Environnement

Trottinettes électriques : dérapages à contrôler

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Julien Marteleur

Julien Marteleur

Arrivée en trombe à Bruxelles et Anvers à la fin de l'année 2018, elle est aussi de plus en plus présente en Wallonie. La trottinette électrique a définitivement le vent en poupe : son nombre d’utilisateurs a littéralement explosé en l’espace de quelques mois. La raison de ce succès ? Une implantation massive en libre partage (en moyenne, 4.000 trottinettes sont mises chaque jour à disposition des particuliers dans la capitale). Actuellement, quatre opérateurs se divisent le marché bruxellois : Lime (USA), Dott (France), Tier et Flash (Allemagne). Officiellement toujours actifs, les véhicules de Troty (Belgique) et Bird (USA) ont pour leur part disparu de la circulation bruxelloise depuis cet hiver, en quête de nouveaux horizons. Une absence qui sera vite compensée, car les futurs candidats se bousculent au portillon : "Le secteur étant très concurrentiel et lucratif, d’autres entreprises comptent également implanter leur flotte dans la capitale et nous ont sollicités dans ce sens. À terme, on pourrait se retrouver avec une dizaine d’opérateurs différents proposant leurs services aux Bruxellois", rapporte Camille Thiry, porte-parole de Bruxelles Mobilité.

Le raz-de-marée a pris tout le monde de court

Le marché de la trottinette électrique est pour le moins juteux ; sans citer de chiffre d’affaires, Lime – leader du marché chez nous – vient d'annoncer avoir passé le cap des 100.000 courses. En janvier dernier, deux mois seulement après son implantation, la même entreprise affirmait déjà que plus de 220.000 kilomètres de trajets avaient été effectués dans la capitale par leurs 1.200 trottinettes. Face à ce véritable raz-de-marée sur deux roues, Bruxelles a été prise de court. Dans l'urgence, la priorité a donc été de légiférer, ce qui a été fait ce 1er février. Selon cette nouvelle législation, les opérateurs de trottinettes électriques partagées sont désormais dans l’obligation de demander une licence avant de mettre leurs engins à disposition. Le précieux sésame sera délivré sous certaines conditions, notamment l'obligation d'utiliser de l'électricité verte pour le rechargement des engins. Dans les zones de concentration, il y aura également un nombre maximum de véhicules en cyclo-partage à respecter. Les sociétés ont jusqu’au 1er septembre 2019 pour se mettre en ordre.

Les 19 communes bruxelloises ont elles aussi été sollicitées pour délimiter les zones interdisant le placement et le stationnement des trottinettes électriques et, inversément, spécifier les zones qui leur sont autorisées. Les communes avaient jusqu’au 1er mars 2019 pour communiquer leurs recommandations sur le sujet, que Bruxelles Mobilité examine actuellement. Ce balisage semble répondre à une réelle nécessité car pour les détracteurs de l’engin, tout aussi nombreux semble-t-il que ses aficionados, le flou artistique entourant l’arrivée de ces trottinettes a certes permis tout, mais aussi n’importe quoi : véhicules abandonnés ou mal garés, non-respect du code de la route… De petites incivilités qui ont rapidement écorné l’image du deux-roues. (…) "À cause du comportement irréfléchi de certains utilisateurs, la trot­tinette électrique a rapidement eu mauvaise presse. C’est dommage, car c’est un engin résolument pratique et écologique, facilement rangeable et transportable, qui se faufile partout", souligne Benoît Godart, porte-parole de Vias, l’Institut belge pour la sécurité routière.

Gadget vert ou alternative durable ?

Pratique et écologique : deux adjectifs qu'on retrouve souvent dans la bouche des défenseurs de la trottinette électrique. Selon Benjamin Barnathan, CEO de Lime pour le Benelux, à l’échelle mondiale, 30 à 40% des trajets en trottinette électrique sont combinés à un autre mode de transport public : "… à Bru­xelles, nos utilisateurs contribuent fortement à la diminution de l’utilisation d’engins motorisés. Grâce à nos trottinettes, il y a moins de trajets en véhicule et certains utilisateurs les remplacent purement et simplement", argumente-t-il encore dans les pages du journal L’Écho (1). Une enquête publiée l’an dernier par Inrix, société spécialisée dans l’analyse des transports, indique que dans le centre-ville de Bruxelles, les rues sont tellement embouteillées que la vitesse moyenne des automobilistes n’excède pas 11,3 km/h aux heures de pointe (2). La trottinette partagée apporterait-elle un début de solution? Du côté de Bruxelles Mobilité, on abonde dans ce sens : "Nous encourageons la multimodalité des transports", enchérit Camille Thiry. "Dans cette optique, la trottinette électrique en libre-partage s’avère intéressante, notamment pour le ‘dernier kilomètre’, expression qui désigne ce petit trajet effectué pour se rendre à destination depuis une gare, une station de métro ou encore l’arrêt de bus et qui a priori ne nécessite pas de prendre sa voiture."

L'opérateur Lime a fait savoir que le trajet moyen de leurs utilisateurs est de 1,3 kilomètre et que la durée de ce trajet n’excède pas 7 minutes. Des chiffres qui posent question: sur un trajet d'une durée et d'une distance aussi réduites, pourquoi ne pas tout bonnement marcher et faire d'une pierre deux coups en pratiquant une activité physique et entièrement écologique? La durabilité de ces trottinettes est également problématique : prévues à la base pour les particuliers et mises à rude épreuve par un usage intensif en free floating, leur espérance de vie varie de 1 à 6 mois seulement, selon les confidences d'un acteur de la mobilité belge recueillies par L'Écho. Les opérateurs vont donc devoir plancher sur des modèles entièrement recyclables et non jetables, comme c'est le cas actuellement pour la plupart. Autre ombre au tableau, celle projetée par les "juicers", ces particuliers qui, contre rémunération, effectuent pour les entreprises le ramassage des trottinettes dont la batterie est à plat pour ensuite les recharger chez eux. Quel type de véhicule ces "partenaires chargeurs" utilisent-ils pour accomplir leur tâche? Faudra-t-il mettre le holà sur la pratique, lorsque la nouvelle ordonnance bruxelloise, qui imposera le recours à de l’énergie certifiée verte, entrera en vigueur en septembre prochain? Impossible de répondre à ces questions avec précision, tant les données sur cette "profession" paraissent cadenassées par les sociétés bénéficiaires.

Ces questionnements risquent en tout cas de coller aux pneus des trottinettes partagées, où qu'elles aillent. La société Bird vient de confirmer son arrivée à Namur. La Belge Troty a fait de Knokke, Gand ou encore Spa ses nouveaux terrains de jeu. Le secteur est en pleine expansion et les zones d'implantation ne manquent pas. Mais, pour contourner le simple effet de mode et trouver sa place durablement et harmonieusement dans l’espace urbain, la trottinette électrique devra sans doute accomplir ce qu’elle demande à tous ses utilisateurs : faire preuve d’adresse et trouver son point d’équilibre, sous peine de se casser la figure.


Quid du code de la route ?

Actuellement, la trottinette électrique est considérée par notre code de la route comme un "engin de déplacement motorisé".

Cette appellation regroupe tout véhicule à moteur à deux roues ou plus qui ne peut, par sa construction et par la seule puissance de son moteur, dépasser sur une route en palier la vitesse de 18 km/h. Le SPF Mobilité indique par ailleurs sur son site que "les utilisateurs de trottinettes électriques, mono-roue et autres engins motorisés doivent modérer leur vitesse à celle d’un piéton sur les trottoirs et passages piétonniers, c’est-à-dire ne pas dépasser l’allure du pas : 6km/h". Au-delà de cette vitesse, la trottinette électrique doit se considérer comme un vélo et donc emprunter soit les pistes cyclables, soit la chaussée. En Belgique, il faut être âgé d’au moins 18 ans pour utiliser les trottinettes électriques en libre partage. Une obligation loin d’être toujours respectée… Enfin, rappelons que si le port d'un casque et d'un gilet rétroréfléchissant ne sont pas obligatoires, ils restent vivement conseillés.

Trottinette partagée = danger ?

Le 6 avril dernier, des passants incrédules retrouvaient trois trottinettes électriques dans la fontaine Anspach, à Sainte-Catherine dans le centre de Bruxelles. Cet acte de vandalisme témoigne à sa façon du ras-le-bol ressenti par certains riverains excédés par le nombre d’engins en free floating (sans borne de stationnement) garés anarchiquement devant chez eux. La cohabitation entre piétons et trottinettes se révèlerait moins harmonieuse que prévu : les accrochages se multiplieraient, soupire-t-on. Difficile cependant d’appuyer cette affirmation. "Il n’existe encore aucune véritable statistique sur le nombre d’accidents provoqués par des trottinettes électriques, tout simplement parce que dans 90% des cas, il s’agit de chutes et non de collisions", précise l’institut Vias. "L’usager se rend de lui-même à l’hôpital ou chez le médecin, sans que la police n’ait à établir de constat d’accident. Ce que l’on sait par contre, c’est que dans un cas sur deux, c’est la tête qui est touchée lors de ces chutes. D’où l’importance de porter un casque. Rappelons que la trottinette électrique est avant tout un mode de déplacement, pas un jouet."

Une anecdote vient confirmer cette déclaration : le 23 février, la société Lime – encore elle - publiait sur son site une annonce déroutante. Après avoir effectué des tests approfondis sur les véhicules, il apparaissait que certaines trottinettes électriques étaient susceptibles de s’arrêter brusquement lors­que celles-ci se trouvaient en pleine descente et heurtaient un nid de poule sur la route. Le problème a été rapidement résolu mais en­tre­temps, plusieurs utilisateurs ont fait les frais de ce dysfonctionnement. Quand on sait que la vitesse moyenne d'une trottinette électrique est de 15km/h et qu'en descente, l'engin peut filer deux fois plus rapidement, on imagine aisément les dégâts que cela peut engendrer…