Sécurité sociale

Pour une protection sociale mondiale

5 min.
© Tineke D'Haese
© Tineke D'Haese
Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

Bénéficier de soins de santé à prix raisonnables, d'allocations de chômage lorsque l'emploi fait défaut, d'une pension après des années de labeur… n'a pas toujours été un droit. La sécurité sociale, telle qu'on la connaît aujourd'hui, a été institutionnalisée au sortir de la Seconde Guerre mondiale sur la base de négociations menées par des personnalités du monde syndical et patronal. Ainsi apparut l'idée d'un monde où les individus disposeraient du droit fondamental d'être protégés face aux infortunes du sort.

À l'époque, des tensions étaient déjà palpables entre les concepts de solidarité et de libéralisme. On s'accorda toutefois sur l'idée que la société nécessiterait quelques bases collectives. Le concept tient en la garantie d'un niveau de vie décent pour cha - que individu, de la naissance à la mort. Elle se base sur la solidarisation, ou mutualisation des risques. Il n'y a pas d'un côté les contributeurs et, de l'autre, les bénéficiaires. Chacun, au cours de sa vie, sera l'un et l'autre.

Un enthousiasme fluctuant

Durant une trentaine d'années, la "couverture" dans le monde s'améliore (santé, allocations, retraites) et s'élargit. "Mais la solidarité est fragile devant le néolibéralisme, explique François-Xavier Merrien, professeur de sciences sociales et politiques à l'Université de Lausanne. Durant les années 80' surgit une certaine inimitié pour la protection sociale. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale y voient un obstacle au développement économique et conseillent sans équivoque de confier au secteur privé des missions jusque-là portées par les services publics."

Le marché parvient-il à garantir une justice sociale ? Pas sûr… "L'Unicef, par exemple, pointait en 1987 l'inefficacité des suggestions des organisations internationales. Détricoter la protection sociale d'un pays amène, au contraire, plus de misère, d'inégalités, et un redémarrage économique quasi nul."

La protection sociale reviendra timidement au-devant de la scène. Mais deux conceptions continuent à se faire face, observe le professeur Merrien. "Celle des instances internationales (précitées) qui consiste principalement à prévenir le risque social, c'est-à-dire à protéger uniquement les plus vulnérables. Puis celle d'une sécurité sociale qui permet d'obtenir des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à la dignité et au libre développement de la personnalité." Cette vision entend que les individus soient protégés des risques de l'existence : maladie, chômage longue durée… Aussi, qu'ils s'expriment, qu'ils débattent, qu'ils participent à la vie collective. Aujourd'hui, la tension entre ces deux conceptions est toujours palpable.

campagne protection sociale pour tous

Un droit universel peu appliqué

"Seulement 27% de la population mondiale dispose d'une protection sociale complète et étendue, détaille Claire Courteille, directrice de l'Organisation international du travail (OIT). La moitié de la population mondiale n'a pas d'accès à des prestations de retraite. 39% des personnes sont privées de dispositifs de santé. On estime qu'il manque 10 millions de professionnels de la santé dans le monde."

Pourtant, des textes existent pour faire de la protection sociale une réalité du Nord au Sud. La Convention n°102 (1955) de l'OIT définit la norme minimum de la sécurité sociale. La Recommandation n°202 (2012), toujours de l'OIT, réaffirme que "la sécurité sociale est un droit de la personne", qu'avec la promotion de l'emploi elle est "une nécessité économique et sociale pour le développement et le progrès", qu'elle est "un outil important pour prévenir et réduire la pauvreté, les inégalités, l'exclusion sociale et l'insécurité sociale"… Pourquoi les 185 pays membres de l'OIT n'ont-ils pas fait de la protection sociale une réalité ?

La déficience de certains gouvernements ne l'explique pas à elle seule. Il est d'autres difficultés structurelles. Par exemple, la couverture sociale est souvent liée à l'emploi formel. Le vendeur de jus de fruits péruvien, le paysan rwandais… travaillent dans l'économie informelle, c'est-à-dire dans des secteurs qui échappent à la régulation de l'État et où peu de contrats de travail lient les employeurs aux travailleurs. Dans ces conditions, il est difficile pour ces derniers de constituer une pension, de recevoir des allocations de chômage lorsqu'ils sont inoccupés, d'être remboursés pour des frais médicaux… En cas d'imprévu, ils sont les plus à même de verser dans la pauvreté, incapables de faire des dépenses imprévues. Ceci dit, malgré ces difficultés, des initiatives naissent partout dans le monde pour octroyer une sécurité aux plus pauvres.

Le Sud a ses recettes

La Semaine sociale, c'est aussi l'occasion de rencontrer des acteurs de premier plan. Cette année, trois partenaires de Solidarité mondiale, ONG du MOC, partageaient leurs réalités de terrain pour insister sur la faisabilité d'une protection sociale mondiale. "Avec nos projets, 52.000 personnes (femmes d'ouvrage, agriculteurs…) bénéficient d'une assistance sociale, explique Gabriel A. Del Rio, président d'Amussol (Association mutuelle de services solidaires). La collaboration avec le syndicat Casc, le plus représentatif de République Dominicaine, nous permet de parler avec les employeurs et d'avoir un impact plus important."

Au Bénin aussi la cible est le travailleur de l'économie informelle. Les résultats sont impressionnants, dira Koto Yerima Aboubakar : "Là où Aprosoc (Action pour la protection sociale) intervient, le taux de fréquentation des services de santé s'élève à 51% de la population ciblée. Sans la mutuelle de santé, les populations auraient des dépenses de santé très élevées".

Plus à l'Ouest, Seyni Kane, ex-coordinatrice du Groupe de recherche et d'appui au mouvement mutuelliste, décrit la société sénégalaise : "les mécanismes de protection sociale basés sur l'emploi ne concernent que 16% de la population. Et le reste ? Ce sont des travailleurs avec revenus irréguliers comme des pêcheurs, des artisans… En cas d'accident, ils n'ont pas les moyens de payer les frais de santé". Le projet installe des mutuelles mais va un pas plus loin : "C'est un mouvement qui permet aux populations de connaître et de revendiquer leurs droits. Elles participent directement à la gouvernance des politiques de santé et entend bien faire pression sur l'État".

Collaboration avec les syndicats, sensibilisation des travailleurs, approche centrée sur les droits humains, renforcement des populations pour faire pression sur leurs décideurs… Ces ingrédients sont nécessaires à la mise en place d'une pro tection sociale efficace portée par les citoyens et impulsée avec des mouvements sociaux. Ceux-ci sont souvent pionniers en la matière. Ce sont eux qui peuvent garantir la durabilité des projets mis en place. Eux aussi qui auront le poids nécessaire pour négocier avec les gouvernements pour améliorer le sort des populations.

Pétition

En guise de pétition, les citoyens sont invités à se prendre en photo avec un sparadrap de campagne sur le corps et d'envoyer celle-ci sur le site Internet de l'action. L'objectif est d'atteindre les 50.000 portraits au mois de décembre.

>> Le programme complet, les rendez-vous festifs, les outils de campagne, les outils pédagogiques… à votre disposition sur www.protectionsociale.be

Une campagne…

Avec 11.11.11., 20 ONG, les syndicats, des mutualités et associations belges lancent une campagne commune : Protection sociale pour tous.

Quatre revendications précises sont adressées aux décideurs politiques belges. D'abord, puisque la protection sociale est un droit de l'Homme, chaque pays doit l'ancrer dans son cadre légal. La Belgique doit plaider auprès des pays qui ont ratifié les traités des Nations unies pour qu'ils appliquent leurs principes de façon cohérente.

Ensuite, le financement… Le gouvernement belge doit veiller à ce que les gouvernements à travers le monde puissent dégager suffisamment de ressources pour mettre en place une protection sociale étendue. Il pourrait soutenir ces pays à percevoir efficacement des impôts, à mettre sur pied des systèmes justes de cotisations sociales… Aussi le gouvernement doit-il contribuer à la construction d'un système de financement international de la protection sociale.

Troisième revendication : la participation. Les organisations sociales doivent être assimilées aux décisions politiques en matière de protection sociale parce qu'elles connaissent les problèmes rencontrés par les personnes qui n'en bénéficient pas. Elles doivent être impliquées dans les matières relatives à la protection sociale dans leur pays. En outre, dans les pays en développement, les décideurs belges doivent appuyer ces organisations pour élaborer des programmes de coopération.

Enfin, les hommes politiques belges gagneraient à renforcer la protection sociale en Belgique et en Europe. Auprès des 27 autres états européens, ils pourraient plaider pour un pacte qui harmonise et renforce les différents systèmes de protection en Europe. Ils devraient également empêcher que des accords internationaux de commerce et d'investissement ne nuisent à la sécurité sociale.

Cette campagne longue de deux ans invite donc citoyens, travailleurs et organisations sociales à défendre la protection sociale. "La population doit être consciente que la perte de ce système solidaire peut nous faire basculer dans un autre monde, rappelle Jean Hermesse, secrétaire national des Mutualités chrétiennes. S'investir en tant que mutuelle, c'est faire un choix porteur de bénéfices pour l'ensemble de la population".