Prévention

Les promesses des compléments alimentaires 

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(c) Adobe Stock
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Candice Leblanc

Candice Leblanc

Renforcer le système immunitaire, perdre du poids, soulager les jambes lourdes, booster la mémoire, calmer le stress, aider à dormir, assouplir les articulations… Les compléments alimentaires promettent bien des choses ! En théorie, ces gélules, ampoules, poudres et autres gouttes sont censées compléter les apports alimentaires… sans pour autant s’y substituer. C’est un point sur lequel les autorités sanitaires, les professionnels de la santé et même les associations représentant le secteur des compléments alimentaires s’accordent : pour avoir tous les minéraux et vitamines – ce que l’on appelle les micronutriments – nécessaires à une bonne santé, rien ne remplace ni ne vaut une alimentation saine, variée et équilibrée. Oui, mais voilà : tout le monde ne suit pas les recommandations en la matière, loin de là !

Cibler ses (vrais) besoins

Selon la dernière étude menée sur la question (1), les Belges consomment, par exemple, 255 g de fruits et légumes par jour en moyenne. Or, nous devrions en manger au moins 400 g, soit l’équivalent de cinq portions. La plupart d’entre nous ne consomment pas non plus assez de légumineuses (lentilles, pois chiches, etc.) ni de noix et graines, sources précieuses de micronutriments et de bons acides gras. En revanche, nous mangeons trop de sel, trop de sucres et trop de graisses. Dans ces circonstances, pas étonnant qu’une partie significative de la population n’atteigne pas les apports journaliers recommandés pour chaque micronutriment et, le cas échéant, développe l’une ou l’autre carence… Surtout celles et ceux qui ont des besoins spécifiques accrus. Exemples : le calcium pour les personnes atteintes d’ostéoporose, la vitamine B12 (que l’on trouve principalement dans les viandes) pour les végétariens et végétaliens, l’acide folique que l’on prescrit souvent aux femmes enceintes ou désireuses de l’être, etc. Bref, un apport supplémentaire en vitamines et/ou minéraux peut être utile pour (ré)atteindre l’équilibre.

Encore faut-il identifier le(s) micronutriment(s) dont nous manquons exactement ! Pour le savoir, il n’y a qu’un moyen : demander à son médecin un bilan sanguin. En effet, faire une cure de vitamines et/ou minéraux quand on a "assez de tout" est parfaitement inutile. Au mieux, notre organisme éliminera le surplus. Au pire, on s’expose à de potentiels effets secondaires indésirables. Certains produits entrent même en interaction avec certains traitements, notamment anticancer. Raison pour laquelle il ne faudrait jamais prendre de complément alimentaire sans en parler au préalable à un professionnel de la santé.  

Qu’est-ce qu’une allégation ? 

Les compléments alimentaires contiennent généralement des vitamines, des minéraux, des plantes ou d’autres substances, censés posséder des caractéristiques particulières et avoir un effet (positif) sur l’organisme. Les firmes qui commercialisent ces produits communiquent d’ailleurs abondamment à ce sujet. Il existe deux types d’allégations :

  • Les allégations de santé renvoient à un effet de la denrée ou l’un de ses constituants sur une fonction du corps. Exemple : "Le calcium est nécessaire au maintien d’une bonne ossature".
  • Les allégations nutritionnelles renvoient plutôt au contenu énergétique de la denrée ou à son contenu en nutriments ou autres substances. Exemples : un aliment light, "riche en calcium", "pauvre en sel", etc.

Comme expliqué sur le site du SPF Santé publique, si "ces allégations peuvent constituer un renseignement utile pour les consommateurs comme pour les professionnels de la santé en vue de mieux cerner certaines caractéristiques d’un aliment ou rechercher des effets spécifiques", elles sont aussi "utilisées comme argument de vente" par les firmes. Il convient donc de s’assurer qu’elles sont véridiques.

Le trajet d’une allégation

Depuis 2007, un règlement européen définit les critères et pratiques concernant les allégations nutritionnelles et de santé. Entre autres, celles-ci ne peuvent être fausses, trompeuses ou ambigües ni encourager la consommation excessive d’un aliment. Elles doivent aussi reposer sur des preuves scientifiques reconnues et sont soumises à des conditions strictes d’utilisation. Exemple : l’allégation "allégé en…" n’est autorisée que si la réduction en calories, en sucres ou en matières grasses est inférieure d’au moins 30 % par rapport aux produits similaires non light.

Quant aux allégations de santé, elles sont très encadrées et doivent suivre tout un trajet institutionnel. "Si une firme veut utiliser une nouvelle allégation pour un produit, elle doit d’abord déposer un dossier au niveau européen, explique Vinciane Charlier, porte-parole du SPF Santé publique. L’allégation de santé est ensuite évaluée par l’Autorité européenne de Sécurité des aliments (EFSA) qui émet un avis (2). Enfin, la Commission européenne puis les États membres décident si, oui ou non, ils autorisent l’allégation de santé." À l’heure actuelle, environ 2.500 allégations ont été approuvées au niveau européen. Cette liste est en constante évolution. Ainsi, les vertus de nombre de plantes sont encore en cours d’évaluation. 

Akkermansia : un cas d’école

Si l’autorisation est gérée au niveau européen, les contrôles se font au niveau national. En Belgique, trois instances peuvent intervenir pour des infractions liées aux allégations : l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaine alimentaire (AFSCA), l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) et le SPF Économie. Des plaintes peuvent aussi être introduites par ou auprès du SPF Santé publique, comme le complément alimentaire à base d’Akkermansia muciniphila en a récemment fait l'expérience.

Développée par des chercheurs de l’UCLouvain et mise sur le marché belge début septembre, cette bactérie intestinale pasteurisée faisait état dans certaines communications, notamment sur le site web de la firme et sur les présentoirs en pharmacie (3) d’un impact positif sur la perte de poids. Il s’agit là d’une allégation de santé non autorisée. Et pour cause : en septembre, aucun dossier concernant Akkermansia n’avait été déposé au niveau européen. Cela ne signifie pas forcément que la bactérie est inefficace. Les premiers essais cliniques – qui doivent toutefois être confirmés par d’autres études – suggéraient un effet positif d’une cure de trois mois sur certains paramètres métaboliques. Simplement, ces allégations de santé n’ayant pas (encore) été évaluées et approuvées par l’EFSA, "la firme n’a pas le droit de communiquer en induisant un quelconque effet de Akkermansia Muciniphila sur la santé, précise Aline Van den Broeck, porte-parole de l’AFSCA. Nous suivons ce dossier de très près et le traitons en profondeur. Une sanction telle qu’un avertissement, un procès-verbal ou une amende à l’encontre de cette firme pourrait suivre (…) Notre message aux consommateurs est le suivant : si quelque chose est trop beau pour être vrai, méfiez-vous !"

 


 

Et les médicaments, alors ?

Au niveau réglementaire, l’une des grandes différences entre un complément alimentaire et un médicament tient au trajet (beaucoup plus long, complexe et cher !) que le second doit suivre avant d’être autorisé sur le marché. Si une firme pharmaceutique souhaite commercialiser un nouveau médicament en Europe, elle doit soumettre un dossier à l’Agence européenne du médicament (EMA). Ce dossier doit notamment contenir les résultats exhaustifs de trois phases d’essais cliniques (c’est-à-dire menés sur des êtres humains).

  • La phase 1 vise à déterminer la dose biologiquement active d’une nouvelle molécule chez l’humain, ainsi que la dose maximale tolérée par celui-ci. L’idée est de vérifier si l’on obtient les mêmes effets positifs que les tests réalisés au préalable en laboratoire. Les essais cliniques de phase 1 sont menés sur un tout petit nombre de patients atteints de la maladie visée, souvent après avoir épuisé toutes les options thérapeutiques.
  • La phase 2 a pour but de démontrer et de mesurer le degré d’efficacité de la nouvelle molécule par rapport au traitement standard ou au placébo. Ces essais sont souvent randomisés, "en double aveugle". Cela signifie qu’un groupe de patients tirés au hasard reçoit la nouvelle molécule tandis qu’un autre groupe reçoit le traitement standard ou un placébo. Ni les participants ni les médecins qui coordonnent l’étude ne savent qui reçoit quoi, afin de garantir l’impartialité des résultats.
  • La phase 3, menée à large échelle sur des milliers de patients, vise à confirmer les résultats de la phase 2 tout en répertoriant et documentant les effets secondaires indésirables. L’EMA y est très attentive.  

L’EMA épluche ces études, vérifie les données et demande parfois des renseignements complémentaires à la firme. Si tout est en ordre et scientifiquement concluant, elle délivre une autorisation de mise sur le marché (AMM) européen. C’est alors aux autorités nationales d’autoriser la commercialisation du médicament sur leur territoire et de décider de son éventuel remboursement.

Après avoir reçu l’AMM, les firmes pharmaceutiques mènent souvent des études de phase 4. En effet, les données de la vie réelle sont très utiles pour détecter d’éventuels nouveaux effets indésirables et pour mesurer l’efficacité à long terme d’un traitement.