Vie professionnelle

Le travail en vaut-il la peine ?

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ALINE VERDIN ET ANNELISE NANQUETTE

ALINE VERDIN ET ANNELISE NANQUETTE

Le Dr Pierre Firket est responsable thérapeutique à la Clinique du stress et du travail "La Licorne" à Liège. Lors du webinaire, il explique : "Nous observons depuis des années l’évolution des souffrances engendrées par le travail. Et nous constatons que ce n’est pas le travailleur qui est malade, mais bien le travail lui-même". Souffrir au travail est donc anormal. Et en comprendre les causes est indispensable.

Se dépasser… jusqu’à quel point ?

Il y a plusieurs années déjà, le psychiatre et psychanalyste français Christophe Dejours a mis en lumière la souffrance au travail. Le travail nous demande un effort, du courage et de l’ingéniosité. Une fois que nous nous sommes dépassés, nous ressentons un sentiment d’accomplissement, précise le Dr Firket, en faisant référence à cet auteur. Après avoir fourni du "bon travail", celui qui en valait la peine, le travailleur éprouve un sentiment positif d’apaisement. Travailler, c’est donc un peu "souffrir". Mais jusqu’à une certaine limite ! Le mal-être professionnel apparaît donc au moment où le travailleur ne ressent plus ce sentiment d’accomplissement.

Un monde en mutations

Le travail était-il moins pénible il y a 50 ans ? Non évidemment. Mais le monde a subi des changements sociologiques et technologiques importants qui peuvent provoquer un décalage face à nos propres besoins d’accomplissement : un autre rapport au travail, un désir d’immédiateté et d’hyperconnexion, un avenir moins rassurant, la numérisation de nos actes qui déshumanise et rend les choses "sans limite", le télétravail qui réduit davantage la frontière entre vie professionnelle et vie privée et nous isole les uns des autres… Nos sociétés ont aussi évolué vers une économie de la performance et du rendement qui ne valorise plus autant (voire plus du tout) le travail réel : ce qui a demandé de l’énergie, de la créativité, de la motivation… Or, c’est ce travail réel qui fait sens auprès du travailleur.

Burnout n’est pas dépression

À la Clinique du stress et du travail, tous les patients en situation de burnout professionnel avancent le même discours, relate le Dr Firket : "Je ne me reconnais plus", "Ce n’est pas moi", "Pourtant j’aime mon travail"… Le burnout n’est pas une dépression, mais un état qui consume (burn en anglais) doucement de l’intérieur. Chez certains patients, le burnout entraîne un sentiment de culpabilité, de honte. Or, l'épuisement professionnel peut surgir chez une personne qui présente beaucoup de qualités humaines et professionnelles, mais est tout simplement usée par des épisodes répétés de stress. Ce stress peut être provoqué par une gestion d’entreprise et des conditions de travail préjudiciables aux travailleurs. La perte de sens et d’un idéal de travail, l'impression de ne plus être en phase avec ses propres valeurs peuvent aussi jouer un rôle dans l'apparition du burnout...

Retrouver du sens

Les travailleurs en souffrance doivent être écoutés et soutenus par des professionnels. L’idée n’est pas de les rendre plus résistants, mais de les protéger en leur donnant le temps nécessaire pour se reconstruire et retrouver le sens de leurs valeurs. Ils peuvent aussi être les porte-paroles d’une situation professionnelle qui n’est pas normale, voire inacceptable. Témoigner de la sorte est courageux. Le burnout apparaît alors comme une occasion de recréer un sentiment d’exister dans son travail. Le travail en vaut-il la peine ? Oui, excepté si cette peine n’a pas de valeur existentielle, conclut le Dr Firket.

>> Visionnez le webinaire (1h30) sur Youtube

Quelques pistes d'action

• Réintroduire de la solidarité et des évaluations collectives dans le milieu du travail pour éviter la compétition et valoriser le travail réel.
• Encadrer le manager pour lui donner toutes les clés afin d’être un "bon manager" c'est-à-dire quelqu'un de juste, équitable, qui connaît son métier et fait autorité.
• Créer des espaces délibératifs pour parler du travail réel : comment les travailleurs ont-ils réalisé cette tâche ? Pourquoi ce travail est-il bien fait ?...
• Prendre sa part de responsabilité, mais pas à n’importe quel prix !
• Garder une distance entre la sphère privée et professionnelle
• Bien se connaître, savoir ce que l’on veut et ce que l’on ne veut pas, et pouvoir le dire.