Santé mentale

Fameuse ou fumeuse, la cigarette électronique ?

La cigarette électronique fait parler d’elle, intrigue. Présentée comme une alternative moins nocive que le tabac consumé, elle n’est pourtant pas sans danger, et sa toxicité est encore mal connue. Surtout, elle reste la doublure parfaite de la cigarette classique tant elle normalise l’enfumage et le tabagisme.

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© Philippe Turpin/Belpress
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Joëlle Delvaux

Joëlle Delvaux

Moins fréquemment utilisée chez nous que chez nos voisins français, la cigarette électronique fait cependant de plus en plus d’adeptes, notamment parmi les jeunes branchés et anciens fumeurs de tabac. C’est le cas de Sébastien, la trentaine, qui a découvert la cigarette électronique il y a près d’un an et demi alors qu’il fumait un paquet de cigarettes par jour. A la fois curieux de découvrir une nouvelle expérience et désireux d’arrêter de fumer, il a acheté son premier kit sur internet et s’est mis à vapoter (terme utilisé par la communauté des utilisateurs pour se distinguer des fumeurs).

Au début, j’ai commencé avec des flacons contenant de la nicotine. Puis, au fur et à mesure, j’ai diminué la dose et ajouté des arômes aux liquides que je prépare moi-même. Maintenant, je me passe complètement de nicotine et je me sens beaucoup mieux physiquement. C’est confirmé d’ailleurs par les tests que j’ai passés chez le pneumologue”. Sébastien s’estime sevré du tabac. Mais il n’envisage pas d’arrêter la cigarette électronique pour autant. “Je vapote par plaisir. Cela étant, je déconseillerais à tout non-fumeur de se mettre à la cigarette électronique. Et j’attends avec impatience les résultats d’études concernant les effets sur la santé des produits inhalés”.

Le parcours de Franck est similaire. Grand fumeur, il s’est tourné l’été passé vers l’e-cigarette (comme on l’appelle parfois aussi) dans l’espoir d’en finir avec le tabac… et ses rechutes successives. Il a choisi expressément un modèle de cigarette assez épais pour ne pas pouvoir la tenir entre son index et son majeur. “Je voulais volontairement ne plus avoir les mêmes réflexes que lorsque je fumais, témoigne-t-il. J’ai assez vite senti des effets positifs : moins essoufflé, moins de toux… Mais je conserve la même dose de nicotine qu’au début. Je sais que c’est un poison, une drogue, même si je vapote moins que je ne fumais. Je crois que la prochaine étape, pour moi, ce sera d’arrêter la cigarette électronique plutôt que de réduire ou de supprimer la nicotine des liquides”. Quand? Franck ne se prononce pas. Il envisage toutefois de se faire aider par un tabacologue pour augmenter les chances de réussite de son sevrage.

Illégales pour la plupart

Fabriquées massivement en Chine, les cigarettes électroniques sont aujourd’hui mises sur le marché sans contrôle sanitaire spécifique par les pouvoirs publics, comme l’ont précisé récemment l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) et le SPF Santé publique, dans un communiqué(1). La qualité et la sécurité des produits ne sont donc nullement garanties. Pourquoi cette absence de contrôle sanitaire?

La plupart des e-cigarettes sont vendues de manière illégale sur des sites web étrangers, sur des marchés, lors de festivals de musique... La législation belge prévoit, en effet, que les produits qui contiennent de la nicotine ou font mention d’indications thérapeutiques comme “aide au sevrage tabagique” (qu’elles contiennent ou non de la nicotine) doivent avoir le statut de médicament pour être mis sur le marché, comme c’est le cas pour les produits de substitution au tabac (patchs, chewing-gums, inhalateurs…)(2).

Pour obtenir cette autorisation, le fabricant doit prouver la qualité, la sécurité et l’efficacité des produits. A l’heure actuelle, aucune autorisation comme médicament n’a été délivrée en Belgique pour la vente et la publicité de telles cigarettes électroniques.

Autre possibilité de légalisation: l’enregistrement comme produit du tabac, auprès du SPF Santé publique, de cigarettes électroniques contenant des extraits de tabac ou dont la nicotine provient du tabac. Chez nous, un seul produit a été enregistré comme tel, ce qui le soumet aux mêmes obligations et restrictions que la cigarette classique.

Enfin, la vente de cigarettes électroniques sans nicotine en tant que ‘simples’ produits de consommation est possible, y compris en pharmacie. Elle relève alors de la réglementation sur la sécurité des produits mis sur le marché. Les firmes qui commercialisent de tels produits se gardent d’évoquer des allégations comme l’aide au sevrage tabagique, qui impliquerait une autorisation dans le cadre de la réglementation du médicament...

Vraiment moins nocive que le tabac ?

La cigarette high-tech est généralement présentée comme le substitut idéal au tabac à fumer car elle ne contiendrait pas de produits dangereux pour la santé. Pas de combustion de tabac et donc pas de goudron ni de monoxyde de carbone responsables des maladies pulmonaires et cardio-vasculaires. Aucune des substances toxiques ajoutées dans les cigarettes classiques. Et, disent les partisans de l’e-cigarette, très peu de nicotine, responsable de l’addiction.

Pourtant, les risques de surdosage en nicotine ne doivent pas être minimisés, insiste l’AFMPS. Une dose orale de nicotine de 10 mg chez un enfant et de 30 à 50 mg chez un adulte peut avoir un effet létal. Or, les cartouches des e-cigarettes contiennent parfois (beaucoup) plus de 20 mg de nicotine. L’AFMPS pointe divers éléments pouvant mener au surdosage: la consommation concomitante de substituts nicotiniques autorisés ou de tabac, l’ingestion des produits de manière accidentelle (en particulier par des enfants), le mauvais fonctionnement de l’appareil (ne limitant pas le nombre d’inhalations) ou encore des doses de nicotine plus élevées que celles indiquées sur l’emballage des flacons. Sans parler, bien sûr, du fait que le dosage en nicotine des “e-cigarettes” est laissé à l'appréciation de l'usager, au risque d'en abuser.

Si l’e-cigarette peut, à court terme, améliorer les capacités respiratoires de l’ex-fumeur de tabac, rien ne permet pourtant d’affirmer que les solvants et additifs qui composent les liquides sont inoffensifs pour les poumons et la santé en général. On ne dispose pas encore d’études épidémiologiques à ce propos.

En juin 2012, un rapport de la conférence de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour la lutte anti-tabac(3) pointe les résultats d’études réalisées en République de Corée indiquant “l’identification de dix substances toxiques et des discordances entre la teneur en nicotine selon l’étiquetage et les valeurs réelles”. Au Brésil, une étude en laboratoire a montré que “l’empreinte chimique tend à révéler que le liquide présent dans les cartouches contient des extraits de tabac”. En France où le phénomène s’amplifie, la ministre de la Santé a récemment commandé une recherche pour mesurer les effets de la cigarette électronique sur la santé.

Une méthode efficace de sevrage ?

Les défenseurs de l’e-cigarette présentent souvent celle-ci comme un moyen de se débarrasser de la dépendance au tabac. Or, comme le souligne l’OMS, aucune étude clinique rigoureuse n’a démontré jusqu’ici qu’elle est une méthode sûre et efficace de sevrage tabagique. “Si les entreprises commercialisant la cigarette électronique veulent aider les fumeurs à cesser de fumer, elles doivent impérativement effectuer des études cliniques et des analyses de toxicité et opérer dans un cadre réglementaire correct”, lançait il y a quelques temps Douglas Bettcher, directeur à l’OMS.

Un vœu pieux sans doute: les sociétés de cigarettes électroniques ne relèvent pas du secteur pharmaceutique. Plusieurs ont d’ailleurs déjà été rachetées par les géants de l’industrie du tabac qui ont bien compris l’intérêt d’investir dans ce nouveau marché.

Quant au fond du sujet, à savoir la dépendance, vapoter une e-cigarette en n’empêche pas de conserver ou même de développer une forme de dépendance. A la nicotine bien sûr, quand elles en contiennent, et ce, quelle que soit la quantité présente dans le liquide inhalé. Mais aussi à l’objet lui-même.

Pour réussir un sevrage tabagique, il faut agir en même temps sur les trois composantes de la dépendance au tabac: physique, psychologique et comportementale, explique Martial Bodo, tabacologue au centre d’aide aux fumeurs de l’Institut Bordet. La cigarette électronique ne permet pas le sevrage de la dépendance à l’objet, à la gestuelle, aux habitudes. Arrêter de fumer en mettant une cigarette en bouche et en inhalant des produits, même sans nicotine, c’est une ineptie, lance-t-il. Que la cigarette soit classique ou électronique, le champ mental reste le même et cela normalise l’enfumage, la consommation de tabac. Pendant ce temps, les cigarettiers continuent à vendre des produits qui tuent la moitié de leurs clients. Ils cherchent dès lors à initier et fidéliser de nouveaux publics. Et pour cela, tous les moyens sont bons”.


Interdite dans les espaces publics

En Belgique, contrairement à la France, l’utilisation des cigarettes électroniques est interdite dans les espaces publics, restaurants et cafés. En effet, la législation belge interdit de faire usage, dans les lieux publics, de matériel qui peut inciter à fumer. Ce que peut faire une cigarette électronique, vu sa forte ressemblance avec la classique.

Par ailleurs, aucune étude scientifique ne permet de démontrer que la fumée exhalée par l’utilisateur est inoffensive pour l’entourage.

Dès lors, l’interdiction s’applique à toutes les inhalateurs électroniques même s’ils ne répondent pas à la définition légale du produit du tabac.

Copie très peu conforme

Mise au point en Chine en 2004, la cigarette électronique, généralement en acier inoxydable, ressemble à la cigarette classique (il existe aussi des cigares et pipes). Cet appareil est composé d’un réservoir rempli d’un liquide et d’une batterie rechargeable avec un système de chauffe commandé par un circuit électronique.

L'utilisateur déclenche le chauffage de la résistance – le plus souvent – en pressant un petit bouton sur le boitier. Le liquide chauffe et s'évapore. L'utilisateur aspire l’embout – ce qui allume à l’autre extrémité une diode simulant la combustion –, inhale la vapeur et expire son excédent dans l’atmosphère.

Le liquide est composé de propylène glycol ou de glycérol auquel sont ajoutés des arômes fruités ou imitant les saveurs des cigarettes: tabac régulier, menthol... Certaines solutions sont exemptes de nicotine, d’autres en contiennent, en concentrations très variables. Des flacons de liquides permettent de recharger la cartouche usagée. Certains sont “prêts à l’emploi”. Mais, de nombreux utilisateurs préparent eux-mêmes leur cocktail, ce qui n’est pas sans risques.