Parentalité

Des médiations autour des personnes vulnérables

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Aurelia Jane Lee

Aurelia Jane Lee

Lorsque la maladie ou le handicap surgissent, chacun y réagit à sa manière. Souvent, cela réveille des émotions enfouies et crée des tensions. Comment réorganiser le quotidien autour des besoins de la personne ? Serait-elle mieux dans une institution spécialisée ? Face aux décisions à prendre, il peut être difficile de se mettre d’accord au sein du couple, de la fratrie, ou entre les différentes générations.

"La médiation aide non seulement à trouver la solution sur mesure, mais aussi à entendre les besoins et le vécu de chacun, ainsi que les attentes de la personne concernée, si elle est encore apte", explique Caroline Persoons, médiatrice et cofondatrice de l'asbl Adeos avec Pascaline de l’Escaille. Juristes de formation, elles se sont spécialisées dans le domaine du handicap, mais couvrent plus largement toutes les situations de vulnérabilité que peut rencontrer une famille confrontée à la maladie, au vieillissement ou à la perte d'autonomie. "Il peut aussi s’agir de frères et soeurs qui ne s’accordent pas sur la prise en charge d’un parent vieillissant. Souvent, un des enfants s'occupe davantage des parents, mais ce n'est pas évident pour lui, et un autre suggère de placer le parent dans une séniorerie. Ou bien l’un des enfants, ou un proche s'occupant de la personne, a la mainmise sur les finances, et un autre juge que c'est problématique."

La médiation redonne du pouvoir aux parents, qui font partie de la solution.

Parfois, les tensions se situent entre la famille et une institution − maison de repos, centre de jour, école… "Les parents n'ont pas toujours envie de dire certaines choses devant le personnel d'une institution, mais c'est important pour résoudre les tensions." Beaucoup de parents d'enfants handicapés se plaignent aussi de ne pas être écoutés, alors qu'ils estiment être les meilleurs experts de leur enfant. "Ils connaissent les petits détails qui améliorent le quotidien, comme par exemple éteindre la lumière pour aider l’enfant à prendre son médicament, illustre Caroline Persoons. La médiation permet de reconnaître cette compétence et redonne ainsi du pouvoir aux parents, qui font partie de la solution."

Renouer le dialogue entre générations

"Les non-dits entre parents et enfants sont souvent aussi à l'origine du conflit", constate Danièle Henrie, médiatrice également et présidente de l'association française Médiation Part'Âge, fondée en 2015 et spécialisée dans les médiations intergénérationnelles. Son rôle est alors d’aider la famille à sortir du silence. "Derrière le déni se cache en réalité une grande peur, analyse-t-elle. Ce qui bloque la parole et complique le dialogue, ce sont les mécanismes de défense que chacun met en place. C’est tout à fait logique, c’est notre instinct de survie, et chacun fait du mieux qu’il peut avec ce qu’il a eu, avec ses propres outils. La médiation offre un cadre sécurisant et permet d’aborder des sujets dont on ne parle pas d’ordinaire, parce qu’il y a trop de douleur et de vulnérabilité à l’arrière-plan". Et de souligner au passage que nous sommes tous des "personnes vulnérables" : "La différence, c’est que nous, nous arrivons à cacher nos handicaps, alors que si vous êtes en fauteuil roulant, vous ne pouvez pas le cacher."

La médiation vise aussi à reconnaître les droits et devoirs de chacun. "Il est important de rappeler à un parent âgé que c’est à lui de pourvoir à sa vieillesse, de savoir ce qu’il souhaite, de le rendre acteur de sa vie, de ne pas se dire que ce sont les enfants qui vont le faire." Pour ce faire, Danièle Henrie recourt à quelques questions : "Comment cela s’est passé pour vous, avec vos propres parents ? Est-ce que vous, vous auriez aimé que vos parents décident eux-mêmes ? Et vous, comment souhaitez-vous faire ?"

Mettre les mots sur ce que l’on vit

Le médiateur intervient comme un tiers neutre. Il réunit les parties autour de la table, et les aide à dialoguer. "Ce n'est pas un thérapeute, ni un psychologue, précise Caroline Persoons. Mais ce n'est pas non plus un juge ni un avocat. Le but n'est pas de donner des conseils juridiques, mais de construire une solution entre différentes personnes autour d'une personne vulnérable."

Il fait parler l'une après l'autre les personnes autour de la table. Ensuite, il reformule ce qui a été dit. "Parfois, le message sera tout simplement 'je suis épuisé', et le médiateur va traduire cela en termes d'émotions et de besoins : 'Vous avez donc besoin de repos, de temps pour vous-même, pour votre propre famille.' C'est peut-être la première fois que certaines choses vont être dites, des choses dures parfois, mais qui doivent être entendues."

Ces besoins sont pris en compte dans la recherche de solutions. "On ne va pas se contenter de couper la poire en deux, souligne Pascaline de l'Escaille. C'est en faisant parler la personne que l'on va faire émerger son ressenti et ses besoins profonds, souvent inconscients. En général, une fois qu'elle a pu les exprimer et en prendre conscience, on observe un apaisement."

"Si une personne campe sur sa position, nous l'aidons à en sortir, en lui montrant qu'elle a d'autres besoins aussi, et que l'autre à ses propres besoins également", ajoute Caroline Persoons. "En tant que médiatrices, nous n'avons pas le droit de suggérer une solution, poursuit Pascaline de l'Escaille. Nous allons faire en sorte que la personne la trouve elle-même."

Ce qui complique le dialogue, ce sont les mécanismes de défense que chacun met en place.

Si le médiateur n’est pas un thérapeute, une médiation aboutie a néanmoins un effet thérapeutique, dans le sens où elle permet d’amorcer un changement. "À partir du moment où une personne qui éprouve peu de ressentis parce qu’elle n’a jamais pu les exprimer, parvient à parler, c’est déjà énorme, assure Danièle Henrie. Mais cela nécessite souvent tout un travail de psychopédagogie. D’amener à comprendre, par exemple, que l’autre n’est pas quelqu’un qui nous veut du mal, mais juste quelqu’un de différent. Quelqu’un qui a des croyances limitantes parce qu’il a dû mettre en place des mécanismes de défense à certains moments de sa vie."

Un processus adapté aux besoins

La médiation a l’avantage d’être plus flexible qu’une démarche au tribunal, par exemple. Un coup de téléphone suffit pour fixer un premier rendez-vous. Suit une première séance d'environ une heure, pour définir les sujets à discuter, identifier les personnes impliquées, évoquer les honoraires…

Arrivent ensuite les séances de médiation proprement dites. "Certains cas sont résolus en une séance ! Mais généralement, il faut compter trois séances d'une heure et demie chacune", précise Caroline Persoons. "Il n'est pas possible de fixer à l'avance le nombre de rencontres nécessaires, avertit Pascaline de l'Escaille. Toutefois, on peut prendre en compte un timing à respecter : si une décision doit être prise pour une date donnée, on donnera la priorité à ce sujet."

"Au terme de ces séances, chacune des parties va mener une réflexion sur ce qui a été dit, et essayer de proposer au moins deux ensembles de solutions, ajoute la médiatrice. Ensuite, on les compare et on relève ce qui est identique et sur quoi on peut facilement s'accorder." Il s'agit parfois de choses très concrètes − des questions d'argent, d'emploi du temps…

L'accord final est mis par écrit. S'il comporte des conséquences juridiques, sa rédaction sera confiée dans un premier temps à un avocat. Chacun le signe ensuite.

Rendre la médiation accessible à tous

La loi oblige les parents à être attentifs au bien-être de leur enfant, et vice-versa. Encore faut-il en avoir les moyens. En France, au vu du vieillissement de la population, les pouvoirs en place ont décidé de mettre l’accent sur la personne âgée et ses aidants proches. La médiation autour des personnes vulnérables bénéficie d’un financement étatique. Ce n’est pas le cas chez nous. Caroline Persoons et Pascaline de l’Escaille plaident auprès des pouvoirs publics afin qu’une intervention financière soit accordée aux particuliers qui choisissent de recourir à la médiation.
En attendant, la médiation est toutefois déjà, en moyenne, 11 fois plus rapide et moitié moins cher qu'un recours en justice. Dans le cas où des parents ne s’entendent pas sur le placement de leur enfant handicapé, par exemple, elle est donc préférable à un passage au tribunal, explique Pascaline de l’Escaille. Et pas seulement d’un point de vue financier. "La médiation permet de trouver une solution ensemble, là où le juge de paix va devoir trancher, au risque qu'une des parties ne se sente pas entendue et en garde une frustration, susceptible d'engendrer d'autres tensions plus tard. La médiation amène une véritable résolution du conflit."

>> En savoir plus :

  • La médiation familiale, en Belgique, est reconnue de manière légale. Elle est pratiquée et encouragée par l'État. Le Centre Belge de Médiation Familiale (CBMF) est présent à Bruxelles (Uccle et Jette) et en Wallonie (Baudour et Braine-le-Comte).
    Contact : 0475 87 03 81 (Wallonie) • 0471 47 06 59 (Bruxelles) • contact@cbmf.be • cbmf.be
  • Adeos est une asbl bruxelloise spécialisée dans la médiation autour de la personne handicapée.
    Contact : 0495 18 78 17 • contact@adeos.be • adeos.be
  • Consultez la liste des médiateurs agréés par la Commission fédérale de médiation sur cfm-fbc.be.