Vivre ensemble

Un compagnon de route peu banal                                   

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©Entrevues
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Stéphanie Bouton

Stéphanie Bouton

Sous l’oeil expert de Joëlle Huart, directrice et éducatrice chien guide à Entrevues, Sarra et Tulipe enchaînent quelques exercices dans le parc qui entoure les locaux de l’ASBL. Mais Tulipe, une jeune chienne âgée de onze semaines est plutôt d’humeur jouette : elle gratte la terre, tire sur sa laisse et refuse de se coucher. "Essaie de capter son attention, conseille Joëlle. Tu dois tenir bon, ne rien lâcher et, au début, tu peux l’aider pour arriver à tes fins. Et puis, tu la récompenses. On pense tout de suite à la croquette, mais il y a d’autres alternatives comme une flatterie, son jeu ou la lâcher pour qu’elle puisse s’amuser".

Chaque mercredi, les familles accueillant de futurs chiens guides se retrouvent au centre de Liège avec leur compagnon à quatre pattes pour suivre une séance d’éducation spécifique. Adopté au sein d’élevages familiaux soigneusement sélectionnés, chaque chiot est soumis à une série de tests pour vérifier son état de santé et son tempérament. À huit semaines, s’il répond favorablement aux critères, il sera alors confié à une famille d’accueil bénévole qui aura pour mission de le socialiser, de lui apprendre à devenir propre et à obéir.

C’est une première pour Sarra, maman de deux jeunes enfants, déjà sensibilisée à la cause. "Le jeune frère de mon compagnon est aveugle et bénéficie d’un chien formé par cette ASBL, explique cette jeune psychologue qui a adapté son mode de vie depuis l’arrivée de Tulipe. "C’est entre huit et douze semaines qu’ils ont le moins peur donc on essaie de lui faire vivre un maximum de situations différentes. Nous utilisons davantage les transports en commun et je l’emmène partout. J’ai été agréablement surprise de l’accueil dans mon milieu professionnel : je travaille avec des adultes et des enfants, et sa présence facilite le contact. C’est parfois sport, car ça reste un chiot, de temps en temps surexcité, mais c’est une super expérience".

Formés par des professionnels

Pendant que Sarra essaie d’apprendre à Tulipe à rester couchée, Joëlle sourit avec compréhension : "La patience, c’est le plus difficile pour eux. À cet âge, un rien les distrait !" L’attention du chiot est attirée par Coco et Coca, en apprentissage un peu plus loin. Âgés de 14 mois, les deux chiens devraient bientôt quitter leur foyer respectif pour intégrer l’école et démarrer leur formation avec un moniteur professionnel. Une séparation que redoute Sandrine, l’accueillante de Coco, qui en est pourtant à sa deuxième expérience : "Dès le départ, on est bien conscient que c’est pour une durée limitée, mais on s’attache et ça reste difficile de passer d’une présence 24h/24 à deux jours le week-end".

Pour suivre la formation, le chien doit répondre positivement aux tests comportementaux, être stérilisé, et diagnostiqué indemne de pathologies entraînant une incapacité au travail (un problème de hanche, par exemple). "Il faut aussi qu’il ait envie, précise Jeff Bertemes, chargé de communication d’Entrevues. En général, quatre chiens sur dix sont réformés. On donne alors la priorité à la famille d’accueil ou à son entourage proche pour l’adopter".

Pendant six à dix mois, les apprentis chiens guides travaillent principalement en zone urbaine. Trottoir, accotement, véhicule mal stationné, travaux… Lors de sa formation, le chien guide signale et passe les obstacles, propose une alternative et désigne les éléments demandés (passages pour piétons, sièges libres, escaliers, portes, boîtes aux lettres, comptoirs…). À terme, il sera capable d’obéir à une quarantaine de commandements (assis, silence, en avant, à droite…), de mémoriser des itinéraires spécifiques et de prendre des initiatives.

Le début d’une nouvelle aventure

Environ 700 heures de travail sont indispensables à un moniteur professionnel pour former un chien guide et son futur utilisateur. L’ASBL rencontre le bénéficiaire en amont pour connaître ses besoins, ses attentes, son caractère afin de créer des binômes complémentaires, mais la personne déficiente visuelle ne rencontrera son futur chien qu’à la fin de la formation de celui-ci. Au cours d'un stage intensif de trois semaines, elle apprendra à communiquer avec le chien guide.

Le duo doit apprendre à travailler ensemble, à se faire confiance. Lorsque l'équipe est prête, le moniteur s'efface. Le chien est placé chez la personne durant une période de trois mois, à l'essai, avant de lui être remis officiellement lorsque le tandem se déplace en parfaite autonomie et en toute sécurité. "En tant que monitrice, on s’attache au chien, avoue Joëlle Huart. Et à chaque séparation, c’est la même chose : je suis à la fois fière d’y être arrivée, triste de le perdre mais aussi inquiète à l’idée qu’il fasse une bêtise".

Un compagnon de vie

Depuis deux ans, Adeline est l’heureuse propriétaire d’un chien qui a radicalement changé son existence. À 27 ans, cette Mouscronnoise est devenue une vraie globe-trotteuse depuis que Pesto est entré dans sa vie : "Il m’a donné une grande confiance en moi, de l’autonomie et un meilleur moral. Cet été, j’ai traversé la Belgique de long en large avec lui. Nous sommes aussi allés dans le sud de la France et nous avons déjà tout testé : le bateau, l’avion, le train, le cuistax... Les gens sont étonnés mais l’acceptent très bien la plupart du temps. C’est la mascotte !" Chanteuse, membre d’une troupe de théâtre, Adeline a une vie bien remplie à laquelle Pesto semble s’être tout à fait adapté : "Il est toujours partant. Dès le début, ça a collé entre nous. Si je décide à 20h d’aller au cinéma, il me guide. Je n’ai plus le stress, ni la fatigue liée à la concentration nécessaire pour me déplacer avec une canne. Avant, j’étais beaucoup plus dépendante des autres. Nous sommes devenus inséparables".

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Un bénévolat indispensable

Chaque année, Entrevues offre gracieusement cinq à sept chiens à des personnes déficientes visuelles provenant des quatre coins de la Belgique. Cette formation a toutefois un coût non négligeable : 29.500 euros (1). L’Aviq (Agence pour une vie de qualité) intervient pour 4.700 euros auprès des différentes écoles de chiens guides de Wallonie mais, pour chaque chien mis en service, l’association doit trouver 24.800 euros auprès de donateurs ou grâce à l’opération Violettes qui se déroule chaque année (2). "La Flandre rembourse trois fois plus, s’indigne Joëlle Huart ! Les bénéficiaires n’attendent pas. Chez nous, il faut compter une moyenne de deux ans, sauf pour les personnes qui ont déjà eu un chien guide et qui sont donc prioritaires".

Constituée de quatre monitrices et d’un chargé de communication, l’ASBL peut également compter sur une soixantaine de bénévoles pour accueillir les chiens en formation ou à la retraite, faire du travail administratif, participer aux collectes de fonds. Elle est constamment à la recherche de volontaires. N’'hésitez pas à prendre contact : 04/250.65.05 • entrevues.be

En Belgique, cinq autres associations forment des chiens guides pour les personnes déficientes visuelles : Les amis des aveugles à Mons, Scale Dogs à Bruxelles, ainsi que deux associations en Flandre, à Genk et à Tongres.

Accès : que dit la loi ?

Plusieurs textes législatifs ont vu le jour afin de permettre aux chiens d’assistance (1), formés ou en formation, d’accéder aux lieux ouverts au public.

Aller de manière autonome à l’école, sur son lieu de travail, chez le médecin, dans une salle de spectacle ou un restaurant, faire ses courses, du sport… La loi autorise quiconque ayant besoin de l’aide d’un chien d’assistance de participer activement à la société.

Malheureusement, de nombreuses personnes ignorent encore que les chiens d’assistance sont autorisés dans de nombreux endroits publics, y compris dans "les locaux où les aliments sont traités, manipulés ou stockés". "Plusieurs fois par an, on nous relate des soucis d’accès qui semblent encore dépendre du bon vouloir et de l’humeur du gestionnaire du bâtiment ou du service d’accueil, déplore Joëlle Huart. Certains hôpitaux mettent en place une réelle politique d’accueil des patients accompagnés d’un chien d’assistance alors que d’autres ne leur laissent même pas franchir la zone de prise de rendez-vous. Ne pas pouvoir utiliser son chien guide pour effectuer des déplacements revient à priver les personnes de leur autonomie !"
Dans la majorité des cas, il s’agit d’un manque d’information que les associations essaient de pallier par un travail de sensibilisation. Lorsque cela ne suffit pas, la solution ultime reste d’introduire une plainte auprès d’Unia (Centre interfédéral pour l’égalité des chances).