Loisirs

Petits jeux, grands échanges             

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(c)AdobeStock
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Boris Krywicki

Boris Krywicki

Le jeu de société ne manque pas de vertus auprès des enfants : l’apprentissage de la patience, des couleurs et du comptage, de la résistance à la frustration de la défaite ou à l’humilité de la victoire… Et, surtout, l’amusement, qui reste excellent pour la santé. Si l’offre se fait de plus en plus pléthorique, une majorité d’œuvres manifestent de traits communs, comme la thématique des animaux. Pour Claire Carvaillo, assistante maternelle et rédactrice pour le magazine spécialisé Plato, cette hégémonie semble idéale : " Les animaux sont un des premiers éléments que les jeunes enfants sont capables d’identifier. Leur présence familière facilite l’entrée en matière ". Par contre, la spécialiste se méfie d’une autre tendance éditoriale, celle des jeux jouables en solo : " À partir de deux ans, l’enfant commence à comprendre les autres, comment un groupe se forme. Il serait contre-productif de les laisser jouer seuls : ils ont besoin d’être aidés discrètement, ou que l’on intervienne pour écourter une partie qui s’éternise, afin que la pratique reste stimulante ". Que les parents qui découvrent notre sélection ci-après soient prévenus : pour que les jeux conservent leurs atouts, mieux vaut s’y adonner en famille. Il est d’ailleurs probable qu’eux aussi se prennent… au jeu.

La gamme "mes premiers jeux"

(Création collective ● Haba ● 2 ans et + ● de 13 à 25 euros)

À tout seigneur… Haba s’est imposé dans l’imaginaire de nombreux parents comme l’éditeur incontournable de jeux pour marmots. Son catalogue a connu des remous, mais, ces dernières années, la firme allemande mérite ses lauriers, notamment grâce à cette collection jouable dès 2 ans. Terminé, le hasard linéaire du classique " Verger ". Dans Une Cuillère pour Martin, par exemple, l’aléatoire du dé est secondé par un impératif de préhension fine : l’enfant doit attraper l’aliment indiqué avec l’ustensile et le fourrer dans le gosier de l’ours gourmand. Dans Abella l’abeille, la face du lancer détermine la couleur de la fleur que l’insecte butine, ensuite glissée dans un toboggan pour se transformer en miel. Les amateurs de cuisine adoreront aussi les légumes et la marmite d’Apprentis cuistots , au matériel ludique, coloré et plaisant à manipuler, Haba ajoute des degrés de lecture multiples : chaque titre jouit de plusieurs panels de règles à suivre, et l’enfant peut grandir en découvrant de nouvelles expériences à partir de la même boîte, la première commençant toujours par du jeulibre  (triturer sans contrainte les accessoires). Cette proposition désacralise l’activité : suivre les règles, d’accord, mais il s’agit avant tout d’expérimenter et de prendre du plaisir.

 

La chasse aux monstres

(Antoine Bauza ● Le Scorpion Masqué ● 3 ans et + ● 16 euros)

Les créateurs et créatrices de jeux de société modernes parviennent à dépoussiérer des mécaniques éculées et archi-connues. Ici, Antoine Bauza réinvente le Mémory en l’agrémentant d’observation : pour chasser les cauchemars qui peuplent la chambre à coucher, il faut retrouver le jouet dont ils ont peur. Une fois éloignée, la créature retourne se loger dans la boîte de jeu : grâce à ses rabats, elle fait office d’armoire. L’occasion pour l’enfant de s’époumoner pour exorciser son anxiété : " au placard, le monstre ! " Avec sa durée modulaire ( il suffit d’adapter le nombre de cartes au temps souhaité), il s’agit d’un rituel idéal pour précéder la mise au lit et éveiller la mémoire tout en se défoulant.

Dali le renard

 

(Vincent Bonnard ● Tiki éditions ● 5 ans et + ● 22 euros)

Pensée comme un objet dès sa genèse, cette boîte contient six glissières accueillant autant de rangées d’œufs que les joueurs, incarnant le renard-peintre, doivent chaparder en associant les dés des couleurs adéquates. L’œuvre initie aussi à la prise de risques : si mon lancer n’affiche que des œufs déjà récoltés, mon larcin s’interrompt et je rentre bredouille. Vincent Bonnard, co-rédacteur en chef de Plato et auteur du jeu, n’ignorait pas la dimension éducative de sa proposition – grâce à Dali, notre testeuse a appris les mélanges des couleurs primaires – mais il est avant tout parti de l’envie de " voir les enfants s’approprier l’objet-jeu autrement qu’en suivant les règles". Ludothécaire jusqu’il y a peu, il a pu observer l’importance d’un matériel solide, dont la manipulation permet l’appropriation : "certains aiment faire tomber les œufs, d’autres s’amusent à les trier et les ranger. On flirte entre le jouet et le jeu, et c’est tant mieux : ces deux utilisations sont complémentaires et rendent indéniablement l’objet plus attractif ".

Bubble Stories

 

(Matthew Dunstan ● Blue Orange ● 4 ans et + ● 10 euros)

Plus fort que le livre dont vous êtes le héros : Matthew Dunstan invente le jeu d’aventure pour petits. Des illustrations sans texte proposent plusieurs destinations, chacune identifiable par des bulles. Pour progresser, l’enfant pointe celle où il souhaite aller. Le parent sélectionne la carte correspondante, qui dévoile un nouveau décor. Sur une île au trésor, à l’école ou au parc d’attractions, il s’agit de remplir une quête mignonne et d’éviter les fausses pistes. Pas d’inquiétude : impossible de perdre. On s’imagine paisiblement des histoires en observant les détails, et on se surprend à revisiter ces chemins balisés encore et encore, pour le plaisir de la rêverie.

La maison des souris

 

(Théo Rivière et Élodie Clément ● Gigamic ● 5 ans et + ● 32 euros)

Palme de l’émerveillement pour ce jeu d’observation dans lequel la boîte occupe un rôle central : on y jette à l’aveugle des reliques de souris (clé, bonbon, pièce…), puis on allume une lampe pendant 30 secondes pour tenter de mémoriser leur emplacement en collant son œil à la fenêtre. Lorsque la lueur se tait, le jeu nous pose une série de questions : quels éléments contenait la salle de bains ? Ces  objets se situent-ils dans la même pièce ? Avec ses quatre niveaux de difficulté, La Maison des souris offre un défi stimulant mais, surtout, un concept original, enthousiasmant et particulièrement bien édité. Comme de nombreux autres titres de cette sélection, sa mécanique coopérative incite au partage d’informations : la demi-minute passe vite et demande de se coordonner entre parents et enfants pour tout apercevoir et retenir.       

Attrape-rêves

 

(Laurent Escoffier et David Franck ● Space Cow ● 4 ans et + ● 20 euros)

Découvert par notre testeuse préférée alors qu’elle n’était âgée que d’un an, Attrape-rêves s’impose comme une référence grâce à ses multiples degrés de lecture. Dans ce jeu d’observation et de prise de risques, l’enfant tente de sélectionner le doudou adéquat pour recouvrir les cauchemars trônant au centre de la table. S’il opte pour le plus grand, il est certain de réussir, mais risque de manquer de peluches volumineuses sur le long terme. Le jeune joueur apprend à gérer sa réserve avec parcimonie. Le matériel du mode compétitif inclut également des jetons illustrés permettant de raconter son rêve, soit autant de bribes d’histoires à improviser collectivement.

Détective Charlie

(Théo Rivière et les Fées Hilares ● Loki ● 7 ans et + ● 20 euros)

Co-auteur de deux œuvres de cette sélection (et d’une quarantaine d’autres !), Théo Rivière insiste : qu’il crée un jeu destiné aux enfants ou aux adultes, sa méthodologie reste identique. " Je n'ai pas de regard ou de ressenti distinct, quel que soit le public. Mon but consiste toujours à faire converger différents éléments vers une chouette expérience de jeu. Il se trouve que de ‘jolies valeurs’, comme la coopération, plaisent bien aux enfants et donc qu'on arrive un peu à faire les deux, mais ce n’est jamais un objectif en soi ". Dans Détective Charlie, on retrouve d’ailleurs le sel des jeux d’enquêtes pour adultes, à la différence qu’on ne cherche pas un meurtrier, mais l’animal qui a repeint la plage en rose ou volé tout le chocolat du village. L’investigatrice féline qu’on incarne à tour de rôle collecte les témoignages en se déplaçant grâce à un dé et élimine petit à petit les suspects, par déduction. Cet univers adorable propose six affaires prenantes et rapides (une quinzaine de minutes). Une extension en ajoute quatre – elle s’intitule Détective Charlie part en vacances. Théo Rivière, lui, n’a pas prévu d’en prendre, tant les jeux « enfants » ont le vent en poupe. Car les éditeurs ont compris une leçon essentielle : quand c’est l’amusement qui innerve l’expérience, même les parents en redemandent !

Note : L’âge conseillé par les éditeurs pour leurs jeux constitue une recommandation, pas une sentence intraitable. Tous les titres présentés (même ceux " à partir de 7 ans " ont été abondamment pratiqués avec une enfant de deux ans et son papa qui  y ont pris énormément de plaisir !) Pour des conseils supplémentaires, pensez à visiter le site spécialisé Plateau Marmots.

Où trouver ces pépites ?

Les boutiques de jeux de société recommandables ne manquent pas en Belgique. Si votre budget se révèle limité, beaucoup de boîtes transitent sur le marché de l’occasion. Au-delà du market place de Facebook et ses groupes publics dédiés par province ou ville, et de quelques bonnes affaires sur Vinted, le site spécialisé Okkazeo fait référence chez les passionnés. Le portail indique le prix moyen auquel s’est vendu chaque article, pour esquiver les tarifs abusifs, et nous n’y avons subi aucune mauvaise surprise malgré de nombreuses transactions. Plus recommandables que les brocantes, où l’on déniche surtout des reliques de grenier incomplètes, les bourses spécialisées en jeux, comme celle du Brussels Games Festival, sont à privilégier pour chiner. Enfin, n’hésitez pas à compter sur les ludothèques de votre région : ces établissements acquièrent de plus en plus de jeux de société  modernes  et demeurent la solution la moins onéreuse – surtout si votre enfant se lasse vite.