Santé mentale

Psychiatrie de transition : des soins entre "jeunes"      

4 min.
© Frédéric Raevens
© Frédéric Raevens
Soraya Soussi

Soraya Soussi

Jeudi 29 février : l'unité 77 du CHU Brugmann, un des rares services de psychiatrie de transition de Belgique, vient de souffler sa deuxième bougie. Direction la salle d'activités  encore neuve, où des oeuvres dignes d'artistes confirmés colorent les murs immaculés. Aujourd'hui, huit patients et patientes participent à un atelier d'écriture. Laura (prénom d'emprunt), 19 ans, écoute avec attention les consignes. Frank Lees, éducateur du service, invite chacun à donner un mot au hasard, puis à écrire une histoire avec l’ensemble des mots cités par le groupe. Les yeux couleur azur de Laura cherchent l'inspiration. Elle semble partir dans un autre monde, en quête de créativité. Une fois terminés, l'animateur lit les récits à haute voix. Les jeunes doivent deviner qui les a écrits. Les rires des uns contrastent avec la souffrance tangible des autres. Malgré tout, après un temps, on oublie presque qu'on est dans un service de psychiatrie.  La bonne humeur des plus bruyants déteint sur le groupe.

Un service adapté

Les jeunes patients séjournent à l'hôpital durant trois à quatre semaines. Laura partage sa chambre avec Manon (prénom d'emprunt) qui n'a pas participé à l'atelier du jour. Son truc, à Manon, c'est le sport. Mais pour l'instant, elle ne peut pas en faire… Laura, quant à elle, se sent mieux dans des activités artistiques qui ne requièrent pas le contact avec les autres. Malgré ces différences, les deux jeunes femmes ont tout de suite accroché. Toutes les deux adorent les animaux et en possèdent à la maison. Laura s'est d'ailleurs lancée dans des études pour être assistante animalière. Manon révèle fièrement qu'elle a carrément un cheval à elle dans un manège ! La jeune patiente de 18 ans et demi (elle insiste) est arrivée à l'hôpital Brugmann lors d’une "crise". Son visage reflète les souffrances qu'elle vit à chaque "baisse de moral". "Je ne voulais pas venir ici, c'est mon pédopsychiatre qui m'a convaincue, confie-t-elle un peu gênée. C'était ça ou être hospitalisée de force. Quand j'ai eu 18 ans, j'ai dû être hospitalisée dans un service psychiatrique pour adultes. Ce n'était pas génial de se retrouver dans la chambre d'une personne de 70 ans et passer ses journées avec des gens de 40 ans ! Ici, on a tous plus ou moins le même âge. On s'écoute, on discute, on se comprend...

Ni enfants, ni adultes

L'unité 77 accueille des jeunes entre 16 et 23 ans. Un public qui quitte l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte. Ces âges de "transition" sont une période de grande vulnérabilité pour le jeune qui est à risque de développer des psychopathologies, souligne la Dr Anaïs Mungo. "C'est un moment de grandes modifications : les changements physiques se terminent. Au niveau psychologique, beaucoup de choses évoluent, notamment à  travers la question identitaire et les aspirations concernant l'avenir de la personne (modèle de vie, choix d'études, de profession, etc.). Les relations affectives deviennent sérieuses et peuvent être très mal vécues quand il y a une séparation. Bref, autant de questionnements et changements qui peuvent générer des angoisses", détaille-t-elle lors d'une conférence organisée par Realism, le réseau enfants-adolescents en santé mentale de Liège.

Le service s'adapte le plus possible aux demandes des jeunes. Chaque jour, des activités variées sont proposées : ateliers de cuisine, artistiques, sports, sorties, etc. "On essaie de tenir compte de leurs envies pour que leur séjour ici ne tourne pas seulement autour du suivi médical, explique Patrick Lecleir, infirmier en chef du service. Nous les écoutons et discutons d'un peu de tout, sans toujours parler des raisons de leur présence. Lorsque nous faisons les ateliers de cuisine, nous allons chercher ce qu'il y a dans le potager dont les jeunes s'occupent. On leur rappelle de prendre soin d'eux en ayant une alimentation équilibrée. C'est important pour leur bien-être." Un soutien social est également proposé aux jeunes en âge d'être autonomes et qui souhaitent vivre par leurs propres moyens.

L'équipe, pilier du service

La cuisine de l'unité fait office de lieu de rencontre et d'échange pour le personnel de l’équipe pluridisciplinaire : psychiatres, psychologues, infirmières, médecins, éducateurs. Aujourd’hui, deux membres de l'équipe y discutent d'une patiente et de sa famille. C'est l'une des forces de l'unité "jeunes" : suivre et accompagner le patient ou la patiente en tenant compte de son environnement. "C'est parfois difficile de mettre des mots sur les souffrances à cet âge-là. Ils ne comprennent pas toujours eux-mêmes de quoi ils souffrent, c'est donc compliqué de le communiquer à l'entourage, précise Camille Van der Straten, assistante en pédopsychiatrie. Notre travail est aussi de les accompagner dans cette prise de conscience et les encourager à maintenir le dialogue, quand c'est possible, avec leurs proches. Qu'il s'agisse de la famille ou de l'école, lorsqu'il s'agit de jeunes en décrochage scolaire, par exemple." Et la psychologue du service, Diane Helszajn d'ajouter : "Parfois, la souffrance du jeune alerte aussi sur la situation d'un parent ayant lui-même des problèmes et que nous pouvons faire suivre."

"Le problème, c'est que quand on va mal à nos âges, les adultes se disent que c'est l'adolescence, que c'est normal et que ça va passer" Laura

Prévenir, c'est désengorger

L'unité 77 compte dix lits. Les jeunes patientes apprécient leur petit groupe. "C'est plus chouette et facile pour faire connaissance et créer des liens que d'être dans un hôpital où il y a 120 patients dans le service", lance Manon. Mais ce "confort" d’être en petit groupe est au détriment de la demande qui ne diminue pas. "La crise de l'accueil en psychiatrie est une réalité extrêmement dure. Nous avons, pour l'instant, 30 patients sur liste d'attente pour être hospitalisés. Ils doivent parfois attendre entre trois à quatre mois pour pouvoir être accueillis chez nous. Ce qui est très long et très dur pour eux. C'est une 'double peine' à leur souffrance", déplore la Dr Estelle Soukias.

Manon et Laura le constatent aussi, de plus en plus de jeunes vont très mal. "Le problème, c'est que quand on va mal à nos âges, les adultes se disent que c'est l'adolescence, que c'est normal et que ça va passer, dénonce Laura. Il faudrait davantage prendre au sérieux les problèmes des jeunes, les écouter et que la santé mentale soit promue dans les écoles et pas seulement la santé physique. Il y aurait moins de jeunes en psychiatrie." Car si les services de psychiatrie comme celui que propose le CHU Brugmann est une évolution positive dans le paysage de la prise en charge, les professionnels de la santé mentale comme les jeunes concernés s'accordent sur l'importance de la prévention. Laura devrait bientôt retourner chez elle, auprès de ses compagnons à quatre pattes. Manon, elle, ne sait pas encore... "C'est sympa ici mais ça reste une épreuve. Ce n'est jamais gai d'être hospitalisée dans un service psychiatrique quand on est jeune."





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