeune homme commence alors un long périple dans les hôpitaux cherchant, en vain, les raisons de ses douleurs.

Il commence à boiter et se résout à utiliser une béquille. D'autres symptômes apparaissent au dos et aux épaules. S'est-il lui-même créé ces pathologies à force de compenser ? Personne ne peut lui dire. "Dans la jambe gauche, j'ai mal tout le temps. J'éprouve également des fourmillements ou des engourdissements du type hernie discale aux jambes et aux pieds. Je ressens de grosses pressions dans le bas du dos. Lorsque je fais un mouvement, j'ai des élancements. Et puis, j'ai des douleurs qui arrivent par pics, comme si on m'enfonçait des aiguilles ou des couteaux." Aucun médecin n'a pu à ce jour justifier la dégradation de son état et établir un lien entre les différentes pathologies pour poser un diagnostic clair.  "Le plus difficile à gérer est de ne pas pouvoir donner un nom à la maladie. C'est compliqué de me projeter dans l'avenir. Je ne sais pas comment mon état va évoluer et si je retrouverai ma vie d'avant. Après six ans de douleurs quotidiennes, j'ai peu d'espoir de revivre normalement."

L'état de santé de Rafaël a des conséquences sur son moral. Pendant plusieurs années, il plonge dans une dépression profonde. Au fil du temps, ses contacts sociaux se réduisent. Les fêtes familiales ou entre amis lui demandent énormément d'énergie et les lendemains sont difficiles. Les propos méprisants de certains médecins ne l'ont pas aidé à se reconstruire. Il a dû adapter sa vie professionnelle à ses contraintes de santé. "Les douleurs chroniques ont toujours un impact sur mon état psychologique. Mais ma vie a évolué et je me sens mieux aujourd'hui. Je peux également m'appuyer sur ma compagne, ma famille et mes amis. Leur soutien est capital pour moi."

Les deux séances de kiné par semaine en piscine l'aident à travailler son renforcement musculaire et sa mobilité. Et pour maintenir une activité physique, il peut compter sur ses deux chiens qu’il emmène une heure en promenade quasi quotidiennement. 

 

Marie : otage de ses migraines

Cela faisait plus de dix ans que Marie, 36 ans, vivait un enfer avec ses maux de tête. Comme si son cœur constamment poignardé s'était logé dans son crâne. Les pulsations de douleur étaient parfois si intenses qu'elle en vomissait. "Je n'arrivais plus à vivre normalement. Le moindre verre d'alcool, la moindre sortie, sans excès, ou une semaine de travail chargée me rendait malade", confie-t-elle.

Durant des années, Marie a dû prendre des analgésiques et anxiolytiques pour supporter ses maux de tête. "Je devais prendre du Sumatriptan® (un anti-migraineux), m'allonger et me mettre dans le noir car la lumière accentue les symptômes de la migraine. Dans cet état, la plus simple action du quotidien était très compliquée. Je ne savais plus travailler correctement, m'occuper de ma fille de six ans ou avoir des rapports sociaux. Ma migraine avait pris ma vie en otage. " Un problème n'arrivant jamais seul, Marie avait développé d'autres pathologies : "Avec ce type de vie, le moindre stress s'amplifie. J'avais des nerfs bloqués à la nuque, au dos… et des maux de ventre à cause des médicaments."

Lors d'une énième crise de migraine, la jeune femme se rend aux urgences de la clinique de Nivelles. Une infirmière prend sa tension : elle est à 21 ! "Pour la première fois, les médecins ont fait le lien entre mon hypertension et ma migraine. " En trouvant ce lien, les douleurs originaires de sa migraine ont été canalisées grâce à un traitement anti-migraineux (Sumatriptan® par injection) combiné à celui contre l'hypertension. Il n’est pas rare que des solutions ou des pistes d’amélioration d’une situation médicale compliquée surgissent après des années d’errance médicale. Un simple geste ou une écoute active peut parfois faire la différence.

 

Pour écouter d’autres témoignages sur les douleurs chroniques, retrouvez le podcast de François : "De la civière au vélo" et celui de Claire : "Marcher pour guérir" sur enmarche.be.