Environnement

Militants écolos : pourquoi s'attaquer à l'art?          

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(c)BalgaImage
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Julien Marteleur

Julien Marteleur

Tout a commencé en mai dernier, avec l'entartage de "La Joconde" au musée du Louvre. Quelques mois après cet attentat pâtissier, c'est au tour des " Tournesols" de Van Gogh d'être aspergés de soupe à la Tate Gallery de Londres. "Les Meules" de Monet, "La Jeune Fille à la perle" de Vermeer et, tout récemment, "Le Semeur" de Van Gogh - pauvre Vincent ! – complètent la liste des "victimes" de ces actions coup de poing menées par des militants écologistes. Leur but ? Éveiller les consciences face à la destruction de l'environnement. "Comment vous sentez-vous lorsque vous voyez quelque chose de beau et d'inestimable être détruit sous vos yeux ?”, a interrogé l'un des manifestants devant "La Jeune Fille à la perle". C'est le même sentiment quand vous voyez la planète être détruite." Mais quelle est véritablement la portée de ce vandalisme assumé qui semble faire tache d'huile ?

Message vu… mais pas forcément reçu
Sur les réseaux sociaux, ces "performances" non-violentes font un véritable tabac. La scène des "Tournesols" maculée de soupe à la tomate a par exemple été visionnée plus de 48 millions de fois sur Twitter ! Objectif atteint pour ces collectifs d'activistes, soucieux de sensibiliser le plus grand nombre aux ravages causés par la crise climatique ? Pas si sûr, si l'on en croit la pléthore de commentaires outrés qu'ont suscité le visionnage de ces images. "Il faut souligner le côté inoffensif de ces actions : les œuvres ne sont pas abîmées car elles sont toutes protégées par une vitre qui 'réceptionne' les projectiles qui les visent, analyse la sociologue et chercheuse Anne Bessette au micro de France Culture. Mais le lien entre les actes et les revendications de ces groupes militants semble difficilement compris par le grand public. Actuellement, les avis sont mitigés, y compris chez une partie des écologistes."
En recourant à des protestations aussi polarisantes, les activistes risquent de voir l'opinion publique se retourner contre eux. Ce qui serait contre-productif, estime le sémiologue François Jost. "On ne distingue pas de logique à ce type d'actions. Abîmer – ou faire semblant d'abîmer – un tableau et abîmer la nature, ce sont deux choses totalement différentes. Comment, dès lors, soutenir ce qui ne fait pas sens ?" À l'apparente aberration de ce "geste-discours", vient se greffer une autre pensée : ces œuvres d'art, pures et fragile par essence, ne peuvent pas se défendre. Protégées des outrages du temps durant des centaines d'années, beaucoup crient au sacrilège et s'insurgent de voir ces tableaux servir désormais d'outils de communication dans une lutte qui ne devrait pas se mener dans les couloirs des musées.

Vandalisme et iconoclasme : pas le même combat
Pour l'historien de l'art Bruno Nassim Aboudrar, il faut observer ces actions dégradantes par l'autre bout de la lorgnette : loin de détester ces œuvres d'art, les militants en connaissent au contraire la valeur. "Ils font semblant de s'en prendre à elles. Ils savent bien sûr que ces tableaux sont innocents et que les œuvres sont protégées." Et de distinguer deux attitudes "anti" : l'iconoclasme et le vandalisme. Le premier, rappelle Bruno Nassim Aboudrar, s'en prend à ce que dénote l'œuvre : "Un iconoclaste va par exemple détruire une image qui représente Jésus parce que Jésus est en partie cette image". Dans le vandalisme, c'est la connotation de l'œuvre qui est visée. "On détruira une image pour sa valeur financière, parce qu'elle évoque le pouvoir ou qu'elle plaît à beaucoup de monde."
Quoi qu'il en soit, le timing de ces protestations n'est pas un hasard : elles sont quasiment toutes survenues peu de temps avant le coup d'envoi de la COP 27, qui a débuté en Égypte le 6 novembre dernier. L'intensification du dérèglement climatique pousse les activistes à se mobiliser. "Au fil des décennies, le changement climatique va affecter de plus en plus de personnes, avance Oscar Berglund, spécialiste de l'activisme à l'université de Bristol (Angleterre). Et nous verrons les gens prendre des mesures de plus en plus désespérées." Face au manque d'action du politique, ce désespoir s'exprime aujourd'hui dans les musées. Ces "lieux de conservation" seraient-ils aussi ciblés pour ce qu'ils sont, à l'heure où nous semblons incapables de conserver nos espaces naturels ? Si le message peut paraître maladroit, on peut en tout cas en apprécier l'ironie…