Pour une transition juste
 

Ce mercredi 8 juin, le Parlement européen a voté la fin de la vente des véhicules thermiques (moteurs à essence, diesel ou hybrides) après 2035. L’amendement "Ferrari" prévoit toutefois que les voitures produites à moins de 1.000 exemplaires, soit des véhicules exclusifs de très grand luxe, seront exemptés. L’impact de cet amendement ne pèsera peut-être pas lourd en termes d’émission carbone. Mais si ce "permis de polluer" est confirmé, le signal serait désastreux sur le plan symbolique.  

Le dernier rapport du Giec est sans équivoque : les trois années à venir seront cruciales pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre et éviter de dépasser le seuil de 1,5 C° de réchauffement. Au-delà de cette température, les conséquences des dérèglements climatiques risquent de mettre les capacités d’adaptation de nos sociétés à mal. Que nous le voulions ou non, nous ne ferons pas l’impasse sur des modifications profondes de nos manières de consommer et de produire.

Le changement ne peut se faire aux dépens des populations les plus vulnérables, qui aujourd’hui déjà sont les premières à pâtir de la situation.

Les crises qui se succèdent depuis deux ans sonnent comme autant d’avertissements. Les zoonoses qui se développent quand on détruit les forêts, les inondations qui nous montrent que le dérèglement du climat n’est plus une abstraction, la guerre en Ukraine qui nous rappelle que les ressources énergétiques viennent parfois de dictatures sanguinaires... La réponse à ces crises ne peut se faire au cas par cas, elle appelle de manière globale à repenser nos sociétés individualistes et consuméristes. Mais le changement ne peut se faire aux dépens des populations les plus vulnérables, qui aujourd’hui déjà sont les premières à pâtir de la situation. Les politiques environnementales ne peuvent pas être une route à deux vitesses, où une minorité continuent à faire pétarader son moteur pendant que les autres se serrent la ceinture…

Penser l’emploi 

Dans huit mois, la Belgique doit présenter sa nouvelle version du Plan énergie climat à la Commission européenne. Ce plan détaille comment la Belgique apportera sa contribution pour atteindre les objectifs climatiques défini lors des accords de Paris. Notre petit pays est attendu au tournant. En 2021, son premier plan avait été sévèrement critiqué par la Commission européenne, qui pointait notamment des lacunes concernant "la création d'emplois, la formation, la manière de toucher les groupes les plus démunis de la société, ou encore les efforts pour réduire la pauvreté énergétique."

Les 197 pays présents à la Cop26 à Glasgow, dont la Belgique, se sont engagés à intégrer le concept de transition juste dans leurs politiques climatiques. "Si l’actualisation du plan climat belge est l’occasion de doter le pays d’ambitions à la hauteur de ce qui est attendu face au défi climatique, elle est aussi l’opportunité d’intégrer concrètement les questions sociales aux questions climatiques", rappelle la coalition climat dans une carte blanche récente, qui compte la MC parmi ses signataires. 

Le concept de transition juste, aujourd’hui repris par l’Organisation internationale du travail, a vu le jour dans le mouvement syndical américain de l’industrie fossile avec pour but de dépasser l’opposition entre emploi et environnement. Il s’agit également de renforcer le dialogue social, la participation des travailleurs, la lutte contre les discriminations…  

Une étude coordonnée par l’université d’Oxford montre qu’une transition vers une Belgique bas carbone pourrait aboutir à la création nette de 80.000 emplois. Des emplois non délocalisables, pour des personnes essentiellement peu ou moyennement qualifiées, comme le pointe une autre étude commandée par la Commission européenne.  Mais ces emplois sur le papier ne se concrétiseront pas par magie, relève la coalition climat : "Notre pays a déjà connu des transformations économiques radicales mais mal préparées qui ont laissé des milliers de travailleuses et travailleurs sur le carreau. On pense bien sûr à la fin des charbonnages en Wallonie et en Flandre. Si l’on veut éviter un bis repetita, la transition juste ne doit pas rester un vœu pieu manquant de moyens et de cohérence." 

"Notre modèle social a longtemps été un exemple, adaptons-le pour qu’il le reste dans ce contexte nouveau." Coalition climat

Des pays comme l’Écosse et les Pays-Bas ont déjà commencé à se préparer à cette transition juste, l’un en créant une commission spéciale, l’autre, en développant une cartographie de l’emploi. En Belgique - c’est un premier pas à saluer, la ministre du Climat Zakia Khattabi vient de lancer les États généraux de la transition juste. Une vingtaine d’experts des domaines du social, de l’économie, de l’innovation démocratique et des sciences de la terre ont été mandaté pour formuler des propositions concrètes. Parmi les enjeux, souligne la ministre, se pose aussi la question de la sécurité sociale. Comment la financer dans un système dont la croissance "traditionnelle" n’est plus le moteur principal ? Comment la renforcer pour faire face aux nouveaux besoins engendrés par les crises environnementale et sanitaire ? "Tant les enjeux de justice fiscale que de transition écologique veulent que la base d’imposition de la fiscalité change. Nous devons dès lors anticiper et orienter ce tax shift si nous voulons garantir nos standards de protection sociale", rappelle la ministre dans une carte blanche publiée dans Le Vif.   

La Belgique ne peut à elle seule sauver le climat, mais elle peut devenir un exemple pour le monde en montrant comment concilier climat et objectifs sociaux, plaide pour sa part la coalition climat : "Notre modèle social a longtemps été un exemple, adaptons-le pour qu’il le reste dans ce contexte nouveau."