Editos

Pour une société qui ne rende plus malade

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Elisabeth Degryse, Vice-présidente de la MC

Elisabeth Degryse, Vice-présidente de la MC

"La santé mentale, carrefour d’inégalités". La journée d’étude organisée par la MC le jeudi 27 avril dernier sur ce thème a, une nouvelle fois, montré l’importance des moments d’échanges. Cet évènement venait poursuivre les réflexions et analyses provenant de plusieurs études menées pendant un an par nos experts et expertes sur la santé mentale. Longtemps, ces problèmes ont fait l’objet d’un tabou. Cela ne peut plus durer ! La gestion de la santé mentale ne peut plus être considérée comme un problème personnel. C’est désormais un enjeu de société, de santé publique. En effet, 33% des Belges présentent des difficultés psychologiques témoignant d’un mal-être, selon Sciensano. Nos propres données indiquent que 15 % des membres de la MC ont eu recours à des soins de santé mentale en 2022.
La présentation de Richard Wilkinson, expert pour l’OMS, lors de notre journée d’étude le démontre : l’ensemble des inégalités socio-économiques contribue fortement aux inégalités de santé et influence négativement la santé mentale. "Les inégalités de revenus affectent la qualité de nos relations sociales, de la vie communautaire, le souci que nous pouvons avoir les uns des autres… Les recherches sur le bonheur démontrent que le nombre d’amis, le fait d’être impliqué dans des relations sociales, est crucial pour la santé", plaide l'épidémiologiste britannique ("Pour vivre zen, vivons égaux", En Marche, 18 novembre 2020).

L’ensemble des inégalités socio-économiques contribue fortement aux inégalités de santé et influence négativement la santé mentale.

Renforcer l'accessibilité des soins

Les chiffres de la MC (1) confirment les propos de Mr Wilkinson : en 2019, le risque d’être admis en hôpital psychiatrique était 2,8 fois plus important pour les habitants des quartiers pauvres que des quartiers riches. C'est d’autant plus interpellant que le public précarisé est aussi le plus difficile à atteindre et donc à aider.
Une autre réalité importante parfois encore passée sous silence ou minimisée est l’impact sur les jeunes et leur santé mentale de ce que nous vivons depuis quatre ans : une "permacrise", une crise permanente. En 2021, 6 % des membres MC âgés entre 18 et 29 ans ont eu recours aux soins de santé mentale ambulatoire. Cette génération corona aura vécu très jeune une forme intense d’anxiété, d’angoisse, de solitude, de stress générant ensuite des troubles de l’alimentation, voire des tendances suicidaires. Ici aussi nous ne pouvons le cacher, la situation est grave, d’autant qu’il y aura un effet retard indéniable. Écoutons les jeunes et soyons vigilants.

Les freins sont encore trop nombreux pour accéder aux soins de santé mentale. Les démarches à effectuer pour savoir à qui s’adresser ne sont pas évidentes pour tout le monde. Les délais pour être pris en charge par un psychologue de première ligne sont trop longs. Les places manquent dans les différents services résidentiels ou d’urgence. Le coût reste une barrière importante tout autant que la honte et les tabous. Dire que l’on souffre et demander de l’aide ne vont pas nécessairement de soi.

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Un enjeu collectif

Heureusement, les choses évoluent doucement. Ainsi les psychologues cliniciens sont de plus en plus nombreux à se conventionner auprès de leur réseau de santé mentale et pratiquent ainsi les tarifs officiels des psychologues de première ligne. En février 2023, on dénombrait 3.441 psychologues de première ligne. Ils n'étaient que 1.898 en juin 2022. Le patient débourse 11 euros pour une consultation chez un psychologue de première ligne. Le patient qui bénéficie de l'intervention majorée (statut BIM) ne paie que 4 euros. Ce sont des pas dans la bonne direction pour rendre les soins psychologiques accessibles à tous. Il faut le souligner.
Notre responsabilité collective est aussi de lutter contre les nombreux facteurs de risques. Parmi eux, la précarité financière est souvent déterminante. Nous devons donc activement réfléchir, concevoir et mettre en oeuvre des politiques visant à lutter contre la pauvreté et renforcer les mesures qui existent comme le Maximum à facturer, le statut BIM, etc.
En matière de santé mentale, la prévention est essentielle. Elle offre le meilleur retour sur investissement, qu’il s’agisse des mesures améliorant le bien-être au travail, de l’éducation à la santé mentale dès le plus jeune âge, de l'apprentissage à prendre soin de soi, des soins préventifs… La MC s’engage à poursuivre sur cette voie pour faire évoluer les choses.
En conclusion, le besoin de réforme est désormais criant. Nous devons nous interroger sur la manière de construire une société qui réponde à l’ensemble des défis : climatiques, sociaux, économiques et de santé… C’est en travaillant tous ensemble à une vision de société qu’on s’attaquera aussi aux causes qui génèrent les problèmes de santé mentale.

Notre rôle, comme mouvement social, comme co-gestionnaire du système de santé, est de pouvoir contribuer à la con struction d’une société que ne rende plus malade et qui redonne tout son sens à la place de chacun.


(1) "Inégaux face à la santé. Étude quantitative des inégalités économiques relatives à la santé et à l’utilisation des soins de santé par les membres de la MC", Hervé Avalosse, Clara Noirhomme et Sophie Cès, Service d'étude de la MC, Santé &Société, décembre 2022.