Parentalité

Puberté précoce : quand la nature prend de l’avance
 

6 min.
(c) Yasmine Gateau
(c) Yasmine Gateau
Candice Leblanc

Candice Leblanc

Ce jour-là, Mylène accompagne sa fille, Jeanne, à la piscine. Alors qu’elles se changent dans les cabines, elles remarquent un peu de sang dans la culotte de la fillette. "J’ai mis un moment à comprendre, se souvient Mylène. Les derniers mois, elle avait beaucoup grandi et elle avait un peu de poitrine, mais comme elle avait aussi pris du poids, je ne m’étais pas inquiétée. J’étais à mille lieues d’imaginer que c’était (déjà !) sa puberté ! Jeanne n’avait pas encore dix ans… Elle a vu à ma tête que j’étais un peu sous le choc ! Puis j’ai repris mes esprits et lui ai expliqué que c’était sans doute ses règles."

Si les premières menstruations surviennent en moyenne entre 12 et 13 ans, chaque fille est différente. Dans certaines familles, la puberté commence plus tôt ou, au contraire, un peu plus tard. "Si la poitrine commence à se développer avant l’âge de 8 ans et/ou que les règles (ménarche) surviennent avant 10 ans, on parle alors de puberté précoce (1), explique le Pr Philippe Lysy, responsable du service d’endocrinologie pédiatrique des Cliniques universitaires Saint-Luc. Après le développement mammaire et l’accélération de la croissance – qui caractérisent le début de la puberté – la ménarche est la dernière étape du processus pubertaire."

Puberté ne rime pas (forcément) avec pilosité

Petit rappel : la puberté est la période durant laquelle apparaissent les caractères sexuels secondaires (seins, règles, augmentation de la taille des testicules et du pénis, etc.), l’aptitude à la procréation et une accélération de la croissance. Tous ces bouleversements commencent dans l’hypothalamus, une zone située au centre de notre cerveau, qui contrôle et régule plusieurs fonctions vitales. "L’hypothalamus sécrète une hormone, la GnRH, qui déclenche la puberté en activant les hormones dites gonadiques : œstrogènes, progestatifs et testostérone, explique le Pr Lysy. Ce sont elles qui sont responsables de l’apparition des caractères sexuels secondaires."

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la pilosité n’est pas toujours un marqueur de la puberté. "Les poils sont plutôt une conséquence des androgènes. Ces hormones-là peuvent aussi bien être sécrétées par les testicules et les ovaires que par les glandes surrénales (situées au-dessus des reins). Dans ce second cas, la pilosité n’est pas liée à la puberté. On peut être pubère sans avoir de poils, et vice versa."    

Un phénomène en augmentation ?

D’aucuns affirment qu’il y aurait de plus en plus de pubertés précoces. "D’après un article revoyant les publications mondiales, l’âge des premières règles aurait avancé de trois mois par décennie depuis les années 70, explique la Pr Claudine Heinrichs, chef de clinique de l’unité d’endocrinologie pédiatrique à l’Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (Huderf). Une autre analyse affirme que la prévalence du phénomène serait passée d’une fille sur 5.000 à une sur 2.000. À l’Huderf, l’augmentation des consultations à ce sujet est très nette : d’une vingtaine de cas dans les années 80, nous sommes passés à environ 200 enfants suivis chez nous pour une puberté précoce. Mais est-ce parce qu’il y en a davantage ou est-ce parce que les parents s’en inquiètent et consultent plus qu’avant ? Difficile à dire…" "Nous n’avons pas de chiffres précis pour l’Europe et encore moins pour la Belgique, ajoute le Pr Lysy. Et il serait hasardeux de comparer d’éventuelles études sur l’âge de la ménarche il y a cent ans avec les données actuelles, tant les méthodologies et surtout la population européenne – beaucoup moins homogène, car désormais multiethnique – ont évolué au cours du 20e siècle."

Les causes de la puberté précoce

Quoi qu’il en soit, qu’est-ce qui peut avancer ou retarder la puberté ? En premier lieu, la génétique ; il y a des familles où les filles sont naturellement réglées plus tôt ou plus tard que la moyenne, où les garçons “poussent” plus tardivement, etc. "On a d’ailleurs identifié de nouveaux gènes qui agissent comme des freins sur l’hypothalamus ; ils se lèvent en fin d’enfance et permettent le déclenchement du processus pubertaire, explique la Pr Heinrichs. Les perturbateurs endocriniens (2) sont aussi évoqués… même s’il est très difficile d’établir un lieu de cause à effet étant donné que l’ensemble de la population y est exposé et que tout le monde n’y réagit pas de la même façon."

En revanche, le poids a une influence établie sur les règles. La preuve : les adolescentes et femmes qui souffrent d’anorexie n’en ont souvent plus. À l’inverse, le surpoids et l’obésité sont associés à une puberté avancée ou précoce chez les filles et tendent à retarder la puberté des garçons. Comment ? "Plusieurs mécanismes sont à l’œuvre, répond le Pr Lysy. Chez les filles, le corps fonctionne un peu sur un principe d’abondance et de compensation ; il déclencherait la puberté pour compenser une certaine 'largeur' et serait, en quelque sorte, en avance. La graisse sécrète aussi des substances qui peuvent agir au niveau hormonal."

C’est grave, docteur ?

Aussi surprenante, voire déstabilisante soit-elle, la puberté précoce n’est pas un problème au sens médical du terme. Elle n’est pas associée à la ménopause précoce et n’a aucune influence particulière sur la fertilité. "Dans la toute grande majorité des cas, il s’agit d’une puberté qui se déroule normalement, mais simplement trop tôt, rassure l’endocrinologue. Encore faut-il s’assurer qu’il s’agit bien de cela ! Par exemple, si une fillette a des saignements à 7 ans, mais pas de bourgeon mammaire, ce n’est pas la puberté. Il peut s’agir d’une infection urinaire, de lésions dans la sphère génitale ou même d’un angiome (malformation au niveau des vaisseaux sanguins superficiels). Dans de rares cas, une tumeur cérébrale dans la zone de l’hypothalamus ou de l’hypophyse, une autre zone du cerveau, peut induire une puberté précoce ou tardive, mais cela concerne moins de 5 % des cas."

Afin de s’en assurer, l’endocrinologue commence par interroger les parents sur l’âge des pubertés dans leur famille respective et par examiner la courbe de croissance de l’enfant. Le médecin examine la jeune fille, bien sûr, et peut demander une radio des mains pour vérifier l’âge osseux, une échographie du bassin pour évaluer l’utérus et les ovaires et, parfois, une IRM cérébrale. Des tests de stimulation hormonale peuvent aussi être ordonnés.

Un traitement non obligatoire

Il est possible de bloquer une puberté précoce. Il suffit d’administrer de la GnRH par voie intramusculaire, tous les 3 à 6 mois. Comme l’injection est plutôt douloureuse, on peut appliquer de la crème anesthésiante ou proposer une (très) courte sédation ; l’injection devra alors se faire à l’hôpital. Ce traitement est sûr et bien toléré. Il stoppe, freine, voire fait régresser le développement de la poitrine et peut suspendre la ménarche. "L’effet sur la taille est cependant modeste, sauf dans les situations de pubertés très précoces débutant avant l’âge de 6 ans, explique la Pr Heinrichs. En effet, si la puberté s’accompagne d’un pic de croissance, celle-ci cesse environ deux ans après les règles. Ces filles sont souvent grandes comme enfants, mais se feront dépasser par leurs pairs par la suite."

Offrir un répit à une jeune fille qui vivrait mal la situation est aussi un enjeu du traitement. "Jeanne était trop jeune pour gérer ses règles, se souvient sa mère. Je devais régulièrement lui rappeler de changer de serviette périodique, car elle oubliait de le faire. En plus, elle subissait les symptômes habituels : crampes, humeurs changeantes, etc. Elle demandait souvent 'pourquoi moi ?' ; elle trouvait injuste que ça n’arrive qu’à elle…"

Laisser faire la nature ?

Pourtant, après mûre réflexion, Mylène et son conjoint ont décidé de ne pas imposer de traitement à leur fille. "Elle déteste les piqûres et les hôpitaux… Et puis, bon… c’est la nature, après tout ! Autant laisser les choses suivre leur cours."

"Avant l’âge de six ans, en général, on ne discute pas et on traite, commente la Pr Heinrichs. Mais si le bourgeon mammaire apparait vers 7-8 ans – sachant que les règles surviendront environ deux ans et demi plus tard (3) – tout dépend de l’enfant et du contexte. Il y a des familles où c’est très mal vécu, notamment par les parents. Mais pour peu qu’on leur explique bien la situation, la grande majorité des enfants comprend et s’adapte. C’est vrai que ce n’est pas très chouette quand elles sont les seules de leur âge à être pubères, mais c’est provisoire : vers la 5e primaire, il y a de fortes chances pour que d’autres jeunes filles de leur classe soient réglées à leur tour."     

 


 

(1)  Quand la ménarche survient entre 10 et 11,5 ans, on parle plutôt de puberté avancée.

(2)  Selon l’OMS, un perturbateur endocrinien est une substance chimique d’origine naturelle ou synthétique, étrangère à l’organisme et susceptible d’interférer avec le fonctionnement du système endocrinien (hormonal).

(3)  Il s’agit de moyennes ; dans le cas de Jeanne, les premières règles sont apparues quelques mois à peine après l’apparition du bourgeon mammaire.

Et les garçons ?

Le début de la puberté est plus subtil chez les garçons puisqu’elle commence par l’augmentation du volume des testicules. Si le phénomène survient avant l’âge de 9 ans, on parle de puberté précoce. Cela dit, chez les garçons, on observe davantage de pubertés tardives. Ici aussi, il y a des familles de "late bloomers" (qui fleurissent tardivement) où le pic de croissance n’intervient que vers 16-17 ans – ce qui, bien souvent, complexe et inquiète les intéressés ! Cela dit, si à 14 ans, aucun signe pubertaire n’est apparu, mieux vaut faire un bilan chez l’endocrinologue.