Vie sexuelle et affective

Se reconstruire après un viol
 

5 min.
(c) Rita Renoir -
(c) Rita Renoir - "Anthèse"
Candice Leblanc

Candice Leblanc

"Les violences sexuelles et le viol en particulier sont une négation de l’autre en tant qu’être humain, analyse Joëlle Delmarcelle, psychologue à SOS Viol. L’agresseur annule une personne en tant que sujet pour la réduire à l’état d’objet. C’est souvent très destructeur pour la victime, un véritable point de rupture dans son existence. L’estime de soi, le rapport à soi, à son corps, mais aussi aux autres, au monde et à la vie en général en sont profondément altérés. C’est tout cela qui doit être soigné et reconstruit." Toute violence peut traumatiser, poursuit sa consœur Céline Janssens, psychologue et sexologue indépendante. Mais ce sont bel et bien les violences sexuelles qui sont les plus traumatogènes."

Les conséquences d’un viol

Les conséquences d’une agression sexuelle varient d’un individu à l’autre et évoluent au fil du temps. La dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM V) distingue trois grandes temporalités :

  • Les symptômes de stress dépassé apparaissent endéans le mois suivant l’agression: difficultés à en parler, pensées intrusives, images qui tournent en boucle, angoisses profondes, etc.
  • Le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) peut survenir après quelques semaines, des mois, voire des années. Un faisceau de symptômes (voir encadré) génère des attaques anxieuses et dépressives qui assombrissent la vie quotidienne.    
  • Au bout de deux ans, sans prise en charge adéquate, les affects anxieux et dépressifs peuvent modifier la personnalité. Une personne autrefois optimiste et extravertie peut devenir pessimiste et se refermer durablement sur elle-même.    

Amnésie et déni

Il arrive que le choc psychique soit si violent que le cerveau, incapable de l’appréhender, l’oblitère. C’est l’amnésie traumatique, particulièrement fréquente quand les violences sont infligées durant l’enfance. Les souvenirs sont “enterrés” et ressortent des années, voire des décennies plus tard.

Il peut aussi y avoir du déni, un mécanisme de défense qui consiste à nier la réalité de ce qui s’est passé. Lili, par exemple, a mis des années à admettre qu’elle avait été victime de viol conjugal. Pour Zoé*, poser ce mot sur le rapport sexuel que lui a imposé un "pote" après une soirée arrosée n’a pas été facile non plus. "Se rendre compte de ce que l’on a subi est une étape importante, commente Céline Janssens. Et si en parler peut générer son lot de difficultés, à terme, garder le silence blesse davantage."

Respecter le rythme de la personne

Encore faut-il que la parole de la victime soit entendue et accueillie de façon adéquate ! "L’entourage a souvent des idées préconçues sur ce qu’il conviendrait de faire : porter plainte, entamer une thérapie au plus vite, etc., constate Catherine Hailliez, psychologue à SOS Viol. Or, il est essentiel de respecter les besoins et le rythme de la victime. Il n’est jamais trop tôt ni trop tard pour entamer un travail thérapeutique, mais le bon moment, c’est celui choisi par la personne." "J’admire les gens qui arrivent à demander de l’aide tout de suite, mais ce n’est pas la majorité, estime Céline Janssens qui a exercé dans un Centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS). Outre le déni ou l’amnésie traumatique, les violences sexuelles sont associées à de forts sentiments de honte et de culpabilité, qui sont autant de freins à une demande d’aide. Cela dit, l’être humain a d’étonnantes capacités d’adaptation. Toutes les victimes mettent en place des stratégies, positives ou négatives, pour survivre à leur trauma. Quand elles entament un suivi thérapeutique, elles ne partent jamais de zéro. Notre rôle, en tant que psychothérapeute, est de composer avec ce qui est déjà là."

Les spécificités de la parole thérapeutique   

Tout suivi thérapeutique est basé sur la parole, mais pas n’importe laquelle : "Ce n’est pas du bavardage !, précise Joëlle Delmarcelle. À la différence d’une conversation avec une amie, par exemple, la parole psychothérapeutique est d’abord et avant tout un outil qui s’élabore autour d’un pari : faire émerger ce qui bloque et, le cas échéant, le débloquer, rouvrir le champ des possibles vers l’extérieur. La parole ne suffit pas si elle n’est pas au service de la dynamique du vivant. Exemple : la peur – une thématique centrale et récurrente – est tout à fait normale. Elle a d’ailleurs une fonction protectrice. C’est être paralysé par elle, s’empêcher de faire et de vivre certaines choses qui est source de souffrances. L’enjeu est alors de la reconnaitre, de la (re)mettre à sa juste place et de l’utiliser à bon escient. Ce n’est pas facile : le chemin peut être long et laborieux, mais chaque personne a des ressources qui peuvent être identifiées et mobilisées dans ce sens." 

D’autres approches à valeur thérapeutique

"Aller chez un psy" n’est pas un passage obligé pour se reconstruire après des violences sexuelles. Il existe mille et une façons d’exprimer et apaiser la souffrance et de dépasser le trauma. "L’écriture, les arts plastiques, la danse, le théâtre, le sport, la religion, la philosophie… toutes ces options sont sur la table et chacune a potentiellement une valeur thérapeutique, commente Catherine Hailliez. Mais il n’y a pas de 'recette miracle' universelle. L’enjeu, pour la personne, est d’identifier les approches qui lui font du bien, renforcent son estime d’elle-même, l’aident à choisir la vie et à rejoindre cette communauté humaine dont elle s’est sentie exclue par son agresseur."

Si elles peuvent s'avérer salutaires, il faut toutefois manier avec prudence les approches impliquant des contacts corporels tels que la danse, le yoga, le self-défense ou encore les pratiques type reiki (1). "Le toucher est une question délicate, car le corps se souvient, poursuit la psychologue de SOS Viol. Certaines victimes gardent des souvenirs quasi physiques de l’agression (sensations d’étouffement, d'oppression, d’étranglement, etc.) qui peuvent être réactivés ou remonter à la surface suite à un geste à priori anodin." 

Panser une sexualité blessée

Sans surprise, l’intimité sexuelle est très souvent au cœur des difficultés rencontrées par les victimes. Certaines refusent tout rapport. Pour d’autres, c’est le contraire. "Après le viol, j’ai été… exubérante, confie Zoé. Je sortais beaucoup et je multipliais les aventures. Je crois que j’avais besoin de me prouver que ça ne me détruirait pas, que j’étais plus forte que mon agresseur…" Selon Joëlle Delmarcelle, tant le rejet de la sexualité que l’hypersexualité témoignent d'une même souffrance : "La personne tente de retrouver les repères qu'elle a perdus. Multiplier les expériences et/ou les partenaires peut ainsi être une tentative – plus ou moins efficace et potentiellement délétère – de retrouver le libre arbitre dont elle a été privée. Ça peut aussi être une manière de tester l’autre, de voir comment il l’accueille et la traite…"

Naturellement, tomber sur des partenaires bienveillants, qui comprennent et respectent le consentement, font preuve de patience, de compréhension et de douceur favorise le retour à une sexualité heureuse, délivrée du trauma. C’est le cas de Zoé ou encore de Manon, la témoin de notre podcast, qui ont retrouvé l’amour et la sérénité. Elles n’oublieront jamais l’agression dont elles ont été victimes, mais cet épisode ne dicte plus leur vie. Ces femmes sont les preuves vivantes que les violences sexuelles ne détruisent pas tout et ne sont pas une condamnation à mort du bonheur : au bout du tunnel, aussi ténébreux soit-il, il est toujours possible de retrouver la lumière…


Podcast : " Manon : La reconquête du corps"

À 14 ans, Manon a subi une agression sexuelle qui a eu un impact délétère sur son rapport aux hommes et à son propre corps. C’est à travers la parole, le reiki et la pole dance qu’elle a trouvé le chemin de la guérison. Écoutez son témoignage.

Comment se traduit un syndrome de stress post-traumatique ?

Le SSPT comporte 4 grandes catégories de symptômes :
  • L’hyperactivité neurovégétative (excitation excessive) se manifeste par de l’hypervigilance, de hauts niveaux de stress, des épisodes de colère, des troubles du sommeil et de la concentration, etc.
  • La reviviscence traumatique : la personne revit en permanence l’évènement via des pensées intrusives, des flashbacks, des hallucinations, des cauchemars, etc.
  • L’évitement de tout ce qui est susceptible de rappeler l’agression : lieux, (groupes de) personnes, discussions, etc.
  • Des altérations de la mémoire, du plaisir (notamment dans les activités qui, auparavant, en procuraient), des émotions (honte, culpabilité, etc.), des croyances ou encore de la façon dont la victime se perçoit et perçoit les autres.

Les enfants peuvent également présenter des retards dans l’apprentissage de la propreté, de la motricité et/ou du langage.

Pour en savoir plus ...

Où trouver de l'aide ?

  • SOS Viol propose des consultations psychologiques et sociales individualisées, une ligne téléphonique anonyme et gratuite (0800 98 100) et, depuis peu, un tchat en ligne sur sosviol.be.
  • Les Centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) proposent un accompagnement médical, psychologique et/ou judiciaire aux victimes. Dans la partie francophone du pays, il existe trois CPVS : au CHU Saint-Pierre de Bruxelles, au CHU de Liège et au CHU Marie Curie de Charleroi. D’autres vont bientôt voir le jour. Plus d’infos sur violencessexuelles.be