Médicaments

Essais cliniques : où sont les femmes ?

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Les femmes âgées ne représenteraient que 33 % des volontaires (c) Photo Adobe Stock
Les femmes âgées ne représenteraient que 33 % des volontaires (c) Photo Adobe Stock
Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

Prescrit pour l'insuffisance cardiaque, la digoxine améliore le pompage du cœur. Mais, si les essais cliniques ont montré une diminution du risque d'hospitalisation chez les patients, une étude réalisée par après observe l'inverse chez les patientes (probablement parce que les causes de la maladie tendent à être différentes chez les femmes) !

Depuis les années 90, l'impact du sexe sur la manière dont les maladies se contractent et se développent fait l'objet d'une prise de conscience scientifique. Le sexe influence aussi le traitement et la façon dont les médicaments circulent dans l'organisme. À taille et poids équivalent, la concentration sanguine et le temps d'élimination sont souvent plus élevés chez les femmes, amenant certains chercheurs à penser qu’elles seraient globalement victimes de surdosage et d'effets secondaires.

Evidence male science

Dès lors, pourquoi les femmes ont-elles été si longtemps absentes des études cliniques ? Dans les années 60, le scandale du Thalidomide frappe les esprits. Cet anti-nauséeux prescrit aux femmes enceintes se révèle être à l'origine de malformations congénitales. La peur d'une nouvelle affaire est telle que les femmes, même sous contraception, se voient exclues de tous les essais.

À quoi s'ajoutent des considérations bassement pratiques. L'influence des cycles hormonaux complique considérablement le travail d'analyse statistique. Même lorsque les femmes sont incluses, il n'est pas rare aujourd'hui encore que les conclusions publiées ne précisent rien sur les résultats en fonction du sexe.  

L'Europe à la traine

En 1993, une loi américaine impose aux responsables dans la recherche publique de respecter la parité, reconnaissant enfin aux femmes le droit de juger des risques et prendre des décisions pour leur santé. En Europe, il faudra attendre… 2014 pour voir entrer un petit paragraphe dans la réglementation précisant que les essais "devraient être représentatifs des catégories de populations, par exemple le sexe et le groupe d'âge, susceptibles d'utiliser le médicament". Dans la pratique toutefois, cette disposition reste invérifiable puisqu'aucune donnée n'est enregistrée !

Du côté de l'EMA, on se retranche derrière une analyse réalisée par l'ICH sur 84 demandes de mise sur le marché déposées entre 2001 et 2003, montrant que "dans l’ensemble" (sic) les femmes étaient adéquatement représentées. D'autres études concordent pourtant vers des conclusions bien différentes. L'analyse de 300 essais cliniques publiés dans les bases de données Cochrane et PubMed en 2017 montre, par exemple, que le taux médian global de participation des femmes dépasse à peine 40 % et diminue avec l'âge (33 % pour les femmes de plus de 63 ans). "Cette population de femmes âgées représente une grande proportion des bénéficiaires de médicaments et de traitements dans le monde réel", alarment les auteurs. 

Frites, chocolat et essais cliniques

Avec plus de 500 études cliniques lancées chaque année, la Belgique occupe la troisième place du podium européen et entend y rester. Face à la concurrence, le secteur veut faire de la représentativité des femmes un sujet d’expertise. "Nous voulons mieux comprendre la situation sur le terrain et on réfléchit aussi à l'accès des publics fragiles ou âgés qui ne peuvent pas se déplacer vers les hôpitaux, détaille Nathalie Lambot, spécialiste des essais cliniques pour pharma.be, l'association de l'industrie du médicament. La médecine du futur s'oriente vers une personnalisation des traitements. On sait que certaines maladies s'expriment différemment en fonction du sexe, de l'âge, de la génétique, des conditions de vie. C'est aussi une manière pour nous de rester un acteur innovant et attractif." La diversité, tout le monde y gagne.