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Dring Dring : à la rencontre de la Flandre

5 min.
©Camille Toussaint
©Camille Toussaint
Soraya Soussi

Soraya Soussi

Un air d’accordéon diatonique, une sonnette de vélo retentissante suivis d’un “Dag allemaal” d’Aubry Touriel, journaliste liégeois, spécialisé sur les questions liées à la Flandre, présentent la série de podcasts Dring Dring. Sur leurs petites reines, Aubry Touriel et Jef Van den Bossche, photographe anversois, ont sillonné les cinq provinces de Flandre. Pour les cinq ans de Daar Daar (voir ci-dessous), le jeune journaliste et son équipe ont donné la parole à leurs lecteurs francophones : “On s’est rendu compte que nos lecteurs avaient beaucoup de questions sur les Flamands. On leur a donc demandé d’en formuler une série sur base d’une seule question qu’on leur a envoyé au préalable : ‘si vous rencontrez un ou une Flamande, qu’est-ce que vous lui demanderiez ?’ On a récolté une centaine de questions à partir desquelles j’ai créé cinq thématiques qui ont constitué les cinq épisodes de Dring Dring : Les Flamands sont -ils racistes ? ; Les Flamands et Belges francophones sont-ils si différents ? ; Être Flamand, c’est quoi ? ; Que savent les Flamands sur les Wallons et les Bruxellois ? ; Les Flamands veulent-ils la fin de la Belgique ? ”, détaille-t-il.

On y parle politique, culture, identité mais c’est aussi l’occasion pour les auditeurs francophones d’entendre des histoires de vies, du quotidien. Histoire d’un café, d’une ferme, d’un voisin d’ici ou d’ailleurs… Dring Dring dresse un véritable portrait aux multiples facettes de la Flandre et construit des ponts entre les communautés pour mieux se comprendre, sans forcément tomber d’accord.

Voyage sonore à deux roues : duo parfait

Le podcast est un format neuf pour Daar Daar. Mais il avait tout son intérêt pour le projet culturel et journalistique d’Aubry Touriel. “Vu que je traversais les différentes provinces flamandes à la rencontre des habitants, il fallait que cela s’entende. Un Limbourgeois ne parle pas de la même manière qu’un ‘West vlaams’ ou qu’un Anversois. Le son permet de percevoir ces différences. À travers les expressions ou l’accent, par exemple. Un des clichés c’est que les Limbourgeois sont plus lents quand ils parlent. Ce sont un peu les Namurois de Flandre”, plaisante le journaliste.

En moyenne, le duo a parcouru 300 km. Des forêts de la campine anversoise, en passant par les champs du Westhoek, le mur de Grammont, les Ardennes flamandes… Objectif : traverser les cinq provinces du nord du pays pour poser les cinq questions des francophones aux Flamands rencontrés. Le tout, à vélo ! Un mode de déplacement écologique qui permet de se déplacer rapidement, tout en ayant la liberté de s’arrêter et prendre le temps de rencontrer les personnes croisées sur la route. Aubry Touriel complète : “Le vélo transmet la notion de voyage dans le podcast.” Avoir choisi le vélo, c’est rendre compte d’un symbole pour le journaliste : “Le cyclisme est complètement inté gré dans la culture flamande. C’est quelque chose que j’ai découvert lors de mon Erasmus à Anvers. La plupart des Flamands font absolument tout à vélo. On allait même en boîte de nuit à vélo !”, se souvient-il.

En voyageant à deux roues, les deux compères ont également pu dormir chez l’habitant via la plateforme Welcome to my garden qui permet aux personnes qui voyagent à mobilité douce (à pied, à vélo ou en transports en commun) de camper gratuitement avec une tente, dans le jardin des hôtes. Une autre façon de faire des rencontres intéressantes et de découvrir une région et son patrimoine culturel et historique. Aubry Touriel prend pour exemple la Vlooyberg Tower, dans le Brabant flamand : “C’est une tour panoramique, enfin, c’est plus un escalier qui n’a pas de pied. On a l’impression que l’escalier ne tient à rien. Ce monument est très connu parce qu’il apparait dans ‘Callboys’, une série flamande très populaire.”

La couche de lasagne dure à cuire ?

“C’est quoi, être Flamand ?” À cette question, toutes les personnes rencontrées lors du périple n’ont évidemment pas la même réponse. Elle pourrait être posée à d’autres communautés, d’autres nationalités : “c’est quoi, être francophone ? Wallon ? Belge ? etc.” Selon son histoire, ses habitudes de vie, ses origines, la région dans laquelle on vit, en ville, en campagne, les réponses divergent. Mais les stéréotypes persistent en Belgique francophone et parfois au sein des communautés elles-mêmes. À titre d’exemple, Mohamed Ouaamari, l’un des experts présents dans les différents podcasts et auteur du livre Groetjes uit vlaanderen, (NDLR : Salutations de Flandre) y analyse son rapport à la Flandre en tant que Flamand, d’origine marocaine. Lorsque le journaliste le rencontre, il définit brièvement cette théorie de “cou che de lasagne” dans des sociétés pluri-identitaires. Une couche égale une identité : “Je suis d’origine marocaine, je viens du Rif, je suis aussi Belge, Flamand, Anversois, musulman, etc. Aubry Touriel poursuit : “Mais la seule couche avec laquelle il rencontrait plus de difficultés, c’était son côté flamand. L’auteur a donc cherché à comprendre ce sentiment.”Mohamed Ouaamari rend compte d’un lien étroit entre la culture et la politique en Flandre. “Si on parle d’identité flamande, on entre dans un débat très politisé. En Flandre, tout ce qui concerne la culture et l’identité flamande est souvent lié à la politique alors que ce n’est pas automatiquement le cas. Si on parle de la culture flamande, on peut parler de musique ou de littérature, par exemple. Quand on aborde l’identité flamande, j’ai l’impression qu’on va entamer un débat sur la politique, sur la fin de la Belgique, sur la NVA versus le PS. L’objectif de mon livre est de séparer la culture de la politique.”

Le réalisateur Jan Verheyden, autre expert de Dring Dring, revient sur un bout d’histoire médiatique flamande qui est devenue politique. “En 1989, VTM lance sa première émission sur les écrans flamands. Avant cela, la plupart des Flamands regardaient la télévision néerlandaise. Nous étions très liés à cette culture. Peu après, la VRT, la chaîne publique flamande, est apparue. Les liens culturels néerlandais se sont fragilisés en un an et le concept de ‘bekende vlaming’ (NDLR ‘flamand connu’) s’est alors développé. Dépourvu de tout sens politique au départ, ce concept a été récupéré par le politique en kidnappant le terme ‘vlaming’ (‘flamand’) par des partis fermés d’esprit...” Pour lui, la culture a été instrumentalisée par le politique.

La cohésion avant tout !

Si les frontières linguistiques existent et que les cultures et mentalités divergent dans un aussi petit pays que la Belgique, il est à rappeler que la multiculturalité associée aux identités plurielles est universelle et constitue l’essence même des sociétés actuelles. Pour Aubry Touriel, ce qui importe, c’est la création d’espaces de dialogue, d’échange, de fenêtres sur ce qui se passe de l’autre côté de la frontière linguistique. Un rôle que les médias pourraient endosser davantage, comme l’explique le journaliste : “Je pense qu’il faut quand même stimuler les gens sur des aspects inconnus ou peu connus. Sinon, ils ne vont peut-être pas d’eux-mêmes s’y intéresser.” C’est la mission que s’est donnée Aubry Touriel avec Daar Daar : construire des ponts qui ouvrent des fenêtres et nous font nous rencontrer dans notre diversité.


Daar Daar, c’est quoi ?

Il y a cinq ans, une bande de jeunes journalistes bilingues, ont créé une plateforme en ligne, avec pour ambition de “proposer le meilleur de la presse flamande en français”. Chaque jour, les journalistes sélectionnent un ou deux articles de la presse néerlandophone pour permettre aux francophones de mieux comprendre ce qu’il se passe au nord du pays. Pour Aubry Touriel, même si les médias francophones commencent à s’intéresser un peu plus à la Flandre, “certains journalistes qui couvrent l’actu néerlandophone le font avec un regard de francophone.” Il regrette que certains stéréotypes restent véhiculés. Sur Daar Daar, le lien est direct entre ce que les journalistes et les leaders d’opinion flamands écrivent et ce qui est traduit en français. Une sorte de Courrier international, version belge. Autre objectif, “montrer que le Flamand ou les Flamands n’existent pas. La société flamande dispose d’une diversité énorme. Il faut arrêter de dire ‘le Flamand pense ça ou ci’”, martèle Aubry Touriel. À moyen terme, Daar Daar ambitionne de traduire la presse francophone pour les néerlandophones. “Lors de mes rencontres, beaucoup de Flamands disaient ne pas con naître la Belgique francophone (cultures, médias, etc.) et seraient intéressés d’en savoir davantage”, conclut le journaliste.