Bien être

Kintsugi : un autre regard sur les fêlures de la vie 

3 min.
Soraya Soussi

Soraya Soussi

"Les résultats ne sont pas bons. Les analyses révèlent la présence de cellules anormales." Le diagnostic est posé : c'est un cancer. Une douche froide qui vous glace le sang. Difficile de faire preuve d'optimisme ou de résilience après ce genre d'annonce. C'est pourtant ce que la société attend de nous. Puisqu'elle a une sainte horreur de la maladie, évocation de la mort, de la fragilité des corps... Nous aimons la beauté, la solidité, la stabilité, ce qui est heureux. Un cancer ne l'est pas. À aucun niveau. Ce rejet du "laid" et l'autoprotection face à l'incertitude se traduisent de différentes façons chez l'être humain. Face à l’annonce d'une maladie, l’entourage, inquiet, tente d'être rassurant en tenant des discours remplis d'espoir, sans savoir s'il y en a forcément un : "Je connais une personne qui a eu le même cancer que toi et elle s'en est sortie indemne."A contrario, d'autres, soudainement devenus plus experts que les experts, feront comme si l’on était déjà hors circuit : "Tu en as pour un moment à mon avis." D'autres encore agiront comme si de rien n'était.

Une fois débarrassé du cancer, l'envie de reprendre une vie que la maladie nous a confisquée est intense. Vite, revenir au beau, au fort, au stable, au joyeux ! Mais les cicatrices sont là. Une cicatrice raconte un événement, une partie de la vie d'une personne. Elle est la trace indélébile d'une blessure. Celle-ci peut être physique, comme la cicatrice d'une coupure, des vergetures, une maladie, l'amputation d'un membre... Parfois, elle peut se transformer en handicap ou en complexe important. Et puis, il y a les blessures invisibles, celles qui marquent notre for intérieur et forgent notre personnalité, notre perception du monde, notre rapport aux autres. Par exemple, lorsqu'on vit un traumatisme, une rupture amoureuse ou amicale, un deuil, lorsqu'on est victime d'une agression, etc.

Boris Cyrulnik introduit en France le concept de "résilience" issu de la culture américaine comme étant "la capacité à réussir, à vivre, à se développer en dépit de l'adversité." Pour l'auteur français, "le malheur n'est jamais pur malheur, ni même le bonheur." Il faut néanmoins du temps pour faire preuve de résilience. La philosophie du kintsugi offre des clés pratiques afin d'atteindre cet état qui permet d'aller de l'avant.

Un travail lent et minutieux

L'une des premières étapes du kintsugi consiste à rassembler les morceaux de l’objet brisé et à les nettoyer. Psychologiquement, il s'agit de faire le point, de prendre de la hauteur sur un événement malheureux. Parfois, prendre un morceau d'une autre pièce peut aider à compléter l'objet. Chez une personne, cette démarche se traduit par l'ouverture aux autres et encourage à sortir de sa zone de confort pour découvrir de nouvelles facettes de sa personnalité. Dans son livre Kintsugi, l'art de la résilience, Céline Santini, auteure française d’une vingtaine d’ouvrages sur le développement personnel, justifie cette phase d'ouverture à l'autre : "On a tous tendance à vivre replié sur nous-même, en parcourant les mêmes circuits familiers. Mais c'est souvent hors de notre zone de confort qu'il se passe les expériences les plus enrichissantes."(1) Ensuite, il faut colmater les fissures et les poncer. Une phase de laquage avec de l'urushi, une composition japonaise toute particulière (2), est appliquée pour enfin saupoudrer d'or les fêlures.

 "On a tous tendance à vivre replié sur nous-même, en parcourant les mêmes circuits familiers. Mais c'est souvent hors de notre zone de confort qu'il se passe les expériences les plus enrichissantes."

Dans un monde standardisé et lisse, il est difficile d'accepter ses imperfections. Or, ce sont les marques de la vie qui dessinent notre singularité. Ces étapes permettent d'un point de vue philosophique, non pas de mettre de l'énergie et du temps à cacher ses imperfections mais à assumer ses complexes, à se servir de ses fragilités pour les accepter et en tirer une force. Le kintsugi invite la personne à prendre le temps de faire de son histoire une expérience extraordinaire aussi difficile soit-elle. Une épreuve comme un cancer peut vous briser. Mais elle a également et, paradoxalement, le pouvoir de vous enrichir, dans votre rapport à vous-même, aux autres, au corps, à la vie. Il s'agit non plus de répondre à ce que la société attend de nous mais de répondre à soi-même.