Vivre ensemble

Des petites bulles de bien-être

6 min.
© Carmela Morici
© Carmela Morici
Estelle Toscanucci

Estelle Toscanucci

Une école carolorégienne, un lundi matin. On y entre par une grande cour aux murs colorés. À droite, un bel arbre autour duquel traine un collier de ballons. Si on accède au bâtiment par le rez-dechaussée, au fond de la cour, on trouve une porte, devant laquelle on est prié d’enlever ses chaussures. Un dépôt qui fait penser à l’entrée des temples ou autres lieux de cultes. Ici, c’est aussi, en quelque sorte, dans un lieu sacré qu’on va pénétrer. Celui dédié au bien-être. Un siège en mousse décoré de fils lumineux, des guirlandes déposées à même le sol, un matelas à eau vibrant et chauffant, une colonne à bulles qui changent de couleurs, des graines qui font du bruit, un doudou "serpent" sympa et moelleux… bienvenue dans la salle snoezelen !

Julien Petyt, le directeur de l’école fondamental Saint-Paul nous y rejoint. Il est accompagné de Luther, 7 ans. Le petit bonhomme aux bien jolies bouclettes est porteur d’une trisomie 21. C’est sa première expérience dans la salle et il semble s’y sentir comme un poisson dans l’eau. D’emblée, c’est la colonne à bulles qui a sa préférence. Il la touche, la regarde avec attention et fait varier les coloris grâce à une manette à boutons. Julien Petyt l’observe, intervient de temps de temps, pour, par exemple, proposer à Luther de manipuler une boule lumineuse, ou une tortue vibrante. Mais le tube transparent a définitivement conquis le petit garçon. Un choix accepté, respecté. Ensemble, Luther et Julien vont continuer à snoezeler, dans cet espace où il n’y a rien d’autre à faire que d’être bien.

Vous avez dit snoezelen ?

Laissons vagabonder notre imagination. Dans snoezelen, on peut entendre le "ou" de douceur, le "zzz" d’une respiration détendue, le "l" qui nous élève vers un monde intérieur, sécurisant. Snoezelen est en réalité un néologisme hollandais né en 1978 de la fusion de deux verbes : "doezelen" et "snuffelen". Le premier peut se traduire par "somnoler doucement", le second par "fureter, explorer…". Snoezelen a été présenté pour la première fois lors d’un symposium sur le jeu organisé par l’association néerlandaise pour l’étude du han dicap mental. Depuis, ces espaces de bien-être où l’on peut communiquer sans la parole – mais avec le toucher, l’odorat, l’ouïe, la vue – se sont multipliés. Ils permettent de créer du lien privilégié avec des personnes pour qui le verbe n'est pas aisé, et finalement avec toute personne qui en sentirait le besoin.

Julien Petyt l’avoue, il ne connaissait pas cette pratique, ce sont les membres d’une fondation qui ont attiré son attention et ont financé l’aménagement de la salle. Une belle découverte pour le directeur de cette école inclusive, qui accueille en son sein 11 enfants porteurs de handicap. Une petite salle a ainsi été libérée et aménagée. "On a vite compris l’intérêt pour les enfants de la classe inclusive mais aussi pour les autres", explique le directeur. "Il est vrai que ces salles sont souvent utilisées dans des écoles d’enseignement spécialisé, des centres pour personnes handicapées ou des maisons de repos. Elles sont peu nombreuses dans des écoles ordinaires. Mais j’ai vite senti que snoezelen pourrait également être bénéfique aux enfants qui, par exemple, ont des difficultés à gérer leurs émotions. Lorsqu’il y a trop de colère, de tristes se, de joie…, snoezelenpeut aider à engendrer un état de disponibilité, d’écoute, d’apaisement. Nous sommes ici au début de l’expérience. Plus tard, j’envisage d’ouvrir la salle à tous ceux qui le souhaite et, pourquoi pas, d’offrir des moments snoezelen en famille."

Accepter de ne rien faire

Proposer snoezelen, cela ne se résume pas à installer du matériel dans une salle cosy. Il faut se former, s’ouvrir et accepter de se décharger de certains réflexes ou principes. Julien Petyt et son équipe terminent un cycle de formation et sont allés visiter d’autres espaces, comme celui du centre de jour l’Escalpade, à Louvain-la-Neuve. Florence Marique nous y accueille. Depuis septembre 2016, 27 adultes porteurs de handicap se rendent chaque jour au centre. La salle snoezelen est installée depuis novembre dernier. En ce jour de printemps, elle est encore empreinte des choix du dernier visiteur. Le matelas à eau avec caisse de résonnance vibre au son d’une mélodie de Christophe Maé, dont le clip vidéo a été projeté sur le mur via un écran. "On bénéficie de la salle tous les jours. On l’utilise de deux manières. Après le repas, certains résidents vont se reposer, écouter de la musique, se coucher sur le matelas à eau, ils sont dans leur bulle, seuls, ils ont leurs repères. Lorsqu’ils ressortent, la plupart sont recentrés, apaisés et plus ouverts aux activités de groupe. Nous organisons aussi des ateliers sur inscription. Dans ce cas, l’animateur doit sentir l’état d’esprit dans lequel arrivent les participants. Sont-ils tracassés, remplis de colère, détendus ? Tout se construit sur le ressenti et le respect. L’éducateur crée une ambiance à l’aide de lumières, de sons, invite à manipuler des objets, laisse faire… Pour les personnes qui n’ont pas accès au langage oral, c’est un moment où elles vont exprimer des choses d’une autre manière mais aussi pouvoir entrer en relation avec les autres, ce qui est plus difficile dans un autre contexte. Et pour un public avec un handicap moteur – qui est sans cesse entouré d’appareillages – sortir de leur siège coquille ou de leur voiturette leur fait un bien fou. En fait, snoezelen fait du bien à tout le monde, soignants, animateurs et résidents".

Arrêt dans un cocon magique

Comment profite-t-on, ensemble, d’un moment snoezelen ? Pour Florence Marique, il faut "accepter que, parfois, ne rien faire peut apporter des choses bénéfiques à chacun d’entre nous ! Mais, finalement, être à l’écoute de ses sens, ça va très vite. On lâche prise dans cette ambiance un peu magique, dans ce cocon. On se déconnecte et on profite de ce qui vient, sans rien attendre de l’autre". "Et toute personne a besoin de s’arrêter ajoute-t-elle, nous sommes sans cesse à la recherche du temps et dans l’hyper stimulation. Je verrais bien, par exemple, un tel espace dans une entreprise. Je suis convaincue qu’un moment snoezelen permettrait de continuer la journée dans un autre état d’esprit."

Le prix du bien-être

Aménager une salle snoezelen n’est pas à la portée de tous. Le matériel installé à l’Escalpade à Louvain-la-Neuve a coûté 10.000 euros. "Sans l’aide de donateurs, c’est tout-à-fait impossible à financer", confirme Florence Marique.

"De manière générale, ajoute-t-elle, de nombreuses activités de détentes sont financées par des fondations ". À l’école Saint-Paul, c’est également un financement extérieur qui a permis l’installation de l’espace. "Pour nous, c’était important de nous faire accompagner par des professionnels, explique Julien Petyt, mais on projette de fabriquer nous-mêmes du matériel."

À Louvain-la-Neuve, ce sont également des spécialistes qui ont permis un agencement optimal de l’espace mais également un choix pertinent du matériel. S’il ne nie pas l’importance de bénéficier d’un espace de qualité, Marc Thiry, fondateur de "snoezelen sans frontières", tient un discours plus nuancé. "Sans salle snoezelen, on peut snoezeler. Mettre une personne autiste sur un matelas à eau ne va pas l’apaiser, ce n’est pas une propriété du matelas ! La base, c’est la relation qu’on peut créer. Le principal étant de disposer d’éléments visuels, auditifs, olfactifs, etc. qui permettent de rejoindre la personne là où elle est."

"L’art de la relation"

À Louvain-la-Neuve comme à Mont-sur-Marchienne, directeurs, instituteurs, éducateurs…

ont suivi une formation auprès de Marc Thiry. Ce kinésithérapeute et haptonome – fondateur de "Snoezelen sans Frontières" – connait bien la pratique, qui, selon lui, peut se résumer à cultiver l’art d’être en relation. "Quel que soit notre état, nous conservons tous notre capacité à être en relation. Former à la pratique snoezelen, c’est former à retrouver des gestes naturels – le plus souvent réservés à notre proche entourage – et à les inscrire dans un signifiant. Nous vivons dans un monde où les contacts corporels sont relativement pauvres ou médicalisés. Snoezeler avec quelqu’un, c’est ne rien faire d’autre que de rassurer de sa présence, observer ce qui fait du bien, apaiser par des gestes, res pirer ensemble. C’est favoriser la communication par le biais des sens." D’où l’idée qu’il s’agit davantage d’un art que d’une technique. "Le but, c’est de trouver le canal sensoriel pour communiquer avec la personne. Si le soignant observe que la musique apaise une personne, il pourra l’utiliser hors de l’espace, comme par exemple lors du repas ou de la toilette". Car ce qui est vécu dans la salle n’est pas destiné à y rester, mais bien à s’exporter pour améliorer la qualité de vie au quotidien. 

Comment former à sentir ? Les participants apprennent à respecter trois temps de rencontre : l’approche, l’échange relationnel et la distanciation progressive avec le retour dans le lieu de vie. À cela, explique Marc Thiry, viennent s’ajouter quelques conditions : "L’environnement, l’espace et le temps sont importants, mais cela ne suffit pas pour entrer en relation. Il faut se sentir sécurisé pour permettre à l’autre d’être accueilli. Qu’est-ce qui sécurise ? Certains chantonnent pour se détendre, d’autres ont besoin d’être enveloppés, de voir un paysage… Pour être dans l’interaction, on observera la personne, ce qui lui plait ou la dérange. Ensuite, il y a le partage avec d’autres professionnels et les proches."

>> Infos : www.snoezelensansfrontieres.org