Editos

Rompre le cercle vicieux de la pénurie de soignants 
 

3 min.
Absentéisme, surcharge de travail, turn-over, burn-out, déshumanisation des soins… Les pénuries dégradent les conditions de travail (c) Adobe Stock
Absentéisme, surcharge de travail, turn-over, burn-out, déshumanisation des soins… Les pénuries dégradent les conditions de travail (c) Adobe Stock
Alexandre Verhamme, directeur général de la MC

Alexandre Verhamme, directeur général de la MC

"Médecin de famille". L'expression tend à paraître désuète dans un monde où les familles n'habitent plus les mêmes villages et où l'on peut évaluer son thérapeute d’un clic en ligne comme un chauffeur Uber. Si elle dégage un petit parfum nostalgique, la figure du médecin généraliste n'a pourtant pas tellement changé. Il reste celui qui nous accompagne tout au long de la vie, qui sait écouter les plaintes du corps, mais aussi celles de l'âme. Pour lui, les confidences comptent parfois plus que les diagnostics. Dans une société où les soins sont devenus de plus en plus performants, mais aussi techniques et spécialisés, il reste le représentant d'une médecine qui prend en compte l'humain dans sa globalité.

Le métier eut pourtant se révéler ingrat. La charge administrative pèse de plus en plus lourd, au détriment de la relation thérapeutique. Sans compter l'agressivité croissante démontrée par certains patients. En six ans, l'ordre des médecins a recensé 330 cas d'agressions verbales ou physiques contre des médecins. Un phénomène en augmentation et vraisemblablement sous-estimé

Les pénuries dégradent les conditions de travail, qui a leur tour, détériorent l'attractivité des métiers. 

La population vieillit. Les médecins aussi. De nombreux généralistes approchent l'âge de la pension et la relève n'est plus toujours prête à accepter les mêmes sacrifices que ses aînés en termes de disponibilité. Selon un sondage réalisé en ligne par l'hebdomadaire "Medisphère" cet été, six médecins sur dix ne prendraient plus de nouveaux patients. Si on ne parle pas (encore) de pénurie stricto sensu, "d’ici quelques années, nous risquons d’avoir de gros problèmes d’accessibilité aux soins", prédit Jean Macq, professeur en santé publique à l'UCLouvain dans une interview journal Le Soir.  

Repenser la première ligne

Au printemps, le gouvernement wallon lançait les "Assises de la première ligne" (Proxisanté), invitant associations de patients et soignants de proximité (généralistes, infirmières et infirmiers à domicile, kinés, pharmaciens, etc.) à exprimer leurs souhaits pour améliorer la santé des citoyens. Dans le même esprit, à Bruxelles, le gouvernement a dégagé un budget de 7,5 millions d'euros pour 2023 afin de "mieux coordonner les acteurs de la santé et rapprocher du système de soin ceux qui en sont le plus éloignés."

Il faut rompre le cercle vicieux au plus vite pour redonner aux métiers de la santé l'attractivité qu'ils méritent.

Renforcer les soins de première ligne (à distinguer de la seconde ligne qui fait référence entre autres aux soins hospitaliers, aux spécialistes en cabinet et à l’hôpital) ne peut évidemment se faire sans renforcer les métiers essentiels qui la portent. Si l'objectif de ces grands chantiers n'est pas directement de lutter contre les pénuries, les ambitions y répondent en partie. La première ligne, telle qu'elle y est esquissée, repose sur des territoires de soins, permettant de mutualiser les forces entre les prestataires. Il est question, par exemple, de financer du temps de coordination entre les différents métiers. Ce qui permettrait, notamment, une meilleure répartition des rôles. L'échelle du territoire peut aussi permettre de répondre plus finement aux besoins locaux. La réalité des pénuries ne s'exprime pas de la même manière selon que l'on se situe dans une commune rurale ou un quartier pauvre d'une ville.

Last but not least, rappelons que les acteurs de la prévention et de la promotion de la santé doivent être pleinement intégrés à ces réflexions. On ne peut en effet agir d'un côté pour assurer une offre de soins en suffisance, sans investir de l'autre pour endiguer les besoins. Comme le rappelle la sagesse populaire, mieux vaut prévenir que guérir.

Un enjeu de santé publique

Absentéisme, surcharge de travail, turn-over, burn-out, déshumanisation des soins… Les pénuries dégradent les conditions de travail, qui a leur tour, détériorent l'attractivité des métiers. Dans les hôpitaux, les échos du terrain ne sont guère réjouissants. On peine à recruter des infirmières, mais aussi des urgentistes, des gériatres, des techniciens en radiologie… 

Il faut rompre le cercle vicieux au plus vite pour redonner aux métiers de la santé l'attractivité qu'ils méritent. Il ne s'agit pas seulement de parler de financement, mais de rythme, de disponibilité, de respect, de sens... Évitons de rejouer avec le secteur de la santé la partie de "football panique" à laquelle nous assistons aujourd'hui autour de dossiers comme celui des pensions ou de la crise climatique. Ces enjeux sont annoncés, dénoncés, prévisibles de longue date... La population vieillit. Les soignants désertent la profession. Former du personnel compétent prend du temps….  Il est temps de se coordonner entre toutes les entités du pays pour ne pas se faire rattraper par l'urgence et inscrire le temps politique dans une vision sur le long terme.  Sans quoi la pilule pourrait être amèr

Le risque, si nous n'anticipons pas, est de creuser le fossé d'une médecine à deux vitesses, où les employeurs se livreraient une concurrence féroce pour recruter les meilleurs soignants et les patients les plus nantis trouveraient toujours un moyen de se faire soigner en priorité, s'ils y mettent les moyens.