Vivre ensemble

Prison : derrière les murs, un parent

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Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

"Quelle plus belle preuve d’amour une mère peut-elle donner à son fils, si ce n’est de ne pas entraver la relation entre ce dernier et son autre parent […] incarcéré, et ce, quelle que soit la nature des évènements qui l’ont mené derrière les barreaux, en tout cas tant que la vie de l’enfant n’est pas en danger ? […] Le Relais Enfants-Parents aura permis à mon fils de vivre, de sa hauteur, une situation peu ordinaire avec son père incarcéré et surtout, il aura grandement con tribué au maintien du lien qui l’unissait à son 'papa'. […] Leur intervention aura permis à notre fils et son père de continuer de bâtir une relation dont la qualité peut à elle seule témoigner de sa réelle et indispensable nécessité."

Ces mots sont tirés du témoignage anonyme d'une maman, posté sur la page Facebook de l'ASBL Relais Enfants- Parents (1). Comme un "merci" adressé à l'association qui, des années durant, a permis à son fils d'entretenir une relation forte avec son papa. Depuis 20 ans, les psychologues du Relais mettent tout en oeuvre pour que des enfants, déjà privés de leur parent incarcéré, ne soient pas doublement punis par l'enfermement, la honte, le mensonge. Et que la situation occasionne le moins de dégâts possible.

Être à l'autre

Amandine Bosquet, psychologue, intervient à Ittre et à Saint-Gilles, des prisons pour hommes. Un mercredi sur deux, lors de visites dites "collecti ves", elle aménage, avec sa collègue, les espaces où les papas et leurs enfants se retrouvent. Parfois avec, parfois sans la surveillance d'un gardien. Dans la salle de visites de la prison, autour de tapis et de modules de jeu, de contes et livres d'histoires ou d'acti vités créatives, ils se retrouvent pour une heure et demie de présence à l'autre. "Nous nous focalisons sur le lien entre l'enfant et le parent incarcéré et la manière dont ceux-ci entrent en interaction. Nous sommes là pour soutenir ce lien privilégié, précise-t-elle. L'autre parent ne participe pas à cette rencontre afin de laisser le père ou la mère s'investir dans son rôle qui, souvent, est mis à mal depuis le début de l'incarcération." D'autres moments, comme les "visites-fête", permettent à l'adulte "libre" ou un proche d'accompagner l'enfant derrière les murs : fête de Pâques, Saint-Nicolas… Lorsque la reprise de contact est plus difficile entre un enfant et son parent incarcéré, des visites individuelles horssurveillance peuvent avoir lieu en compagnie d'une intervenante du Relais "pour les soutenir dans leur reprise de lien". 

Facilitateur de lien

Dans 80% des cas, la demande de visite est formulée par le parent incarcéré. "On les rencontre et on analyse la situation avec eux lors de plusieurs entretiens, explique Amandine Bosquet. Puis on contacte la maman et/ou les acteurs de terrain qui gravitent autour de l'enfant. Ce n'est qu'a près ces entretiens préalables que nous évaluons l'opportunité de telles visites. L’intérêt de l’enfant prime. Et c’est lui qui motivera nos décisions." En outre, des rencontres sur son lieu de vie permettent d'échanger sur ce qui lui est difficile pendant ou après les visites. Des barrières, légiti - mes, contrarient parfois la mise en oeuvre des visites. "Lorsque la maman ne parvient pas à passer au-dessus d'une situation de conflit, par exemple, ou que le mot 'prison' est tellement compliqué à assimiler et à vivre qu'elle refuse que son enfant s'y rende." Le service n'impose rien, il facilite. S'il considère que les visites nuisent à l'enfant, il y met un terme. Fréquemment, des papas ou des mamans se voient ainsi privés de leur enfant. Leur ultime recours lorsque le parent "libre" fait opposition : contacter un avocat de la famille pour obtenir un droit de visite.

Moins fréquent : le parent à l'extérieur ou l'enfant lui-même demande à voir son parent incarcéré. Parfois certains refusent et ne souhaitent pas que leur enfant les voient derrière les barreaux. "Par exemple, lorsque le détenu vit sa troisième incarcération, ou qu'il purge une peine de deux ou trois mois et qu'il ne veut pas faire connaître l'intérieur de la prison à son enfant", indique Amandine Bosquet. Les personnes incarcérées bénéficient aussi d'entretiens individuels fréquents "pour aider ceux qui n'ont pas de visites à vivre leur parentalité, et pour écouter ceux qui en ont et les accompagner dans leur rôle de père ou de mère, pas toujours facile à exercer à distance".

La joie, plus forte que l'anxiété

Une visite en prison n'est pas à minimiser, surtout la première fois. Certains enfants vomissent, d'autres gardent le silence ou pleurent sur le chemin. Les murs, les portes blindées, les uniformes, le détecteur de métaux… impressionnent. "Certains enfants sont très expressifs et se réjouissent de se mettre en chemin pour aller'voir papa à son travail', indique Patrick Delfosse, "itinérant" bénévole chargé de véhiculer les enfants de leur lieu de vie à la prison. D'autres sont dans leur bulle." Encadrés par la Croix-Rouge, des dizaines de bénévoles comme Patrick accompagnent des enfants lors de leurs visites. Parfois à Bru xelles, parfois à Arlon, selon le parcours carcéral du parent détenu.

Une fois habitués, raconte Stefania Perrini, directrice du Relais Enfants- Parents, la joie de retrouver leur parent occulte l'anxiété : "Les enfants trépignent d'impatience devant la porte. Une fois ouverte, ils se ruent dans les bras de leurs papas comme à la fin d'une journée d'école".

Gagnant-gagnant

De l'amour et du soutien donnent du courage aux parents incarcérés et rendent plus supportable leur détention. Sans compter les bénéfices à long terme en matière de réinsertion. "L'Italie nous offre des statistiques renversantes, informe Stefania Perrini. Parmi les personnes incarcérées qui restent en lien avec leurs familles, seulement 3% récidivent." Mais, insiste-t-elle, le corps du projet du Relais est de rendre ces visites possibles au bénéfice de l'enfant, pas celui du parent. "S'il y a une emprise négative sur le jeune, on arrête de suite !"

Mettre des mots

D'après ces spécialistes du maintien du lien parents-enfants, pas de dou te, le passage en prison d'un parent ne doit pas être occulté d'un jeune es prit. Des pincettes doivent être prises, spécifiquement au regard de l'âge de l'enfant, pour mettre des mots sur la situation. "Un enfant de deux ans ne pose pas les mêmes questions qu'un ado de 14 ans en pleine construction, clarifie Stefania Perrini. Avoir un parent en prison, c'est difficile à évoquer à l'extérieur. C'est même dangereux pour l'enfant qui risque de s'exposer à l'exclusion, à l'incompréhension des camarades. Il n'est pas armé pour faire face à ça." "Mieux vaut un parent imparfait qu'un parent absent, ajoutet- elle. Car avec un parent absent, l'enfant a le temps de fantasmer et se construit avec un man que. Un peu comme s'il était en deuil, il va avoir le sentiment d'être puni, d'être maudit. En l'absence de mots, il est difficile de se construire. Par contre, si on lui dit que papa ou maman l'aime très fort, l'enfant peut se construire avec un parent imparfait."


Cinéma : La part sauvage

À sa sortie de prison, Ben n'a qu'une idée en tête : renouer avec son fils. Sa réinsertion dans la société "libre" comporte néanmoins son lot de surprises et de déceptions. Sans concessions, Guérin van de Vorst raconte la difficile réinsertion après la prison.

© WrongMen, RTBF, Proximus

Usines, voies de triage, entrepôts… par la fenêtre du train, le quartier du Midi défile sous les yeux de Ben, subjugué par une vue dégagée. Aussi vilaine soit-elle, elle lui offre plus de champ que celle de la cellule dans laquelle il a passé ces trois dernières années. Fraîchement sorti de prison, de retour à Bruxelles, il entend se réapproprier sa vie : un boulot, une famille, une vie sociale.

Dépanné par un ami garagiste, Ben trouve rapidement du travail. Il apprend vite, s'applique et prend ses nouvelles tâches au sérieux. Il cherche la stabilité qui lui permettra de s'ancrer, de reprendre sa vie en main, de se réinsérer dans la société après son incarcération. Une vie rangée, en somme, dans laquelle il entend donner une place à son fils de 10 ans.

Sam pensait son père parti en voyage, tel que lui avait dit sa mère pour le protéger. De quoi ? De la vérité − les braquages − et de ses conséquences : la prison. Revoir son fils ne sera pas facile. Entre les anciens concubins, la confiance est rompue et la relation père-fils en fait les frais.

Du coup, des liens, il en trouve auprès des amis du quartier où il a grandi. D'anciens voyous devenus musulmans pieux, très pieux. Ben, lui-même converti à l'islam, recevra d'eux des conseils, une ligne de conduite, l'occasion de réaliser de bonnes actions et de structurer ses journées. Mais les fragilités affectives de Ben se voient comme le nez au milieu du visage.

Moustapha, le prédicateur, a trouvé une victime toute désignée.

La part sauvage, c'est le combat de Ben pour résister à la haine, retrouver sa dignité d'homme libre et sa place de père. Un portait juste de la société et des opportunités qu'elle réserve à ceux qui ont connu l'enfermement.

Infos : La part sauvage • Guérin van de Vorst • 2018 • 80 min • Au Caméo (Namur), Plaza Art (Mons), Grignoux (Liège), Quai 10 (Charleroi), Galeries et Vendôme (Bruxelles)