Vivre ensemble

Zones rurales : les citoyens repensent l'espace public           

6 min.
(c)Yasmine Gateau
(c)Yasmine Gateau
Julien Marteleur

Julien Marteleur

"La vieillesse embellit tout : elle a l'effet du soleil couchant dans les beaux arbres d'octobre." Ces mots de l'homme de lettres français Maurice Chapelan ne manquent pas de poésie, mais taisent une réalité à laquelle les aînés sont confrontés à des degrés divers : avec l'âge, apparaissent aussi des problèmes de mobilité qui entravent la réalisation de toute une série d'activités qui rythment la vie quotidienne. Quand on vit en zone rurale, on peut souvent y ajouter l'absence - ou du moins une dispersion - des commerces et services de proximité, ainsi qu'une offre limitée de moyens de transport. Remarque qui vaut aussi pour les loisirs, la culture ou le sport. Dans de telles circonstances, l'isolement peut rapidement rattraper les personnes âgées. En Hesbaye liégeoise, le Groupe d'action locale (GAL) Jesuishesbignon.be a décidé d’agir. Onze communes (1) composent actuellement le GAL et ont donné leur feu vert pour participer à une démarche pilote visant les plus âgés : "Wallonie amie des aînés".    

Pour les aînés, par les aînés
Depuis octobre 2018, plusieurs séniors hesbignons se réunissent régulièrement avec des acteurs sociaux des communes participantes et des partenaires experts du "bien vieillir". Ensemble, ils forment un comité de pilotage supra-communal et participent activement à la construction du territoire "Ami des aînés". "Au niveau des communes, les personnes âgées sont souvent de plus importants acteurs de changement que la population 'active', trop occupée par le travail ou les enfants pour se consacrer pleinement à la vie locale, souligne Sigrid Stephenne, chargée de mission du projet auprès du Réseau wallon de développement rural. Et puis, qui mieux que les personnes âgées pour formuler avec précision leurs besoins et ce qui pourrait être fait pour embellir leur quotidien, notamment en termes d'aménagement de leur territoire ?"
Alors, dans plusieurs communes, un diagnostic "en marchant" est effectué. Plusieurs aînés, pour certains en fauteuil roulant ou souffrant d'un handicap visuel, se rassemblent pour des marches exploratoires de trois kilomètres maximum, aux tracés définis par leurs soins. Ce qui permet de constater directement ce qui pourrait être amélioré. Dans certains quartiers, le charme d'antan a été conservé, il n'est pas rare d'y croiser des maisons séculaires, des placettes où le temps semble suspendu… ou des trottoirs qui, eux aussi, ont connu des jours meilleurs. "Le village a conservé son cachet par endroits, mais à l'époque, rien n'était pensé pour les personnes âgées", rigole Liliane Steffens-Delmotte. Habitante de Berloz (l'une des communes qui participent au projet) depuis plus de vingt ans, cette dynamique octogénaire a participé à plusieurs marches dans son village. "On observe des choses qui paraissent anecdotiques, mais qui ont leur importance pour les plus âgés, souligne-t-elle. Par exemple, certains bancs publics ne sont pas du tout adaptés pour les aînés, ils sont trop bas, trop inclinés vers l'arrière ou l’avant… Quand les trottoirs sont trop étroits et que les riverains sortent leurs poubelles, impossible parfois de les contourner ! Cela oblige à descendre sur la chaussée et de se retrouver sur le chemin des automobilistes."

Renforcer le lien social
Dans certaines communes, un "tandem référent local", composé d'un aîné et d'un agent communal ou du CPAS, a été formé. Au gré des promenades, le duo rencontre un pavé déchaussé, un lampadaire endommagé… "Dans ces cas-là, si le référent local est un ouvrier communal par exemple, le problème peut être résolu dans la semaine, remarque Sigrid Stephenne. C'est gratifiant pour ces personnes de contribuer directement à améliorer la qualité de vie de leurs pairs." Autres avantages des marches exploratoires : pour les participants, elles permettent non seulement d'être en mouvement, mais contribuent aussi à la pérennité du lien social. "Les gens remarquent une dizaine de séniors se balader et sortent sur le pas de leur porte, nous posent des questions. Certains nous font part de choses qui pourraient être aussi améliorées dans le quartier, on parle du 'bon vieux temps' avec les plus âgés…", témoigne Liliane Steffens-Delmotte. Covid-19 oblige, les marches peuvent être interrompues en fonction des caprices du virus.
Entamé il y a deux ans, le projet "Wallonie amie des aînés" s'étend jusqu'en 2023. Co-coordonné par l'UCLouvain et l'Agence pour une Vie de Qualité (AViQ), il s'oriente sous huit aspects, qui doivent tous être travaillés par les communes adhérentes : le transport, l'habitat, la participation et l'inclusion sociale, l'engagement citoyen, la communication, le soutien communautaire et les services de santé et, enfin, l'aménagement du territoire. Le point fort de cette initiative, c'est qu'elle est pensée comme un travail de proximité participatif, effectué pour et par les aînés et totalement centré sur leurs besoins et leur qualité de vie. Les communes participantes pourront prétendre, à terme, au label "Ville amie des aînés", que Mons par exemple possède déjà. Et, dans la foulée, se targuer d'avoir contribué à l’amélioration de la qualité de vie de leurs habitants les plus âgés.

La participation citoyenne, un vrai levier
Proximité, transversalité, participation citoyenne… Ces caractéristiques se retrouvent aussi au sein des Opérations de développement rural (ODR) mises en œuvre dans les communes rurales wallonnes. L'ODR est une réflexion collective sur l'ensemble des aspects qui font la vie de ce type de communes : agriculture, économie, emploi, aménagement du territoire et urbanisme… Elle se construit avec la participation de citoyens, de mandataires et d’associations de terrain.
Pendant toute la durée de l'opération, la Commission locale de développement rural, la CLDR, épaule le conseil communal. Composée à 75% de citoyens, cette commission élabore une liste des objectifs à atteindre et des actions à entreprendre pour la dizaine d'années à venir : c'est le Programme communal de développement rural (PCDR). Des programmes qui peuvent apporter un certain nombre de réponses aux demandes de la population, vieillissante ou non. Exemple : la mise en place de projets de logements intergénérationnels ou adaptés, de maisons de village, d’aménagement et d’équipement des espaces publics…
Actuellement, 126 communes sont assistées par la Fondation rurale de Wallonie, qui accompagne les communes dans leurs projets et les aide à obtenir des subsides. Comme à Eynatten, petit village germanophone de la commune de Raeren en province de Liège, dont la population a donné naissance à une maison polyvalente, véritable espace de rencontre. Le projet, qui était sur la table depuis longtemps, répond aux manques d'infrastructures accueillantes et adaptées aux besoins des associations locales. "Vierge au départ, le canevas a beaucoup évolué avec le temps, selon la volonté des habitants", explique Björn Hartmann, chargé de projet développement urbain et rural. "Pour donner une idée de sa polyvalence, les quatre piliers fondateurs du projet sont la maison des jeunes, le conseil des séniors, le syndicat d'initiative et la commune." Dans l'esprit des villageois, cette maison est considérée comme un projet communautaire, "appartenant à tous et accessible à tous, qui favorise et encourage les échanges intergénérationnels", appuie Björn Hartmann.
"Les PCDR sont essentiels, surtout pour les petites communes qui, si elles ne manquent pas d'idées, manquent souvent de fonds", rappelle Christophe Bastin (cdH), le bourgmestre de Onhaye. Située non loin de Dinant, sa commune bénéficie depuis plusieurs années des effets concrets des PCDR : en 2011 et en association avec la commune voisine d'Hastière, elle obtient des subsides pour l’aider à rénover une ancienne ferme et la transformer en complexe sportif et associatif. Inauguré en 2013, "le complexe répond à une vraie demande des habitants, qui auparavant, devaient parcourir des kilomètres pour trouver une offre sportive de qualité. Depuis son ouverture, il ne désemplit plus, raconte Christophe Bastin. Au-delà des avantages évidents que la proximité d'un complexe sportif apporte au maintien d'une bonne santé, il faut aussi y voir un outil de consolidation du lien social, de la vie associative ou économique d'une commune. Il s'agit d'un lieu de rencontre avant tout." Le bourgmestre souhaite prochainement installer une maison médicale sur le territoire, comme cela s'est récemment vu à Libin ou Habay, en province de Luxembourg, où la pénurie de médecins se fait particulièrement ressentir.
Berloz, Eynatten, Onhaye… Les acteurs sont différents, les dialogues aussi mais au final, le scénario reste le même : les citoyens sont les chevilles ouvrières des changements qui s'opèrent autour d'eux. Là où les grandes villes tentent de relever des défis comme l'engorgement démographique ou la pollution de l’air, les zones rurales sont confrontées à d’autres obstacles. Mais qu'il faille pallier le manque d'accès aux soins de santé ou aux infrastructures sportives de qualité, qu'il s'agisse de remplacer une ampoule pour éclairer une ruelle trop sombre ou de créer un espace où toutes les générations peuvent se retrouver, c'est au niveau local que le levier citoyen semble le plus performant. 

Pour avoir envie de s'approprier l'espace public

Apprécier les balades urbaines ou en nature, rencontrer et échanger avec des voisins sur un banc, respirer un air non-pollué, se déplacer autrement qu’en voiture et éviter le stress du trafic... Pour tendre vers ces idéaux, la ville de Verviers a lancé un projet de réaménagement “Verviers, ville convivial”. Objectif : rendre la ville plus agréable à vivre et accessible à toutes et tous. Un projet à découvrir parmi les cinq autres thèmes de la campagne MC sur les inégalités sociales de santé, sur www.mc.be/notresante.