Jeunesse

Mena : histoire de familles (d’accueil)

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Soraya Soussi

Soraya Soussi

Février 2016. Bruxelles. Samir (prénom d'emprunt) a 12 ans quand il débarque en Belgique. Après avoir fui le régime des Talibans en Afghanistan, il est séparé de sa famille en Turquie. C’est au parc Maximilien que des bénévoles le dirigent vers l'Office des étrangers pour s'y enregistrer et effectuer sa demande d'asile en tant que Mena, mineur étranger non-accompagné. C’est la procédure.

Si un jeune, sans famille, se déclare mineur, il est conduit vers un Centre d'observation et d'orientation (COO) de l'Agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile (Fedasil). Cette "première phase" d'observation permet au service des tutelles de vérifier s'il est effectivement mineur et non accompagné (entretiens et test osseux). Si c'est le cas, un tuteur est nommé pour le représenter légalement. Deuxième objectif : établir son profil psycho-médico-social pour l'orienter vers un centre plus adapté à ses besoins. Le mineur attend la réponse à sa demande d’asile dans cette structure d'accueil où il vit en collectivité, bénéficie d'un suivi scolaire, accompagné d'éducateurs qui le préparent à la vie en autonomie ("deuxième phase" de stabilisation). L'attente dans le centre peut durer quelques mois, voire plusieurs années... Si la demande de protection internationale est acceptée, le jeune (âgé d'au moins 16 ans) est orienté vers une initiative locale (ILA) d'un CPAS où il bénéficie de plus de liberté et d'autonomie. Il est préparé à vivre de manière indépendante ("troisième phase" d'autonomie accompagnée). Par contre, à l'âge de 18 ans, et sans permis de séjour, il doit quitter la structure et le réseau d'accueil.

Le service d'Aide à la jeunesse (SAJ) offre aussi la possibilité aux mineurs, qui le souhaitent, de vivre dans une famille d'accueil. L'asbl Mentor Jeunes, subsidiée par le SAJ et Fedasil assure le relais entre les structures, les Mena et les familles d'accueil. Cette association accompagne jusqu'à la majorité du jeune, la famille et le Mena psychologiquement, socialement et administrativement. 

Poser ses valises, enfin

Février 2023. Braine-l'Alleud. Une maison blanche fait face aux rails de train. Le panier de basket accroché sur la façade orne la porte du garage. Nous sommes au bon endroit. À l'intérieur, une délicieuse odeur sucrée de cake sorti du four caresse les narines. Véronique, l'hôtesse de maison nous accueille avec son mari, Philippe. Quelques minutes plus tard, Samir, aujourd'hui âgé de 19 ans, descend de sa chambre.

Après avoir suivi la procédure d'inscription et lancé la demande d'asile, Samira séjourné un mois au centre d'observation à Steenokkerzeel. À l’époque, sa petite frimousse de gamin de 12 ans le dispense des tests osseux, ces examens médicaux destinés à vérifier l’âge des enfants mais qui font polémique car pas toujours fiables. Il est ensuite transféré dans un centre pour Mena à Strainchamps, entre Bastogne et Arlon. Samir n'en a pas de mauvais souvenirs mais il savait qu'il n'irait pas loin dans la vie s'il restait là-bas. Il voulait apprendre le français, étudier la médecine et "tout connaître sur la Belgique". On l’informe alors de la possibilité de vivre en famille d'accueil. Sans savoir ce qui l'attend, Samir en fait la demande.

Une rencontre est organisée entre lui, Philippe et Véronique, accompagnés des travailleurs du centre et d'une travailleuse de l'association Mentor Escale (aujourd'hui Mentor Jeunes). Après plusieurs rencontres, Samir peut officiellement rejoindre sa famille d'accueil. Les mois de route et de vagabondage s'éloignent. Samir dépose enfin ses valises le 2 juillet 2016.

Pas d'intégration sans solidarité

Quelques appréhensions tout de même de part et d'autre : Samir ne parlait pas français, n'avait jamais été à l'école, avait été séparé de sa famille et attendait la réponse de sa régularisation... "Pas la même langue, ni la même culture...Tout était différent. Sans compter les difficultés qu'il a rencontrées sur la route avant d'arriver ici. On pensait vraiment que cela allait être très dur"confie Philippe. Le couple se sentait néanmoins confiant. "Nous avions déjà connu l'expérience de famille d'accueil avec deux filles (non Mena) et nous nous sentions prêts pour une expérience 'plus difficile'. En fait, cela a été tellement plus facile qu'on ne l'avait imaginé", avoue Véronique.

Samir s’avère être un enfant "adorable", respectueux et se montre très motivé. Il apprend rapidement les bases du français pour espérer passer en 6e primaire à la rentrée et obtenir son CEB. La professeure particulière de français, engagée pour l'été, assure à Véronique et à Philippe qu'il réussira à l’obtenir. "J'ai eu énormément de chance à l'école. Mon institutrice m'a beaucoup soutenu et a adapté certains devoirs à mon niveau. J'ai pu à la fois apprendre à mon rythme, tout en travaillant beaucoup pour ne pas être trop en retard. Je ne voulais pas que la moyenne de la classe baisse à cause de moi", se souvient Samir.

Une chaîne de solidarité s'opère autour du garçon, au profit de tous. Les enfants, encouragés par l'institutrice, aident Samir pour les cours et les devoirs. Ce qui leur permet d'assimiler la matière eux-mêmes. "On était la seule classe de 6e à ne pas avoir d'échec", lance fièrement le jeune homme. "À la maison, ses camarades de classe – et pas les plus sages – venaient lui apprendre à jouer à la Playstation", renchérit Véronique. D'autres professeurs de l'école assurent des cours particuliers au garçon. L'envie d'apprendre, le travail de Samir et un soutien collectif lui permettent de réussir son CEB. Samir passe en secondaire ! Il est aujourd’hui en rhéto et a postulé pour effectuer un stage d’observation dans un cabinet de comptable.

Rose et noir

Si l'expérience de Samir et de sa famille d'accueil est positive, le quotidien n'a pas toujours été rose : "Ce sont des enfants qui ont vécu de multiples traumatismes. Samir faisait des cauchemars et criait la nuit quand il est arrivé", raconte Véronique. Autre épisode marquant : un jour, il apprend qu'une bombe est tombée dans le quartier de sa famille. "Ils sont les premiers à recevoir ce genre d'infos et doivent vivre avec cette insécurité"rappelle la maman d'accueil.

"Au début, il y a cette frustration de ne pas pouvoir communiquer comme on le voudrait mais le moment le plus difficile pour moi, c'est quand j'ai reçu un refus pour ma demande d'asile après avoir passé un entretien (1). On a le sentiment d'avoir fait tous ces efforts pour rien. C'est très décourageant." La famille, dévastée par la nouvelle, fait alors appel à une avocate, maître Cécile Ghymers, spécialisée dans la défense des droits des Mena. Elle obtient rapidement l'autorisation de la protection internationale pour Samir.

En 2020, le petit frère de Samir, alors âgé de 16 ans et en transit en Grèce, rejoint la famille d’accueil grâce au regroupement familial. Aujourd'hui, les garçons attendent une réponse pour faire venir leurs parents et leurs deux sœurs. "Le gros défi de demain lorsqu'ils arriveront sera de leur trouver un logement. Car sans cela, cette famille ne peut vivre dignement", conclut Philippe.


La famille d'accueil, un pari gagnant

Depuis 2016, l’asbl Mentor jeunes sensibilise et trouve des famillesd'accueil pour les Mena qui attendent dans des centres de "deuxièmephase". Aujourd’hui, il manque encore des familles dans un contextede crise d’accueil, faute de places dans les centres

L'expérience de la famille d'accueil permet aux enfants et aux jeunes d'obtenir un encadrement sur mesure et offre la possibilité d'apprendre la langue française et la culture du pays d'accueil plus facilement et rapidement que dans un centre. "Dans une famille, le retissage des liens d'attachement est plus favorable à développer. Une fois que le jeune est posé et a recréé des liens sécurisants, il peut plus facilement s'ouvrir vers l'extérieur, explorer son environnement, apprendre plus facilement et devenir acteur de sa vie...", détaille Maryana Vukadinovic, directrice de Mentor jeunes. Être dans une famille, c'est côtoyer une série de gens. La rencontre permet de déconstruire les stéréotypes autour de la situation des migrants. Enfin, un jeune en famille d'accueil sera plus facilement intégré et outillé pour vivre pleinement en autonomie en tant que citoyen à part entière. Depuis la fin des restrictions Covid, la demande des centres pour trouver des familles d'accueil a augmenté, selon l'association. Elle recherche encore des familles pour une cinquantaine de Mena qui attendent de vivre l'expérience de Samir.

Pour devenir famille d'accueil : il est conseillé de participer à une séance d'informations et ensuite remplir le formulaire de demande sur mentorjeunes.be

Infos pratiques : 0493 40 52 84 • info@mentorjeunes.be • rue Souveraine 19 à 1050 Bruxelles ; avenue Sergent Vrithoff 11 à 5000 Namur ; rue du Beau-Mur 48 à 4030 Liège


"Fil rouge", le droit à la rencontre des MENA

Depuis la rentrée académique, les étudiants de la faculté de Droit de Namur participe au projet pédagogique "Fil rouge". L'occasion d'être sensibilisés, entre autres, à la situation des MENA en Belgique.

Sous l'impulsion de Marie-Amélie Delvaux, avocate au barreau de Namur et conférencière depuis 27 ans à la faculté de Droit de l'Université de Namur, les étudiants ont l'opportunité de participer à une série de cours orientés sur l'Enfance et la Migration. "Cette thématique pouvait dépasser les cours strictement liés au droit et être approchés de manière transversale. Nous voulions que les étudiants comprennent ce qu'apporte concrètement le droit au terrain, à des situations concrètes." C'est notamment via l'affaire de Mawda que les étudiants sont mis au parfum. À travers des cas pratiques, des simulations d'audiences judiciaires, les étudiants passent en revue les matières liées aux droits de la jeunesse, aux procédures d'accueil, aux entretiens, aux tests osseux... Progressivement le projet évolue. Grande amatrice de culture, l'avocate avec l'aide de collègues a également programmé diverses activités culturelles en collaboration des structures associatives et culturelles. Pièce de théâtre, expositions, ciné-débat, conférences… sont organisés durant l'année. Des activités engagées sont également mises sur pied comme le projet "Tandem MENA-Etudiant". Des étudiants de droit et des MENA ont la possibilité de se rencontrer, discuter pour tisser des liens. L'objectif est double : sensibiliser les étudiants à la situation des MENA et permettre à des MENA de côtoyer des jeunes de leur âge vivant en Belgique.

Pour en savoir plus sur le projet : unamur.be/droit/fil-rouge


Quelques données supplémentaires (1) :

En 2020


> 70 % des Mena ont entre 16 et 17 ans.
> 27 % ont entre 11 et 15 ans. Ce dernier chiffre serait en augmentation d'après l'asbl Mentor Jeunes.
> 87 % sont des garçons.
> 51 % des Mena signalés aux autorités demandent une protection internationale.

Ils viennent principalement d'Afghanistan, d'Erythrée, du Maroc, d'Algérie et du Soudan.

(1)   Source : Mineursenexil.be