Vivre ensemble

Le pouvoir à l'écoute du citoyen

6 min.
© Parlement bruxellois Brussels Parlement
© Parlement bruxellois Brussels Parlement
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Bien informés et soigneusement accompagnés (pour réussir à s'écouter pendant leurs débats), des citoyens construisent des opinons réfléchies sur les enjeux de société; ensuite, ils les formulent dans des recommandations destinées à éclairer les décideurs politiques. Tel est le fil conducteur des panels citoyens qui, soit dit en passant, n'ont pas pour ambition de remplacer la démocratie classique ex ercée par les élus du peu ple, mais bien de l'en richir et la dynamiser. Dans le climat de défiance croissante envers les institutions publiques, singulièrement politiques, voilà qui mérite le détour.

En Belgique, l'idée n'est pas neuve bien qu'on en ait un peu oublié les origines. Elle est née en 2001, lorsque la Fondation pour les générations futures (FGF) proposa à une trentaine de citoyens du Brabant wallon de débattre de l'aménagement du territoire de leur province puis, en 2006, de l'avenir des espaces ruraux en Europe. Depuis lors, une dizaine d'initiatives plus ou moins proches se sont déclinées dans le paysage sociopolitique belge, parfois sous l'appellation "conférence de consensus", "forum citoyen", voire "budget participatif" (Mons, Anvers), etc. La plus connue et la plus ample fut sans conteste le G1000 qui, en 2011, vit 1.000 citoyens "ordinaires" – en réalité 704, puis 32 dans la phase finale – se pencher avec ambition sur l'avenir de la Belgique. Particularité notable : à la différence des panels citoyens organisés en 2017 par les Parlements wallon et bruxellois (respectivement sur le vieillissement démographique et la mobilité), le G1000 avait été proposé, conçu, financé et piloté "par et pour des citoyens".

Le principe de l'entonnoir

Le principe des panels est plus ou moins constant. On tire au sort plusieurs milliers de citoyens invités à réfléchir ensemble sur un sujet. On en sélectionne quelques dizaines pour qu'ils représentent au mieux la diversité de la population concernée. On les fait débattre, souvent en petits groupes, en présence d'animateurs (l'accompagnement s'est bien professionnalisé en dix ans) et de personnes ressources : les experts, parfois choisis par les panélistes eux-mêmes. À l'issue de trois ou quatre jour nées de conférences, échanges et débats (et, parfois, d'exercices de simulation), ils rédigent des recommandations – si possible consensuelles, mais pas nécessairement – à l'égard des représentants politiques. Qui les intègrent peu ou prou dans les réglementations.

Ni vain, ni miraculeux

Et ça marche ? Ainsi que le note John Pitseys, chargé de recherches au Crisp et co-auteur d'un récent dossier sur la démo cratie participative dans la Revue Nouvelle, on dispose de très peu d'études scientifiques, en Belgique, sur l'évaluation des panels citoyens au-delà de la satisfaction générale qui s'en dé- gage souvent chez les participants. Or, pour évaluer un panel, il faudrait idéalement répondre à trois questions : "comment a-t-il été constitué ? Comment a-t-il fonctionné ? A t-il rempli des missions clairement définies au départ ?". Stéphane Delberghe, spécialisé dans l'accompagnement de processus délibératifs chez Atanor, lui fait écho : "bien menés, les panels complètent très bien l'avis des experts dans les questions de société complexes. Encore faut-il que le commanditaire n'en attende pas la solution miracle 'à laquelle personne n'avait pensé'. Et qu'il ait clairement identifié, dès le départ, la plus-value informative attendue par rapport aux moyens habituels de la démocratie délibé- rative : enquête publique, consultation, etc."

Signal intéressant, souligné par Aline Goethals, responsable de programme à la FGF : "À l'inverse des consultations populaires, souvent limitées à une superposition d'avis, la confrontation de points de vue dans les panels amène de nombreux participants à changer leur avis initial avant de formuler leurs propositions". Ce fut le cas, par exemple, pour 46% des participants au panel sur l'extension contestée du centre commercial de Louvain-la-Neuve, il y a peu. Le signe, peut-être, que les panels ouvrent l'ère d'une dynamique démocratique plus mûrie et plus constructive. Et, qui sait, plus apaisée.

Témoignages

"Je ne me suis pas ennuyée une seule minute", Marianne, 62 ans

Un jour qu'elle fait ses courses aux Grands Prés, à Mons, Marianne, cadre dans l'import-export, est abordée par une étudiante qui lui pose des questions sur l'avenir des plus de 60 ans. Marianne (prénom d’emprunt) se sent concernée. Sa maman a passé dix ans en maison de repos. Elle-même, originaire de La Louvière, est inquiète par la paupé- risation galopante des aînés. Son nom atterrit dans les registres du Parlement wallon qui, un peu plus tard, lui propose de participer à son premier panel, consacré aux enjeux du vieillissement. "Ayant ralenti mon rythme professionnel, j''avais un peu plus de temps qu'autrefois. Et puis rien ne me fait peur en termes de nouveautés : la Wallonie ayant tendance à se refermer sur elle-même, je voulais saluer cette démarche créative".

Avec 29 autres Wallons et Wallonnes d'horizons très divers, dont "beaucoup de jeunes", Marianne passe quatre vendredis ou samedis à discuter des conditions de vie idéales des aînés : soins de santé, logement, aide à domicile, etc. "Tous, nous avons prôné avec force l'intergénérationnel. Personne ne voulait la fracture entre tranches d'âge, actifs ou non-actifs, etc". Marianne se souvient avoir suggéré qu'on ouvre des maisons de repos pour Wallons dans les pays ensoleillés. Ainsi, on soignerait leur santé et, en même temps, on donnerait du travail aux jeunes diplômés du médical et du paramédical. Certains ont souri de sa proposition "sans doute farfelue", qui n'a pas été débattue. Mais elle n'en a pas pris ombrage, au contraire ! "Je ne me suis pas ennuyée une seule minute. J'en suis sortie avec la conviction renforcée que le système économique était à revoir. Quant à l'animation, elle était parfaite, tant en termes d'équité de temps de parole que de respect de chacun. On nous a vraiment pris au sérieux, tant les animateurs que les parlementaires ou les ministres, très accessibles. Et chacun des panelistes était luimême très concentré et assidu".

Depuis cette expérience, Marianne entend beaucoup parler d'habitats Kangourou (maisons familiales scindées pour accueillir une personne ou un couple âgé) et d’autres structures d'accueil destinées aux aînés. Elle veut croire que c'est là, déjà, un signe de l'impact du panel. Prête à rempiler, elle n'a qu'un regret : n'avoir disposé d'informations scientifiques sur la thématique qu'en fin de parcours : un peu tard. "J'ai dû prendre sur moi en bouquinant et en m'informant seule…" Et puis, il y a eu ce petit stress de fin de procédure, lors que son groupe a du s'accorder sur la synthèse finale (par téléphone et par mail) alors que chacun avait regagné ses pé- nates : tout le monde souscrivait-il au texte à remettre aux parlementaires ? La réponse a finalement été "oui". Ouf !

"Dans la vie, on échange trop souvent entre pairs", Benjamin, 22 ans

"40 personnes qui ne se connaissent pas et se rassemblent pour réfléchir à la mobilité à Bruxelles. Waouw ! Je ne pouvais pas rater cela". Lorsque sa mère lui parle du panel "Make your Brussels" organisé par le Parlement bruxellois, Benjamin, 22 ans, étudiant en gestion à l'ULB, n'hésite pas une seconde : il fonce et remplace sa maman trop occupée pour participer. "Ils ont accepté ma candidature probablement par manque d'étudiants : nous n'étions que deux de mon âge, c'était bien peu pour un tel enjeu !". Benjamin ne milite nulle part mais, pratiquant du vélo dans la capitale, il se sent "conscientisé" par diverses causes dont celle du déplacement "doux". Il a vaguement entendu parler du concept de panel citoyen et s'enthousiasme pour ce "truc du futur".

Il n'en sortira pas déçu. Et certainement pas par la diversité rencontrée. "La couleur de la peau, la langue, le revenu, l'éducation... Tout cela s'est très vite effacé dans une chouette alchimie, où tout le monde était sur le même pied. Bien sûr, certains étaient plus à l'aise pour parler en public, mais c'est normal". Les 40 citoyens se réunissent quatre fois, le week-end. Encadrés par les animateurs de Particity, ils se répartissent par petites tables, formulent des questions à aborder sous deux thématiques ("comportements" et "territoires") qui sont ensuite déclinées en 32 propositions. Ils choisissent eux-mêmes les experts qui les éclaireront et les aideront à se faire un avis personnel, intégré ensuite dans une résolution finale. Au menu : emplacements de vélos, péages autoroutiers, cartes multimodales de transport, etc. "Cela a été une grande chance de pouvoir échanger avec des gens avec qui, parfois, j'étais en net désaccord. Dans la vie, qu'on le veuille ou non, on est très souvent entre pairs. Sans ce panel, je n'aurais jamais eu l'occasion de rencontrer des gens aussi différents. J'ai aussi réalisé à quel point l'exercice de la démocratie est complexe, ne fût-ce qu'en raison de la lourdeur des processus et des dé- bats, et de la technicité des choses : une 'bande' cycliste n'est pas une 'piste' cyclable…"

Soit. Mais utile, ce panel ? "Avec deux jours de plus et un encadrement technique renforcé, nous aurions probablement pu être plus percutants dans notre résolution finale (NDLR: celle-ci a été discutée par 15 parlementaires et intégrée au Plan régional de mobilité). Mais l'important n'est pas là. Nous avons réussi à faire comprendre, par notre expression commune, qu'il fallait changer les choses en matière de mobilité. Et que l'intérêt commun prime sur l'intérêt individuel. D'autres panels suivront et, tôt ou tard, rappelleront cela..."

Pour en savoir plus ...

Plus d'infos : "La démocratie participative", dans Revue Nouvelle, n°7, 2017 - www.revuenouvelle.be – 02/640.31.07.

À lire aussi, sur le G1000: Courrier hebdomadaire du Crisp n°2344/2345 – www.crisp.be – 02/211.01.80.