Arts

Prendre soin d'un corps d'artiste

2 min.
© UP Rocio Garrote et Nur Cimenci
© UP Rocio Garrote et Nur Cimenci
Sandrine Cosentino

Sandrine Cosentino

"Après mes entrainements, en rentrant chez moi, je ne savais plus bouger tellement cela avait été intense", se souvient Catherine Magis, fondatrice du centre international UP – Circus & Performing Arts, le nouveau nom de l’Espace Catastrophe. D'abord attirée par le théâtre, elle trouve dans le cirque une autre manière de bouger et de s'exprimer. Intrépide, acrobate et équilibriste, elle n'a peur de rien et certainement pas de s'exercer inlassablement. À l'École du cirque de Bruxelles, elle est suivie par un entraineur de gymnastique. "Grâce à lui, j'ai fait d'énormes progrès mais la préparation n'était pas celle que j'aurais dû avoir pour performer sur du long terme", constate-t-elle aujourd'hui. Elle poursuit sa formation à Montréal où l'accent est porté sur les performances et elle accumule les petits bobos. "Je n'avais pas encore la conscience ou les moyens de prendre soin de mon outil de travail qui est mon corps", reconnait-elle bien volontiers. De retour en Belgique, boulimique du cirque et de travail, elle joue partout, quelles que soient les conditions. Lors du spectacle "Peter Pan", alors qu'elle enchaine les représentations, elle ressent un blocage au dos. "Lorsque j'ai consulté un médecin, il a diagnostiqué une fracture de la colonne vertébrale. J'étais dans un sale état. J'avais 25 ans et une carrière en pleine ascension."

Un corps invité sans cesse à se dépasser

Un concertiste pratique son instrument pendant de longues heures sans être conscient de l'exigence à laquelle son corps est soumis. Un circassien déjoue les lois de la gravité pour aller plus haut, plus fort, plus vite. Un danseur cherche à atteindre la perfection du mouvement. Les corps d'artistes sont soumis à rude épreuve et il n'est pas toujours facile d'en prendre soin. Musicien, journaliste et ancien rédacteur en chef du magazine Cirq en capitale, Laurent Ancion s'est questionné sur l'impact de l'exploit corporel et a constaté des changements dans le milieu. "Aujourd'hui, l'artiste, dès l'école, sait qu'il n'a qu'un corps et qu'il ne peut pas le brûler", explique-t-il dans le dossier "Nos limites, le corps à l'épreuve du cirque", alors qu'avant, seule la performance comptait quel que soit le prix à payer. À l'École supérieure des arts du cirque, il n'est pas question de lésiner sur la prévention. Koen Walravens y est kinésithérapeute et préparateur physique. Il donne également cours d'anatomie et d'hygiène de vie. "Le plus important est de trouver l’équilibre entre travail et récupération. Sans une bonne préparation et du repos, le corps finit par casser ! Chacun doit trouver sa propre manière de fonctionner pour se respecter."

Parler des blessures

"Il y a les inévitables : des coups, des brûlures, des hématomes. Ensuite, il y a les 'tu vas devoir serrer les dents' comme les tendinites, les douleurs articulaires, les douleurs inexplicables. Et enfin les 't'avais pas prévu de t'arrêter' comme les entorses et les fractures." Le spectacle "Le membre fantôme" de la compagnie Bancale évoque sans détour les risques que les artistes prennent chaque jour dans leur métier. Suite à son amputation, Karim Randé a créé en 2018 cette compagnie pour montrer comment un corps fragilisé devient un corps unique. Il raconte son histoire dans le podcast d'En Marche, Inspirations ("Les maux d'un circassien" à écouter sur enmarche.be).

Quant à Catherine Magis, elle n'a jamais caché qu'elle était toute cabossée : "J'avais un corset, le bras en écharpe et j'étais aphone. J'ai cherché d'autres moyens de transmettre, de gérer un groupe en étant attentive à tout ce à quoi j'aurais dû faire attention avant." Son énergie débordante, qu'elle ne pouvait plus déployer sur la scène, lui a permis de rebondir et de créer, il y a bientôt 30 ans, le premier lieu dédié aux professionnels des arts de la scène.