Maladies chroniques

Insuffisance cardiaque : une maladie méconnue              

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Julie Luong

Julie Luong

Son nom est trompeur et sa réalité méconnue. Caractérisée par l’incapacité du cœur à assurer correctement sa fonction de pompe, l’insuffisance cardiaque a des conséquences majeures sur la qualité de vie : fatigue, essoufflement, difficultés à maintenir une activité sociale ou à préserver son autonomie... "L’insuffisance cardiaque, ce n’est pas juste le vieillissement du cœur : c’est une maladie grave qui peut aussi toucher des personnes jeunes", explique le Dr Pierre Troisfontaines, chef du service de cardiologie et responsable du centre de l’insuffisance cardiaque au CHR de la Citadelle à Liège.
L’insuffisance cardiaque touche aujourd’hui plus de 250.000 Belges. 40 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque jour dans le pays (15.000 nouveaux cas par an). Maladie chronique caractérisée par des épisodes aigus, elle représente aussi la première cause d’hospitalisation chez les plus de 65 ans, avec un coût majeur pour la sécurité sociale. "En 2019 en Belgique, on comptait 25.000 hospitalisations pour insuffisance cardiaque avec un coût de 7.000 euros en moyenne par hospitalisation", précise le spécialiste. Or, d’ici 2030, les patients souffrant d’insuffisance cardiaque pourraient augmenter de 30 à 40 %. "Une des raisons de cette augmentation prévisible est la meilleure prise en charge, notamment lors d’un infarctus. On sauve plus de personnes, mais le muscle cardiaque a souffert et une insuffisance cardiaque peut apparaître."

Des causes diverses
La maladie coronarienne et l’hypertension artérielle sont les causes principales de l’insuffisance cardiaque. Sa prévention passe essentiellement par une meilleure hygiène de vie (alimentation, exercice physique, arrêt du tabagisme...) comme pour les autres maladies cardiovasculaires. Cependant, l’insuffisance cardiaque peut aussi être liée à d’autres causes, comme des cardiopathies congénitales, souvent détectées à la naissance, mais qui peuvent devenir de plus en plus invalidantes avec le temps. "Il existe aussi des causes toxiques à l’insuffisance cardiaque, précise le Dr Pierre Troisfontaines. La plus fréquente est l’alcool : chez une personne avec un  problème d’éthylisme sévère, la fonction cardiaque peut s’altérer. L’insuffisance cardiaque peut aussi être la conséquence d’un traitement : certaines chimiothérapies sont à l’origine d’une altération de la fonction cardiaque."

L’insuffisance cardiaque touche aujourd’hui plus de 250.000 Belges. 40 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque jour dans le pays.

Des infections virales ou bactériennes peuvent également être en cause : le Covid a ainsi provoqué certaines myocardites (inflammations du muscle cardiaque) à l’origine d’une insuffisance cardiaque. Il faut aussi mentionner la cardiomyopathie du péri-partum, malheureusement assez méconnue du grand public, ajoute le Dr Pierre Troisfontaines : "Pour des causes diverses, probablement en partie liées à l’augmentation du débit cardiaque, certaines patientes développent une insuffisance cardiaque pendant ou après la grossesse, avec des conséquences qui peuvent être assez dramatiques. Il faut  vraiment intégrer que ce n’est pas une maladie 'de vieux'."

Une fonction de "pompe" altérée
L’insuffisance cardiaque se caractérise par une altération des capacités de contraction (expulsion) ou de relaxation (remplissage) du cœur. Le sang ne peut plus apporter suffisamment d’oxygène et d’éléments nutritifs à l’organisme, provoquant fatigue et essoufflement. Par ailleurs, cette défaillance de la fonction de pompe peut entraîner une accumulation de liquide dans l’organisme, en particulier au niveau des poumons, des jambes et de l’abdomen. Une prise de poids rapide et inexpliquée tout comme un gonflement des chevilles sont ainsi considérés comme des signes possibles d’insuffisance cardiaque. D’autres symptômes comme des réveils nocturnes liés à des difficultés respiratoires, une faiblesse musculaire, des vertiges, des palpitations, une diminution de l’appétit, des nausées ou une intolérance digestive peuvent aussi apparaître. "Outre ces signes cliniques, le médecin va rechercher les preuves d’une anomalie fonctionnelle et structurelle du cœur, précise le Dr Pierre Troisfontaines. La prise de sang peut ainsi montrer une augmentation de marqueurs cardiaques tandis que les radiographies peuvent montrer une augmentation de la taille du cœur."

Dépister plus tôt
L’insuffisance cardiaque est aujourd’hui classée en 4 degrés de gravité suivant les critères établis par la New York Heart Association. Au stade 1, les activités quotidiennes ordinaires n'entraînent pas d'essoufflement ou de fatigue. Au stade 2, l’insuffisance cardiaque entraîne un handicap léger, avec un essoufflement et de la fatigue lors des activités quotidiennes. Au stade 3, les symptômes apparaissent lors de petits efforts mais il n’existe aucune plainte au repos. Au stade 4, tout effort entraîne des symptômes et des plaintes peuvent également survenir au repos.

Le traitement de l’insuffisance cardiaque est avant tout médicamenteux et combine en général plusieurs médicaments.

À terme, la maladie affecte profondément la qualité de vie. "Il faut  sensibiliser le grand public au dépistage , insiste le Dr Pierre Troisfontaines. Le diagnostic et la prise en charge médicale doivent se faire le plus tôt possible, d’autant qu’aujourd’hui nous avons des traitements qui permettent à la fois d’améliorer le pronostic et la qualité de vie."
Le dépistage de l’insuffisance cardiaque est d’autant plus nécessaire que certaines formes, prises à temps, sont réversibles. "En cas de cardiopathie éthylique, le patient, s’il devient totalement abstinent, peut récupérer tout à fait", illustre le spécialiste. C’est également la cas dans le syndrome du cœur brisé (Tako Tsubo) : dans ce syndrome, une émotion forte (deuil, rupture, agression...) entraîne une libération importante des hormones du stress, les catécholamines, qui provoquent des symptômes identiques à ceux d’une crise cardiaque. En règle générale, cette cardiomyopathie induite par le stress se rétablit heureusement en quelques semaines mais nécessite tout de même un suivi étroit.

Une prise en charge multidisciplinaire
Le traitement de l’insuffisance cardiaque est avant tout médicamenteux et combine en général plusieurs médicaments. Les doses devront le plus souvent être augmentées au fil du temps afin de maintenir les effets bénéfiques du traitement. Dans certains cas, l’implantation d’un pacemaker ou de défibrillateurs internes peut être envisagée, de même que certaines interventions chirurgicales (pontage aorto-coronarien, chirurgie valvulaire ou transplantation cardiaque).
"Il faut surtout privilégier l’aspect multidisciplinaire de la prise en charge, qui a montré son efficacité pour limiter les hospitalisations , souligne le Dr Pierre Troisfontaines. La revalidation cardiaque va permettre de proposer au patient des exercices adaptés afin de stabiliser la maladie : une personne qui a une insuffisance cardiaque sévère ne peut pas aller courir tous les jours, il faut que l’exercice soit encadré ! Il s’agit aussi d’agir sur les comorbidités comme le diabète ou l’insuffisance rénale en traitant le patient dans sa globalité grâce à l’aide d’une diététicienne, d’un kiné, d’un psychologue, etc." Être bien entouré est  d’autant plus nécessaire que l’insuffisance cardiaque est souvent vécue comme une épée de Damoclès, avec des impacts importants sur le moral et la capacité du patient à se projeter dans l’avenir. "Même si c’est une maladie grave, sa progression peut être limitée et une certaine qualité de vie préservée", conclut le Dr Pierre Troisfontaines.

>> Pour en savoir plus :
Ligue cardiologique belge ● Groupe de travail belge sur l'insuffisance cardiaque (BWGHF) ● Site d’information sur l’insuffisance cardiaque à destination des patients par la Société européenne de cardiologie 

Cancer et insuffisance cardiaque

Chez les patients qui guérissent de leur cancer, la première cause de mortalité est cardiovasculaire. D’abord parce que les maladies cardiovasculaires et le cancer partagent de nombreux facteurs de risque mais aussi parce que les traitements oncologiques eux-mêmes présentent une toxicité pour le cœur. La radiothérapie thoracique peut ainsi toucher les valves cardiaques. Par ailleurs, les nouvelles thérapies ciblées qui permettent de combattre certains cancers au stade métastatique ont souvent des effets délétères sur le cœur. "C’est pourquoi il existe aujourd’hui des consultations spécialisées d’onco-cardiologie qui permettent de suivre les patients traités pour un cancer", explique le Dr Pierre Troisfontaines.

La fraction d’éjection
L’insuffisance cardiaque est classée en trois catégories, qui permettent d’orienter le traitement. Ce classement se fait en fonction de la " fraction d’éjection ", qui désigne la force des ventricules et leur capacité à se vider à chaque battement de cœur. Cette fraction d’éjection est mesurée grâce à l’échographie ou à la scintigraphie. Si la capacité de pompage est réduite, avec un volume d’éjection inférieur à 40 %, on parle d’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection réduite (ICFER). En revanche, si le principal problème concerne une relaxation anormale qui empêche la cavité de se remplir mais que le volume d’éjection est supérieur à 50 %, on parle d’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection préservée (ICFEP). Il existe également une insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection modérément altérée : cette forme intermédiaire désigne la présence d’un volume d’éjection entre 40 et 49 % et s’observe souvent chez les patients dont la fraction d’éjection réduite a été améliorée grâce au traitement.