Economie

Pour des vêtements "clean"

5 min.
© Geert Gevaert
© Geert Gevaert
Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

Le 24 avril 2013, dans un faubourg de Dacca (Bangladesh), un immeuble de huit étages s'écroulait, faisant 1.134 morts et 2.500 blessés. Le matin du drame, ouvrières et ouvriers du textile, employés indirectement par Benetton, Primark, Carrefour, Auchan, Mango…, avaient refusé d'entrer dans l'immeuble. En cause : des fissures aux murs, découvertes la veille par des inspecteurs. Mais les menaces de retenue de salaire et de licenciement exprimées par leurs directions eurent raison de leur détermination. Quelques heures plus tard, le drame survint. Le Rana Plaza était à terre.

Sécurité renforcée

Un mois après le drame, le premier "Accord sur la sécurité des bâtiments et la prévention incendie au Bangladesh" entrait en vigueur. Le program me, innovant, consistait à mettre aux normes les usines des fournisseurs de 215 marques et enseignes signataires. À l'aide d'une inspection crédible, indépendante et transparente de la sécurité des bâtiments, les firmes locales s'engageaient à rénover leurs bâtiments et garantir l'emploi et les revenus des travailleurs durant la période de fermeture des usines pour rénovation. Mais aussi de former les travailleurs, cadres et directions aux normes de sécurité, créer des comités de sécurité et d'hygiène au sein de chaque usine et mettre en place un mécanisme de plainte qui garantit l'anonymat et la sécurité des travailleurs.

Victimes indemnisées

Le lendemain de l'effondrement, la plateforme achACT, qui milite notamment pour l'amélioration des conditions de travail et le renforcement des travailleurs du textile, et son réseau international de la Clean Clothes Campaign, avaient exigé que les victimes soient indemnisées par les marques et les enseignes de mode. Plus d'un million de citoyens dans le monde ont participé à des actions d'interpellation des marques qui s'approvisionnaient dans une des cinq usines installées au Rana Plaza. Résultat : deux ans après le drame, les 30 millions de dollars nécessaires au dédommagement de l'ensemble des ayants-droit étaient rassemblés. "Maintenant que toutes les victimes touchées par cette catastrophe ont la garantie d'être indemnisées, elles vont enfin pouvoir commencer à reconstruire leurs vies, déclarait Carole Crabbé, coordinatrice d'achACT. Ensemble, nous avons une fois de plus prouvé que les consommateurs européens se soucient des travailleurs qui fabriquent leurs vêtements, et que leurs actions peuvent vraiment faire la différence."

Cinq ans plus tard

Normes de sécurité renforcées, victimes indemnisées, tout va pour le mieux pour les travailleurs du textile bangladais ? Non. Leurs salaires, de 60 à 70 euros mensuels, ne permettent que leur survie. "La plupart d'entre eux n'ont pas de diplôme, indique Jef Van Hecken, coopérant de Solidarité mondiale au Bangladesh jusqu'en 2014. Lorsqu'ils se présentent à l'usine pour être embauchés, les responsables leur demandent combien ils veulent gagner puis négocient un salaire ensemble. Ils se rendent compte, trop tard, que d'autres travailleurs sont plus largement rétribués. Ce n'est pas normal." En outre, les heures supplémentaires ne sont ni payées, ni récupérées. "Un nombre toujours plus important de pièces doit être réalisé en une journée. Avant le Rana Plaza, les travailleurs recevaient moins de 50 euros par mois pour confectionner 50 pièces par jour. Après le drame, ils ont obtenu un salaire de 50 euros mensuels, mais en contrepartie, 75 pièces devaient être réalisées quotidiennement. Aujourd'hui, c'est 120 à 125 pièces ! La situation est devenue intenable, tout le monde fait des heures supplémentaires, et leurs salaires, qui ne sont pas indexés, ne leur permettent pas de subvenir à leurs besoins."

Suer pour les vêtements de sport

Dans l'industrie de l'habillement de sport, les difficultés dont témoignent les travailleurs sont particulièrement criantes. La concurrence entre les grandes marques telles que Nike, Puma et Adidas, qui sous-traitent à des usines bangladaises, cambodgiennes, chinoises, indonésiennes…, mène à la violation de droits fondamentaux des travailleurs.

D'abord, l'absence d'un salaire "vital", malgré la reconnaissance de ce concept au niveau international. Il équivaut à une rémunération permettant au travailleur et à sa famille de financer leurs besoins de base (logement, nourriture, soins de san té, éducation, vêtements) et de réaliser quel ques économies. Dans les pays du Sud, la plupart des salaires dans l'industrie de l'habillement dépassent à peine le salaire minimum légal qui, lui, se situe bien en dessous d'un salaire vital. Pour garder les usines des marques internationales sur leurs sols, de nombreux gouvernements maintiennent le salaire minimum légal à un niveau délibérément bas. Conséquences : semaines de 70 heures, problèmes de santé, difficultés à se soigner, logements insalubres, absence de sécurité sociale…

Deuxième difficulté : l'absence de liberté d'association et de droit aux négociations collectives. Ceux-ci devraient offrir aux ouvriers un cadre pour se défendre et négocier leurs conditions de travail avec les dirigeants de l'usine. Mais les gouvernements et les patrons sont souvent hostiles au travail syndical indépendant et refusent de négocier avec les syndicalistes. Leurs droits bafoués, affiliés et leaders syndicaux sont victimes de licenciements, de discriminations, de harcèlement et d'intimidations.

Enfin, très répandue, l'utilisation excessive de contrats à court terme dans le secteur de l'habillement sportif. Dans 80% des usines au Cambodge, les travailleurs de l'habillement sont employés à court terme et voient leurs contrats renouvelés tous les deux ou trois mois, pendant des années. Interdite par la législation, cette pratique est néanmoins monnaie courante. Résultat : le travailleur n'est pas certain de voir son contrat renouvelé, ne prend pas de congé maladie quand c'est nécessaire par peur de perdre son emploi, ne peut ni se syndiquer ni bénéficier de certains aspects de la législation du travail…

En campagne

À l'approche du Mondial de football, Solidarité mondiale, ONG du Mouvement ouvrier chrétien (MOC), pose une question : les supporters sont-ils prêts à tout accepter ? À titre d'exemple, l'organisation décortique le prix d'un maillot des Diables rouges. Prix en magasin : 85 euros, dont seuls 60 centimes reviennent à la couturière asiatique, alors que le bénéfice encaissé par la marque revient à pres que 25 euros. Le doublement de son salaire ferait-il la différence sur le prix de vente du t-shirt en Europe ? Pour les consommateurs, non. Pour elle, trois fois oui. Sommes-nous prêts à la soutenir ? C'est le slogan lancé par Solidarité mondiale pour un salaire vital et pour plus de sécurité au travail.

Interpeller les marques

La campagne "Vêtements clean", lancée l'année dernière, a déjà récolté 30.000 signatures du public et de sportifs connus tels que Philippe Gilbert, Tia Hellebaut, les Red flames, les Yellow tigers, Thomas Buffel… Aujourd'hui, c'est sur les marques de sport que se concentrent les messages de campagne car elles peuvent faire la différence ! Avec le soutien des sportifs conscientisés sur les conditions de production de leurs vêtements, les organisateurs de la campagne "Vêtements clean" entreront en contact avec les marques belges puis interpelleront les marques internationales. Celles qui voudront s'engager sur la voie des "vêtements clean" choisiront de s'affilier à la Fair Wear Foundation et de respecter son code de conduite : avancées en matière de salaire vital et de liberté d'association, contrôles externes in - dépendants…

Et le consommateur ?

Plusieurs actions, à portée de clic ou plus conséquentes, permettent aux citoyens de manifester leur solidarité avec les travailleurs du textile.

  • Signez la pétition pour des vêtements clean car les marques s'engageront dans un processus de changement uniquement si leurs clients les poussent à le faire. 
  • Faites du sport pour vêtements "clean" ! Grâce à l'argent récolté par un parrainage, vous veillerez à ce que la pratique du sport dans des vêtements "clean" devienne une évidence pour tous. 
  • Vous pouvez soutenir la campagne en sponsorisant d'autres "sportifs" : les travailleuses et travailleurs de la production textile en Asie. Ces dons financeront les actions des partenaires syndicaux au Cambodge, au Bangladesh et en Indonésie. 
  • Interpellez directement votre marque préférée avec quelques questions pour l'inciter à s'engager auprès de la Fair Wear Foundation. 
  • À la recherche d'un vêtement de sport ? Faites le choix des textiles "propres" ! Rendez-vous sur www.fairwear.org pour identifier les marques responsables et engagées et sur www.achact.be/tshirts pour commander des vêtements personnalisés fabriqués dans de bonnes conditions.

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