Soins de santé

Fascias : un réseau insoupçonné     

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Que peut-on attendre réellement de la fasciathérapie ? (c)AdobeStock
Que peut-on attendre réellement de la fasciathérapie ? (c)AdobeStock
Julie Luong

Julie Luong

Ce sont les oubliés des cours d’anatomie : les fascias sont pourtant présents dans l’ensemble du corps et essentiels à son bon fonctionnement, à notre bien-être et à notre mobilité. Ils représentent jusqu’à 16 % de notre poids. Translucides, d’aspect gélatineux et constitués principalement de collagène (comme les tendons et les ligaments), ils sont l’enveloppe de nos muscles mais aussi le fil qui les relie ensemble de manière complexe, semblable à une toile d’araignée. "Les fascias nous font saisir que notre corps est un système de communication qui fonctionne de sorte qu’aucune de ses zones n’est jamais isolée, qu’un choc à un endroit retentit toujours sur un autre endroit, même à distance. Le corps réagit, le corps s’adapte en continu et mobilise toujours la globalité corporelle. Chaque segment est informé de ce qui se passe ailleurs", avance Nadine Quéré, kinésithérapeute et fasciathérapeute, autrice de "Soigner son corps avec les fascias (Éditions du Dauphin, 2022)". "Plus que de simples fibres connectant un point à un autre pour en maintenir la cohésion, les fascias sont surtout des réseaux vivants de connexions et de communications. Ils sont comme des antennes du corps."

Chaînes musculaires
Pour certains thérapeutes, les fascias seraient donc la grille d’analyse manquante pour comprendre l’origine de certaines douleurs, les liens entre stress émotionnels et symptômes physiques, entre corps et esprit. Travailler ses fascias permettrait éprouver son corps différemment, de retrouver de l’énergie, de se sentir plus ancré, "mieux dans sa peau". "Grâce à leur élasticité et leur tonicité, les fascias absorbent et répartissent de manière harmonieuse les chocs physiques et psychologiques auxquels nous sommes continuellement soumis, explique ainsi l’association FasciaFrance. Leur tension excessive ou leur crispation permet d’expliquer l’apparition de douleurs, de troubles fonctionnels parfois médicalement non expliqués ou même de mal-être."
Aujourd’hui, le rôle central des fascias dans le bien-être global reste difficile à confirmer du point de vue de la "médecine fondée sur des preuves" ( evidence based medicine ). Mais l’existence de plusieurs "chaînes musculaires" – aussi appelées " chaînes de Myers " – reliant, par les fascias, des zones très éloignées du corps est en revanche attestée. "Les études de dissection cadavérique de Myers ont permis de montrer que certains fascias étaient connectés ensemble", confirme Anh Phong Nguyen, kinésithérapeute et chercheur à l’UCLouvain. Car si des médecins aussi célèbres que Bichat avaient déjà, à la fin du 18e siècle, mis le doigt sur les fascias, l’Américain Thomas Myers, auteur de "Anatomy Trains" (Elsevier, 2018), est l’un des premiers à avoir proposé une description précise de ces connexions. Traditionnellement, l’anatomie considère que les muscles sont des entités isolées : Myers les voit davantage comme un réseau organisé selon certaines "lignes corporelles", à la manière des voies qui constituent un réseau de chemin de fer. Ce qui a bien sûr des conséquences en termes de prise en charge puisque travailler un muscle douloureux implique dès lors de travailler toute la chaîne dont ce muscle fait partie...

Soulager les douleurs
Par définition, "tous les kinés travaillent sur les fascias", précise Anh Phong Nguyen. Nul besoin d’être fasciathérapeute pour prendre en compte ce composant lors d’une approche manuelle. "Quand vous faites un massage, vous faites de la fasciathérapie, souligne le chercheur. Quand vous vous étirez, vous faites aussi de la fasciathérapie. L’étirement est même la technique qui a le plus gros impact physique sur les fascias car en fait, on n’étire jamais les muscles et les tendons... mais les fascias."
Néanmoins, aujourd’hui, la fasciathérapie a le vent en poupe, notamment dans le cas de douleurs aiguës ou chroniques (causées par l’arthrose, les lombalgies, la fibromyalgie, le cancer...), de troubles digestifs, de migraines ou d’anxiété. S’il existe plusieurs approches différentes, la plus connue est celle développée dans les années 80 par le Français Danis Bois, kinésithérapeute et ostéopathe. Cette approche manuelle repose sur un bilan des zones de crispation fasciales, après quoi le fasciathérapeute va effectuer des mouvements lents et des pressions particulièrement douces, visant à redonner au fascia sa mobilité et sa souplesse.
Même si la science n’a à ce jour pas pu démontrer l’efficacité de la fasciathérapie pour "soigner", pour Anh Phong Nguyen, elle est en revanche indéniablement efficace pour "soulager". "La fasciathérapie, c’est littéralement la thérapie qui soigne les fascias pour améliorer la fonction. Or, nous, les kinés, nous travaillons éventuellement des déficits structurels mais surtout des déficits fonctionnels. De manière générale, on sait que la thérapie physique – les kinés, les chiropracteurs, les ostéopathes –, c’est la meilleure thérapie au monde après les médicaments pour soulager les symptômes", rappelle-t-il. S’il est important de ne pas placer d’espoir disproportionné dans ces approches, les exclure ne serait pas non plus un bon calcul poursuit Anh Phong Nguyen. Et de souligner l’importance de la relation thérapeutique, quelle que soit l’approche choisie. "Les patients qui ont des douleurs chroniques ont souvent aussi une modification de la perception de la douleur. Or n’importe quelle thérapie – par le simple fait d’être accompagné – va agir sur ce système de perception de la douleur. L’effet placebo entre en ligne de compte mais le résultat est que vous avez toutes les chances de ressortir du cabinet avec moins de douleurs !"

Bouger pour ses fascias
Au quotidien, il existe une manière simple de prendre soin de ses fascias : bouger. "D’abord, en cas de douleurs chroniques, bouger grâce à quelqu’un d’autre, que ce soit un fasciathérapeute, un kiné etc. Ensuite, il faut essayer de bouger soi-même de manière active pour faire chauffer et mobiliser les muscles."  Bouger et surtout éviter de rester assis toute la journée... "Il faut lutter contre la sédentarité, car on peut être actif et sédentaire ! Être sédentaire, ça veut dire être assis ou couché plus de huit heures par jour en situation diurne. Et la sédentarité est le facteur majeur de réduction d’autonomie et de risque de décès non traumatique de l’être humain moderne. Si vous êtes assis 9 heures par jour, il faudrait que vous fassiez 75 minutes d’activité modérée quotidiennement pour compenser, ce qui est beaucoup... Éviter la sédentarité – favoriser les bureaux debout, les meetings en se promenant, les marches dînatoires – devrait donc être à l’avant-plan en termes de santé publique. C’est ça qui permet de prendre soin de ses os, de ses muscles... et de ses fascias."