Loisirs

Tous à la cabane !

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© iStock-Marc Dufresne<br />
© iStock-Marc Dufresne
"La cabane est une invitation au bricolage, une aventure à construire", selon Dominique Bachelard, spécialiste en sciences de l'éducation.
Sandrine Cosentino

Sandrine Cosentino

"Nous allons utiliser le cerisier… oui, pourquoi pas… Et nous installerons la cabane tout au-dessus de l'arbre… Heu non, là, ça va être compliqué… Et si nous prenions comme faîte de toit la grosse branche assez horizontale ?... Bonne idée !" Voilà comment tout a commencé en période de déconfinement dans le jardin des grands-parents. Heureux de se retrouver, enfants et adultes ont improvisé une virée au bois pour ramasser le matériel nécessaire à l'aménagement d'un refuge sommaire mais plaisant.
"On ne fait pas des cabanes comme on construit des maisons, en suivant des plans. On se débrouille avec ce que l'on a sur place… et on invente un monde." Dans son ouvrage De la nécessité des cabanes, le philosophe et professeur d'esthétique, Gilles A. Tiberghien (1) résume bien l'état d'esprit dans lequel est plongé le rêveur de cabane. Libre… libre de tout imaginer !

Un formidable outil créatif

La construction de cabanes occupe une place importante dans les jeux d'enfants. Mais pourquoi les aiment-ils tant ? Une activité sans cesse réinventée, avec des objets imaginaires ou détournés, les cabanes remplissent plusieurs fonctions. Dans "L'enfant et les cabanes" (2), le Dr Patrice Huerre, pédopsychiatre, avance en premier lieu les fonctions utilitaires. Les jeunes découvrent les rudiments de la construction : les matériaux utiles, leur solidité, leur maniabilité, les manières de les assembler… En groupe, ils s'organisent, se répartissent les tâches selon les compétences ou les envies de chacun. C'est aussi un lieu d'expérimentation pour tester des idées. La construction d’une cabane revêt aussi une importante fonction de transmission : "Transmission d'expériences des aînés, enfants plus âgés ou parfois parents. Transmission entre générations, depuis la nuit des temps, d'un savoir indispensable à la survie de l'espèce. Transmission des savoir-faire (…). Transmission des manières de faire ensemble…", évoque Patrice Huerre. Le pédopsychiatre relève encore la fonction projective : fabriquer une cahute permet de préparer un projet personnel et/ou collectif, de projeter ses craintes comme ses attentes. "La cabane est un lieu transgressif, le lieu de tous les possibles. Pour cette raison, physiquement et mentalement, nous avons besoin de ces espaces, même adultes", renchérit Gilles A. Tiberghien.

Deux enfants ont fait une cabane avec les coussins du fauteuilRefuge ou évasion

"J'y allais quand j'avais des chagrins. C'était un lieu où je me sentais en confiance, protégé. Cette niche m'a fait grandir, car elle m'a accompagné jusqu'à mon adolescence", témoigne Frédéric, 20 ans, dans l'article "S'encabaner", art constructeur et fonctions de la cabane selon les âges de Dominique Bachelart (3), maîtresse de conférences en sciences de l’éducation. "Cachette, refuge, aire de jeux ou lieu propice à la rêverie et aux songes, la cabane est un espace de liberté au milieu des contraintes du quotidien", expliquait Patrice Huerre, alors consultant de l’exposition Cabanes qui rencontra un énorme succès durant l'année 2019 à la Cité des Sciences et de l’Industrie, à Paris. Lors de cette exposition originale et surprenante, les petits visiteurs étaient invités à explorer et inventer : pour l’enfant, construire une cabane, c’est aussi se construire soi-même. Même quand elle est improvisée entre trois coussins, la cabane est un refuge, une cachette, un secret… Elle ne constitue pas seulement un territoire physique ; elle ouvre les portes d’un espace psychique, refuge temporaire. On peut construire pour soi ou pour les autres, pour se couper du monde ou en recréer un.

Des histoires à raconter

"Pendant le confinement, nous avons commencé à construire une petite cahute dans un bois près de chez nous. Quelques jours plus tard, nous découvrons que d'autres personnes ont agrandi notre construction. Nous lui ajoutons encore une pièce. D'autres personnes construisent aux alentours. Finalement, il y avait quatre grandes cabanes dans le bois. C'était un chouette moment," confie une maman de deux garçons de 8 et 5 ans.
Rien qu’en entendant ou lisant le mot "cabane", la plupart d'entre nous voyons ressurgir des images et souvenirs. Rapidement, des anecdotes nous reviennent en mémoire, nous faisant revivre des sensations, des émotions : l’odeur des fougères destinées au toit d'un cabanon construit lors d’un camp de vacances, la douceur des couvertures sous lesquelles se réfugier, le goût des biscuits croqués dans une vieille voiture parquée dans la grange...
Dominique Bachelart confirme qu’il est aisé de faire témoigner les adultes sur les cabanes tant celles-ci ont un grand pouvoir d'évocation. Chargées de poésie et de nostalgie, elles nous font renouer avec l'enfant enfoui en nous. C'est un sujet universel, qui parle à toutes les générations, filles comme garçons.

Un lieu éphémère

À l'école, c'est l'effervescence : "L'éducateur nous a construit un abri, viens voir !" Quelques palettes, un petit toit et la magie opère. Il n'y a pas de porte, mais il faut tout de même être invité pour y entrer. Par la fenêtre imaginaire, l'enfant offre un café et va chercher un gâteau dans la haie juste à côté. Les limites entre l'extérieur et l'intérieur sont floues. La nature alentour s'intègre dans l'ensemble et s'utilise au besoin. C'est un lieu de toutes les contradictions comme l’explique Gilles A. Tiberghien : "On s'y cache et on y est exposé en même temps, le haut et le bas se confondent et la cabane ne comporte ni cave ni grenier."

Quel est le moment le plus excitant dans la construction d’une cabane ? La recherche des matériaux, la fabrication elle-même ou le jeu dans la nouvelle construction ? A-t-on jamais terminé une cabane ? Est-ce un lieu éphémère ou définitif ? Les réponses sont personnelles. Pour Gilles A. Tiberghien, "le plus exaltant reste ce processus qui consiste à assembler des éléments très hétérogènes, qui ne vont pas forcément ensemble, et dont il faut trouver comment les ajuster, les ajointer. L'opération de bricolage est passionnante, créatrice, elle demande beaucoup d'inventivité." Chaque construction est unique puisque cela dépend du lieu, des matériaux à disposition, de l'état d'esprit dans lequel se trouve le constructeur… Et il est clair pour lui que la cabane ne se termine jamais. Tel qu'il l'envisage, "la cabane relève d'un temps éphémère. C'est un lieu où l'on sait qu'on ne restera pas longtemps, un lieu de halte, de refuge, mais qui n'a rien de permanent." Il souligne aussi un paradoxe : nous voulons faire vivre un lieu qui, par définition, ne durera pas…

"Les cabanes sont des lieux psychiques plus que des lieux physiques, des lieux affectivement chargés, et nous nous en souvenons très bien", conclut Gilles A. Tiberghien. À la définition initiale de la cabane (un espace dans lequel on s'abrite), Dominique Bachelart ajoute l'idée "qu'elle est le support et le symbole d'une prise d'autonomie progressive et de construction identitaire grâce au jeu, à l'imaginaire matériel et social partagé avec des pairs." Les enfants ont besoin de construire des cabanes. Alors, laissons-les faire, laissons libre cours à leur imagination !

(1) TIBERGHIEN, Gilles A. De la nécessité des cabanes. Bayard éditions, coll. Les petites conférences, 2019, 89 p.
(2) HUERRE, Patrice. "L'enfant et les cabanes", ERES, 2006/4 n°33, pp 20-26.
(3) BACHELART, Dominique. "S'encabaner", art constructeur et fonctions de la cabane selon les âges. Éducation relative à l'environnement, 2012, vol. 10.

Du tourisme insolite

Loger dans une cabane le temps d’un week-end ou d’un séjour de vacances : ce type de logement insolite est en plein essor. À deux pas de chez nous ou au bout du monde, de la plus simple à la plus luxueuse, sur terre ou dans les airs, la cabane se fait séduisante pour attirer couples, familles ou groupes d’amis.

Parmi les concepteurs, Didier Rensonnet se définit comme bâtisseur de bonheur (haut) naturel. Avec son entreprise "Cabanade", ce menuisier passe du rêve à la réalité. “Je ne reçois jamais deux demandes identiques et c'est ce qui me plaît. Le projet se construit petit à petit en fonction des envies, des lieux, du budget. On veille toujours à offrir un confort minimum avec une bonne literie, une kitchenette, un coin douche…" Pourquoi cet engouement ? Le menuisier l’attribue à plusieurs facteurs : une envie d'être plus proche de la nature, un besoin de simplicité, de calme, de bois et un désir de retourner en enfance. Pour Dominique Bachelart, spécialiste en sciences de l'éducation, vivre dans un cadre de plus en plus citadin, à haute densité humaine, à un rythme parfois stressant incite les personnes à rêver, le temps des vacances, de logements en pleine nature. Paradoxalement, cet attrait pour le naturel n’empêche pas de voir se développer avec succès des formules coûteuses, luxueuses et parfois aux antipodes de l’écologie. Selon Dominique Bachelart, la cabane se transforme parfois en produit et en spectacle. "Cela devient un concept en vogue revisité par des designers au confluent de courants actuels : prise de conscience écologique, volonté de vivre en harmonie avec la nature, besoin de retrouver ses racines, envie de revivre ses rêves d'enfants."

Pour en savoir plus ...

Des livres

Pour donner des idées ou simplement rêver, colorier et bricoler, voici deux livres pour les enfants :
  • Cabanes et Cachettes propose plus de 100 pages d'activités autour de la thématique. Débrouillardise, créativité, imagination et originalité.
    MARTELLE Nicolas et Myriam, BRYON Lucie · Milan · coll. Copain activités · 2019 · dès 6 ans · 11,90 EUR
  • Le livre des cabanes présente à la fois des histoires autour des cabanes et des idées pour les construire.
    ESPINASSOUS Louis · Milan · coll. Accros de la nature · 2006 · dès 7 ans · 13,50 EUR