Vivre ensemble

Hello Africa ! 

4 min.
©Philippe Lamotte
©Philippe Lamotte
Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Des dizaines de photos prises en ville et dans la brousse, alignées dans une longue fresque émaillée de proverbes africains. D'élégantes statuettes de porteuses d'eau, de girafes et de lions. De larges tissus bigarrés suspendus aux murs. Et, plus loin, la reconstitution d'une case traditionnelle, avec masques, djembés et autres peaux d'animaux tendues sur des sièges de fortune. Pas de doute : c'est un bout d'Afrique qui s'est soudain matérialisé dans un des vastes locaux du Centre Séjours et Santé de Spa Nivezé. Objectif de cet aménagement, riche en symboles et en couleurs : immerger dans cette ambiance exotique, pendant une semaine, 17 vacanciers adultes porteurs d'une différence mentale ou physique nécessitant un accompagnement rapproché : infirmes moteurs cérébraux (IMC), trisomiques, autistes, non-voyants, épileptiques non stabilisés, personnes porteuses d'une maladie mentale (liée ou non au vieillissement), etc. Pendant ce séjour, qui les extrait de leur institution habituelle ou de leur logement personnel supervisé, tous peuvent compter sur l'aide et la vigilance bienveillante des 11 volontaires d'Altéo mobilisés pour l'occasion.

"Nathalie, tu veux bien me dessiner un arc-en-ciel pour le printemps ? Après, on te photographiera avec ton dessin." Avec une élocution difficile et en clignant ostensiblement des yeux, Nathalie, dans sa chaise roulante, fait comprendre sa réticence à l'animatrice qui la questionne : elle est incommodée par les flashes des appareils photos. Avec bien d'autres réalisations artistiques, son dessin est appelé à être intégré dans une vidéo destinée à des correspondants à Kinshasa. Plus précisément à ceux de Masina, un quartier populaire de la capitale congolaise avec lequel la Mutualité chrétienne de Namur a noué un partenariat voici quelques années. Objectif : aider à la création et à la professionnalisation de mutuelles de santé qui, potentiellement, pourraient bénéficier là-bas à 650.000 habitants, généralement privés de toute forme de couverture sociale.

Chacun son rythme

Ce matin, à Nivezé, le petit groupe s'est d'abord élancé dans un échauffement matinal avec, pour fond musical, un "Viva Africa" digne d'une trompette d'infanterie. Chacun y est allé, comme il pouvait, de ses déhanchements et battements de mains. Une gestuelle ample et rythmée, pour les plus valides. Des mouvements plus difficiles – et assistés – pour ceux qui sont handicapés par leur chaise. Et, pour les plus entravés, un simple sourire témoignant de leur plaisir à voir les autres s'éclater sur la musique. Marc (71 ans), parfaitement mobile, est ravi. Avec une élocution difficile mais en recherche immédiate de contact, il déballe son itinéraire de vie au premier visiteur venu. "Je pesais 5,3 kilos à la naissance, j'ai cassé la jambe de ma maman. J'ai un peu travaillé quand j'étais jeune, mais je n'ai pas toujours été entouré de bonnes personnes et j'ai eu de la malchance." Aujourd'hui, le fond musical lui fait esquisser un pas de danse à la Fred Astaire et il rayonne. "Je suis fier d'avoir appris ici la clave (NDLR : le rythme) et le tam-tam."

© Philippe LamotteLe traditionnel et le moderne se côtoient en permanence dans ce séjour.

Pour ce projet pilote, étalé sur trois stages estivaux consécutifs, le petit groupe dispose de smartphones, tablettes et ordinateurs spécialement adaptés aux manipulations délica - tes. "Ce type d'outils nous permet d'entrer plus facilement en contact avec les populations du Sud, explique Nicole Jonart, la coordinatrice du séjour, ex-enseignante et volontaire Altéo depuis dix-sept ans. L'objectif est de disposer à la fin de la semaine, grâce à l'aide d'un technicien professionnel, d' - une vidéo où le groupe se présentera aux partenaires africains. Elle expliquera également la vie en Belgique aux quatre saisons et illustrera les différents ateliers mis en pratique pendant le séjour." Il y en a pour tous les goûts : narration par une conteuse africaine, initiation au port du bou bou, percussions sur djembé, barbecue avec bananes plantains, etc. Sans oublier une présentation plus générale et plus "intellectuelle" du quartier Masina, filmé au printemps dernier par une permanente d'Altéo Namur en mission à Kinshasa. "Nos partenaires africains, qui gravitent autour de la structure CGAT (1), sont très intéressés par l'expérience accumulée par Altéo en matière de gestion du handicap", commente Catherine Rase, de la MC Namur. Les bénéficiaires visés par ce partenariat sont les "Villages Bondeko", un réseau d’écoles catholi - ques et de l’État implantées à l'initiative de l'Église africaine. Leur objectif : la scolarisation et la formation professionnelle d'enfants et d'adolescents handicapés.

Fatigués mais ravis

Difficile, à Nivezé, de ne pas méditer sur l'expérience mise en oeuvre par les accompagnant(e)s volontaires et… ceux qui n'étaient pas là. "Nous avions une bonne vingtaine de places ouvertes aux vacanciers mais, faute de volontaires, nous avons du limiter le nombre de places", déplore Nicole Jenart. Claude (70 ans), lui, ex-policier à la Ville de Namur, ne comprend pas que les volontaires ne se bous - culent pas davantage au portillon d'Altéo. "La richesse des liens qui se nouent ici est extraordinaire : il y a des gens qui pleurent quand on se sépare ! De plus, c'est un travail à responsabilités : chacun de nous a deux vacanciers sous sa responsabilité directe. Il faut veiller à la prise correcte des médicaments, à la gestion de l'argent de poche, etc. Sans nous, ces personnes n'auraient tout simplement pas accès aux vacances." Ravi d'avoir pu expérimenter ici ses dons de saxophoniste et accordéoniste amateur sur des rythmes africains, l'ancien policier se félicite d'"en avoir vu de toutes les couleurs" dans sa carrière. "Je peux réagir à tous les types de situation, y compris la toilette des vacanciers et l'assistance à l'alimentation pour les cérébrolésés. Je ne regrette qu'une chose, moi qui suis retraité depuis douze ans : ne pas avoir participé plus tôt à ce genre de séjour. J'aurais pu rendre service à bien plus de personnes." Ce n'est pas sa collègue, Marie- Claire, enseignante à la retraite depuis cinq ans, qui le contredira. "Ici, je réapprends à voir la vie avec un regard d'enfant, c'est-à-dire avec naïveté et émerveillement." En langage pédant, on appelle cela du "win win".


(1) CGAT: Centre de Gestion des risques et d’Accompagnement Technique des Mutuelles, dont la mission est la création et la professionnalisation des mutuelles de santé en Afrique.