Alimentation

Tempête dans un verre de lait              

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Valentine De Muylder

Valentine De Muylder

"J’adore boire un verre de lait le matin, mais je sais que c’est mauvais…". Voilà le genre de remarques que Gisèle Gual, diététicienne spécialisée en diététique pédiatrique, entend souvent de la bouche de ses patients. "Une méfiance très forte s’est installée vis-à-vis du lait de vache dans toutes les franges de la population", observe-t-elle.
Cette méfiance, parfois qualifiée de tendance "anti-lait", se nourrit d’arguments liés à la santé, à l’écologie et au bien-être animal. Il faut dire que le lait n’est pas un aliment comme les autres. "Tempête dans un verre lait" est le titre d’un podcast de Radio Canada dans lequel deux diététiciens examinent la foule d’enjeux qui influencent notre perception du lait. Enjeux symboliques, puisque le lait est l’aliment "premier" des mammifères que nous sommes. Enjeux culturels, puisqu’il occupe une place importante dans certaines traditions culinaires. Sans oublier les enjeux économiques importants liés à la production laitière. En Belgique, le secteur fournit actuellement plus de 4 milliards de litres par an et constate une baisse continue de la consommation, passée de 64,20 à 42,10 litres par an et par habitant entre 2000 et 2021. Cette tendance ne concerne cependant ni le yaourt, ni le fromage, dont la consommation reste stable. Face à de tels enjeux, le débat a tendance à se polariser.

Un "aliment liquide" riche en nutriments
"Le lait et les produits laitiers sont une source importante de protéines, de calcium, de vitamine B2 et de vitamine B12 et peuvent contribuer à une alimentation saine et complète", écrit le Conseil supérieur de la santé dans ses recommandations alimentaires pour la population belge adulte (2019). Le lait est également une source importante de matières grasses dont les enfants ont besoin pour grandir, indique Gisèle Gual. Une richesse qui lui fait dire que "le lait est un aliment liquide, pas une boisson !" 

Consommer plus de 500 ml de lait par jour n’apporterait "aucune plus-value en termes de santé", précise le Conseil supérieur de la santé.

Le Conseil supérieur de la santé conseille de consommer une à deux portions de 250 ml de lait ou de produits laitiers par jour, à l’exclusion du beurre et de la crème. 250 ml de lait équivalent par exemple à deux pots individuels de yaourt, ou à 30 ou 40 gr de fromage. Chaque produit laitier a ses avantages et inconvénients, rappelle la diététicienne, et il ne faut pas perdre de vue que certains contiennent du sel ou du sucre, ou sont plus gras : "On recommande de limiter les produits laitiers les plus gras, et de privilégier par exemple le lait demi-écrémé. La clé, c’est la modération et la variété." Qu’en est-il du lait cru ? "Les produits à base de lait cru peuvent être consommés pour autant que leur conservation ait été optimale et que l’on n’appartienne pas à une catégorie plus fragile : femmes enceintes, personnes immunodéprimées, jeunes enfants..." Car si le lait cru présente certains avantages par rapport au lait pasteurisé (en termes nutritionnels, mais aussi de goût), il peut également être à l’origine d’infections alimentaires.

Utile, mais pas incontournable
Consommer plus de 500 ml de lait par jour n’apporterait "aucune plus-value en termes de santé", précise le Conseil supérieur de la santé. Ajoutant qu’en dessous de cette proportion, il faut veiller à introduire dans son alimentation d’autres sources de calcium, de protéines et de vitamines B2 et B12. Car s’il est utile, le lait n’est pas pour autant incontournable. "Le lait de vache est une des meilleures sources de calcium, explique Gisèle Gual, parce que le lactose qu’il contient facilite son absorption. Mais les dernières études s’accordent à dire que les personnes qui ne consomment pas de produits laitiers n’ont pas forcément de carences en calcium." On retrouve en effet ce précieux nutriment dans d’autres aliments, comme les légumes verts (choux, épinards…) et les noix, ou encore dans certaines eaux riches en calcium.
Aux personnes qui apprécient le lait, mais qui le digèrent mal en raison d’une intolérance au lactose (voir encadré), la diététicienne conseille de se tourner vers le lait sans lactose pour en conserver les bienfaits. En termes nutritionnels, le lait est en effet très différent des jus végétaux (de soja, d’avoine, de riz…) qui se présentent parfois comme des alternatives, mais qui ne contiennent ni matières grasses, ni calcium (sauf dans le cas des versions enrichies), ni protéines (à l’exception du jus de soja).

"Aucun aliment n’est mauvais en soi"
Parmi les raisons pour lesquelles le lait de vache est parfois décrié, il y a la crainte qu’il favorise le développement de certaines maladies, comme les maladies cardiovasculaires, le diabète, ou même certains cancers. Cette inquiétude est-elle justifiée ? Assez peu, à en croire un rapport publié en 2016 par l’Agence française de sécurité sanitaire (ANSES), qui fait la synthèse des études existantes.

Marc Fichers, agronome et secrétaire général de l’association Nature et Progrès, conseille d’opter pour du lait bio issu d’élevages locaux.

On y lit notamment que la consommation de divers produits laitiers pourrait diminuer le risque de maladies cardio-vasculaires. "Les acides gras du lait n’ont pas le même effet sur le profil des acides gras dans le sang, et donc sur les maladies cardio-vasculaires, que d’autres acides gras saturés", confirme Gisèle Gual. Concernant le diabète, l’ANSES conclut qu’" il apparaît que la consommation totale de produits laitiers (dont le lait) diminue probablement le risque de diabète de type 2", précisant qu’ici, "la relation semble mieux démontrée pour les yaourts, les fromages et les produits laitiers à teneur réduite en matière grasse". Au sujet du cancer, l’agence française est plus partagée. "La consommation de lait diminue le risque de cancer colorectal avec un niveau de preuve probable", affirme-t-elle. Elle signale en revanche que "la consommation totale de produits laitiers est associée à une augmentation du risque de cancer de la prostate (…) avec un niveau de preuve suggestif, mais limité."
"Dans le domaine de la nutrition, les gens aiment avoir des réponses claires, conclut la diététicienne. On va vite incriminer un aliment : le lait, le gluten, le sucre… Mais aucun aliment n’est mauvais en soi. Il faut toujours voir l’alimentation dans son ensemble."

Privilégier le lait bio et local
La santé humaine est indissociablement liée à celle de notre planète. À travers l’alimentation notamment, puisque la production alimentaire est la première cause de dégradation environnementale au niveau mondial. Et l’industrie laitière n’échappe pas à ce lourd constat. C’est pourquoi le Conseil supérieur de la santé précise que "d’un point de vue durable, il est souhaitable de limiter la consommation de lait et de produits laitiers."
Marc Fichers, agronome et secrétaire général de l’association Nature et Progrès, conseille d’opter pour du lait bio issu d’élevages locaux. Le lait est produit dans un écosystème dont nous faisons partie, explique-t-il. Or, en Wallonie, vaches et humains se complètent bien : "Au Sud du sillon Sambre-et-Meuse, nous sommes assez limités en termes d’utilisation du sol pour nous nourrir. On doit donc passer par des bovins, qui ont cette faculté admirable de transformer l’herbe, que nous sommes incapables de manger, en viande et en lait." Cet équilibre suppose que les vaches soient nourries à base d’herbe et de foin, ajoute Marc Fichers, et pas à base de céréales cultivées à cet effet et bien souvent importées, comme c’est le cas dans les élevages conventionnels : "D’après le cahier des charges bio, les bêtes doivent être à l’extérieur toute l’année, sauf quand les conditions climatiques ne le permettent pas. Le nombre de bêtes à l’hectare est également excessivement limité."
Les pratiques d’élevage bio sont en progression en Wallonie, où elles concernent environ 10% des vaches laitières. Mais la question de l’impact environnemental de la production laitière est complexe et, quel que soit le lait choisi, la modération reste de mise.
À condition de les choisir avec soin, de les consommer avec modération, de les varier… et bien sûr de les apprécier (car ils ne sont pas irremplaçables), les produits laitiers semblent donc pouvoir trouver leur place dans une alimentation saine et durable.

Intolérance et allergie : deux choses très différentes
L’intolérance au lactose est un trouble digestif dû au fait que certaines personnes ne produisent pas ou peu de lactase. Cette enzyme présente dans les intestins permet, telle une paire de ciseaux, de découper le sucre contenu dans le lait, que l’on appelle lactose, en deux molécules distinctes que notre organisme va pouvoir absorber. L’intolérance se manifeste par des gaz, des ballonnements et de la diarrhée, et son intensité varie d’une personne à l’autre.
L’allergie aux protéines du lait de vache est une maladie qui concerne essentiellement les bébés et les jeunes enfants, et disparaît souvent en grandissant. Ses symptômes peuvent être digestifs, mais aussi cutanés (rougeurs, démangeaisons…). La prise en charge des allergies nécessite un diagnostic et un traitement précis, c’est pourquoi il est important de consulter un ou une spécialiste lorsqu’un enfant présente des symptômes.
Attention : Cet article ne concerne pas les bébés et les enfants de moins de 3 ans, dont les besoins nutritionnels sont très particuliers. Le lait de vache "classique" ne remplace pas adéquatement le lait maternel ou les préparations adaptées aux nourrissons.