Vie professionnelle

Femmes pensionnées, l’heure des comptes 

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Soraya Soussi

Soraya Soussi

“Anne-Marie, l’une de nos militantes nous dit souvent que les enfants et les petits enfants ne se rendent parfois pas compte de la précarité de leurs ainées. Quand des grandes familles ont pour habitude de se rassembler chez les grands-parents, les enfants ne pensent pas forcément au coût du repas. Résultat : les grands-mères ne peuvent plus se permettre d’organiser ces réunions familiales. Et ces sujets de discussion sont très tabous dans la famille”, Gaëlle Demez, responsable nationale des femmes CSC et des seniors dresse le portrait d’une autre réalité que celle de la mamie gâteau. 

“Pour aider les femmes, nous organisons des ‘tontines’ (système de solidarité traditionnelle chez les femmes en Afrique). Chacune met un peu d’argent pour aider l’une d’entre nous”, explique Marie-Thérèse Tdumba, retraitée et fondatrice de l’association Yambi Développement. Cette asbl, située à Wavre, lutte contre la pauvreté et l’exclusion des personnes migrantes. “Avec une pension de 400 euros par mois, poursuit-elle, c’est tout simplement impossible de vivre. Je dois donc continuer à travailler malgré mes 75 ans.” 

Dans les semaines qui ont précédé la journée internationale des droits des femmes, de nombreuses revendications ont été exprimées. Parmi les combats menés, figure celui des femmes retraitées en situation de grande précarité. Dimanche 8 mars, ces femmes ont battu le pavé pour faire valoir leur droit à une vie digne. Cette précarité engendre de lourdes conséquences sur leur santé. Elles se privent de soins de santé, pourtant de plus en plus nécessaires arrivées à un âge avancé. Elles s’isolent socialement, comptent les moindres dépenses, ne partent plus en vacances, etc. Ces situations sont loin d’être anecdotiques. Elles concernent une grande majorité de femmes pensionnées. 

Calculs complexes, résultats limpides 

Si le calcul des pensions complètes pour les personnes retraitées est très variable car il dépend de la carrière que chacun et chacune a mené durant sa vie, les chiffres sont sans équivoque : les femmes perçoivent majoritairement une pension complète beaucoup moins importante que les hommes à cause des écarts salariaux. Gaëlle Demez, responsable nationale des femmes CSC et des seniors, confirme : “en moyenne, un homme salarié percevra pour sa pension complète 1245 euros par mois (ce qui n’est déjà franchement pas grand-chose) alors que sa collègue recevra pour la même durée de travail, 810 euros par mois. Le seuil de pauvreté étant de 1187,17 euros par mois.” Pour les indépendantes, la situation est encore plus alarmante : un homme indépendant percevra une pension complète de 1087 euros brut par mois. Une femme indépendante percevra, quant à elle, 331 euros brut par mois (3) 

Si ces chiffres concernent les montants moyens pour une carrière complète, les rapports du Service fédéral des pensions démontrent que peu de femmes atteignent les 45 ans de carrière. Et ce, pour des raisons multifactorielles. 

Cela commence dès l’enfance et se détermine dans le choix des études à travers l’éducation et les stéréotypes encore véhiculés dans la société, observe Véronique Debaets, experte emploi à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) : “les petites filles pensent qu’elles ont surtout des capacités relationnelles, d’aide, de communication et les petits garçons sont dirigés vers des métiers où les notions de compétitivité, d’inventivité sont mises en valeur.” 

Métiers féminisés, femmes précarisées 

Ces disparités résultent de choix de carrière, de vie, qui questionnent notre société et nous concernent toutes et tous. “Ces inégalités socio-économiques démarrent au début de la vie professionnelle. Les femmes se dirigent généralement vers des secteurs d’activités moins rémunérés comme les services d’aide à la personne, la santé mais aussi des emplois où les conditions de travail sont assez précaires comme le secteur du nettoyage ou de la grande distribution qui fonctionnent presque uniquement avec des temps partiels ou avec des horaires coupés.”, analyse Véronique Debaets. Gaëlle Demez, de la CSC, complète ce dernier point en précisant que “les femmes qui travaillent dans ces secteurs sont parfois également obligées de s’arrêter plus tôt dû à la pénibilité et aux conditions de travail qui engendrent souvent des maladies ou des douleurs chroniques.” 

L’experte emploi de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes continue son analyse en évoquant la réalité du plafond de verre qui concerne ces métiers féminisés : “Dans un même secteur, les femmes sont sous-représentées dans les postes les mieux payés. Elles ne parviennent donc pas à monter dans la hiérarchie.” 

Le prix d’être mère 

Pour Véronique Debaets, ces choix de temps partiels, de temps de carrière plus courts sont étroitement liés à la période de maternité d’une femme. “On observe qu’en début de carrière, les femmes et les hommes ont en moyenne le même salaire. L’écart salarial se creuse après l’âge de 30 ans, plus ou moins au moment de la première maternité. Avoir un enfant est encore extrêmement pénalisant pour la carrière des femmes qui le paient à la pension.”  

Avec l’arrivée des femmes sur le marché du travail, les pouvoirs publics ont mis en place certaines aides collectives (services liés à la petite enfance par exemple). Mais les congés parentaux, crédit temps, interruption de carrière, etc. restent majoritairement pris par les femmes. “Ce n’est donc pas vraiment un choix de prendre un temps partiel. Généralement, c’est parce qu’elles doivent concilier vie professionnelle et vie de famille. De plus, du fait de choisir des emplois moins bien rémunérés que leur mari, c’est elles qui vont diminuer leur temps de travail ou prendre une plus longue période de congé parental car cela aura un impact moins important sur les finances de la famille”, souligne Véronique Debaets. 

Selon une étude menée en 2016 par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, les femmes effectuent 1h30 de travail non rémunéré par jour dans la sphère privée en plus que les hommes. Quant à ceux-ci, ils travaillent (de manière rémunérée) 1h30 en plus que les femmes par semaine. Les hommes bénéficient donc de plus de travail rémunéré, dans des secteurs qui paient mieux. Arrivés à la pension, ils s’assurent ainsi plus de droits que les femmes.  

Stopper l’hémorragie sociale des femmes  

Des mesures à court terme pour soustraire les femmes de la précarité sont possibles. Gaëlle Demez milite pour une revalorisation des montants de pensions. Son objectif ? Obtenir pour les femmes une retraite dépassant le seuil de pauvreté (1187,17 euros). Aussi, il faudrait revenir sur la limitation des périodes assimilées lors de la réforme des mécanismes des pensions initiée par le ministre des pensions, Daniel Bacquelaine. Ces périodes assimilées permettaient aux femmes ayant pris un crédit-temps ou un congé de parentalité de ne pas être pénalisées sur ces périodes, à l’âge de la pension. (Voir article “Le calcul des périodes d’inactivité pour la pension, n°1619) 

Les revendications politiques en termes de protection des droits des pensionnées sont nombreuses. Pour Véronique Debaets, il est possible d’agir au niveau des pensionnées d’aujourd’hui en appliquant “des mesures correctrices”.  Mais l’experte emploi de l’IEFH rappelle aussi l’importance d’agir en amont : “il est important pour nous, que les femmes et les hommes aient les mêmes chances de faire carrière et donc les mêmes opportunités de se constituer des droits propres. Il faut prendre des mesures plus volontaristes comme l’obligation du congé de paternité qui éviterait une série de comportements discriminants de la part d’employeurs vis-à-vis des femmes. Si les hommes s’arrêtent plus dans leur carrière, on peut espérer que les femmes s’arrêteront moins dans la leur.”  

 Revaloriser les métiers majoritairement investis par les femmes, briser le plafond de verre qui ne permet pas aux femmes d’accéder à des postes haut placés dans les hiérarchies, questionner ce travail gratuit des femmes, adopter une meilleure répartition des tâches domestiques sont autant de pistes à explorer afin d'éradiquer les inégalités socio-économiques entre les femmes et les hommes. Si les chantiers sont nombreux, certains d’entre eux évoluent positivement : les aides familiales, gardes à domicile et gardes d’enfants malades ont obtenu du gouvernement wallon la reconnaissance de leur rôle social d’aide à la personne. Plus de 7.000 personnes (à 95% des femmes) sont concernées. À partir du 1er avril, elles passeront du statut ouvrier au statut employé, ce qui se traduira par des avancées sociales et salariales (salaire garanti en cas de maladie, congés payés, primes de fin d'année...). Un combat porté depuis 20 ans par la Centrale nationale des employés (CNE-CSC) et soutenu par les Aides et soins à domicile (ASD). À Bruxelles, ces travailleurs et travailleuses sont déjà sous statut d'employés. 


(1)Des chiffres tirés du rapport de mars 2019 du Service fédéral des pensions 

(2)“Longues vies et petites pensions”, F.Declercq, axelle magazine, n°225-226, 2020 

(3) Questions à la une,RTBF,20 novembre 2020 

Grapa au féminin

Selon les chiffres d’Énéo, le mouvement des ainés de la Mutualité chrétienne, la majorité des bénéficiaires de la Grapa sont des femmes: 65,5% de femmes contre 34,5% d’hommes. Marie-Thérèse Tdumba a fondé l’association Yambi Développement située à Wavre pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion des personnes migrantes. Elle nous confiait sur le plateau de l’émission de ZIN TV “Les femmes comptent. L’économie n’en tient pas comptedontEnMarche était partenaire pour la journée du 8 mars: “En tant que femme migrante, je n’ai pas pu travailler longtemps en Belgique. Je bénéficie d’une pension qui s’est calculée sur 8 ans de carrière donc je gagne 400 euros/mois pour vivre. Pour subvenir à mes besoins, j’ai pu, avec l’aide de mes enfants acheter une maison. Je me suis ensuite renseignée pour savoir si j’avais droit à la Grapa. La réponse fut négative car je possède une maison. Je suis donc obligée de continuer de travailler. Sinon, je ne survis pas.” En effet, dans l’enquête menée par Questions à la une diffusée le 20 novembre dernier, les personnes retraitées et propriétaires vivant sous le seuil de pauvreté étaient de 15%. “Il faut assouplir cet accès à la Grapa, ce n’est pas vivable. Avoir une maison ne signifie pas qu’on est riche.”