Environnement

Quand les villes se font jardin

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© Philippe Turpin Belpress
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Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

En 1984, la revue Science publie une étude étonnante, réalisée par un architecte américain, Roger Ulrich. En observant des groupes de patients hospitalisés à la suite d’une intervention chirurgicale, il remarque que la convalescence est plus courte chez ceux qui occupent une chambre donnant sur un paysage naturel que chez ceux dont la chambre donne sur un autre bâtiment. De plus, les premiers souffrent moins de complications postopératoires et leur traitement exige moins d’analgésiques puissants.

Cinq ans de gagnés

De telles études ne sont pas simples à réaliser, car les relations causales entre divers phénomènes restent délicates à établir. Néanmoins, depuis lors, les travaux scientifiques publiés dans des revues de prestige n’ont pas manqué aux États-Unis comme en Europe. La plupart confirment les bienfaits de la nature sur la santé physique et mentale. Ainsi, selon une étude menée aux Pays-Bas il y a une quinzaine d’années, l’augmentation de 10% des espaces verts à proximité immédiate du lieu de vie entraînerait, chez l’individu “moyen”, une diminution des symptômes de maladies comparable à un rajeunissement de cinq ans ! Parmi les explications : la possibilité de faire de la marche à pied - incluant tous les bienfaits de celle-ci – dans un environnement arboré. Menée dans le même pays à très grande échelle (345.000 personnes, 195 médecins généralistes), une autre étude a permis d’identifier les maladies qui semblent diminuer à proximité des espaces verts : les troubles musculo-squelettiques, les problèmes respiratoires, les maux de tête sévères, les maladies coronariennes, etc.

La présence d’espaces verts ne bénéficierait pas seulement à la santé physique. Toujours aux Pays-Bas (la Belgique semble peu fournie en travaux de ce genre), une équipe de chercheurs a conclu en 2009 à l’influence des zones vertes sur l’anxiété et la dépression. Ainsi, alors que la prévalence des troubles anxieux était de 18 pour 1.000 dans les quartiers très arborés, elle grimpait à 32 pour 1.000 dans les quartiers très asphaltés et bâtis. Comme le signale Eric Lambin, géographe à l’UCL et prix Francqui 2009(1), certains pays - Royaume-Uni en tête - encouragent les hôpitaux à créer des jardins thérapeutiques dans leurs murs, “redécouvrant ainsi le principe des cloîtres dans les monastères médiévaux, propices à la méditation”.

Un besoin ancestral de sécurité

Pourquoi cette impression de bien-être, plus ou moins conscient, dans un environnement de verdure? Se référant aux travaux du grand biologiste américain Edgard O.Wilson, Eric Lambin ose une réponse qui plonge au cœur de l’histoire, voire de la préhistoire humaine. Outre la satisfaction de ses besoins primaires (eau, alimentation, abri, etc.), l’homme aurait également besoin de la nature pour éprouver des satisfactions “esthétiques, émotionnelles et spirituelles”. Les sceptiques pourraient objecter que la nature a souvent été considérée par l’Homme comme une source de danger plutôt que de confort. Mais Edgar O.Wilson répond qu’il existe une préférence presque universelle - dans toutes les régions de la planète - pour les paysages ouverts, herbacés et parsemé de quelques bouquets d’arbres ou d’étendues d’eau. Soit exactement le cadre de vie de nos ancêtres de la savane africaine, confrontés à un impérieux problème de sécurité. Près de 500.000 ans plus tard, cette préférence se traduirait en ville par l’aménagement de parcs, de golfs aménagés, de grands cimetières et autres jardins aérés… “Comme si nous [y] recevions le signal, complète Eric Lambin, que les conditions pour notre survie sont garanties dans ce milieu”.


De Berlin à… Villers-Le-Bouillet

Pour lutter contre l’imperméabilisation excessive du sol et pour favoriser la biodiversité, la commune de Villers-le-Bouillet (6.000 habitants) pratique depuis deux ans un “coefficient de végétalisation” ou coefficient de biotope par surface (CBS), pratiqué à Berlin. Le candidat bâtisseur doit prouver qu’il respecte celui-ci.

Concrètement, ce coefficient est le rapport entre les surfaces aménagées “en vert” et la surface totale de la parcelle. Chaque type d’aménagement du constructeur reçoit une valeur. Par exemple 0 pour du bitume (où l’eau ne peut que ruisseler), 0,3 pour un pavage semi-perméable ou non rejointoyé (ou l’eau ruisselle moins vite), 0,7 pour un espace vert avec une couche de terre d’au moins 80 cm de profondeur (capable de stocker l’eau), etc. À Villers-le-Bouillet, le CBS ne peut dépasser 0,6. De plus en plus de villes pratiquent déjà – ou songent à imposer – un tel dispositif dans leur schéma de structure, l’adaptant alors à leur tissu urbain. Dont Namur et, dans le cadre de son “Plan Nature”(1), La Région bruxelloise.


Des résultats concrets

Métaux lourds. En une seule saison, certaines sortes d’érables peuvent, à partir de 30 cm de diamètre, capter 60 mg de cadmium, 140 mg de chrome, 820 mg de nickel et 5.200 mg de plomb.

Ozone. À Québec, on a constaté que l’augmentation de 10% du couvert arboré diminuait de 4,7 à 6,2% la concentration d’ozone de basse atmosphère (polluant).

Bruit. En absorbant les bruits d’impact (pluies) et les bruits d’ambiance (circulation), certaines toitures vertes (30 kg/m2) permettent de diminuer le bruit à l’intérieur d’une construction de 6 décibels.

Inondation. Un toit végétal peut retenir l’eau pendant une vingtaine de minutes avant de la libérer lentement via les drains. Selon les modèles, 40 à 90% de cette eau est ensuite restituée à l’atmosphère.

Gaz indésirables. Certains murs végétaux peuvent réduire de moitié les oxydes d’azote et jusqu’à 80% les composés organiques volatils (COV) de l’atmosphère.

Fraîcheur et dépollution

La recherche d’espaces verts dans les villes revêt, aujourd’hui, de nouveaux contours. De plus en plus de projets visent à réintroduire certaines formes de maraîchage en ville. À Lille, par exemple, un site de 15 hectares, situé dans la zone urbaine, est cultivé par une dizaine d’agriculteurs qui alimentent un supermarché de produits locaux. Un projet de la même veine (la Ceinture Aliment-Terre), plus vaste et basé sur l’économie sociale, existe à Liège. Dans la même cité ardente, l’université de Liège (ULg) envisage des cultures de colza, de tomates et de poivrons – mais aussi du petit élevage – sur des friches industrielles non polluées. Ailleurs, on ne compte plus les jardins et potagers collectifs qui se multiplient dans les villes et patelins.

Une climatisation naturelle

C’est pourtant une autre fonction qui, encore timidement, commence à être assignée aux zones vertes : une forme de “résilience”. Comprenez : la capacité à rebondir et à réagir face à la pollution atmosphérique et aux effets du dérèglement climatique. Il ne s’agit plus seulement de voir les arbres comme des pompes à carbone (photosynthèse). Il s’agit, aussi, de les voir contribuer à la lutte contre les particules et les métaux lourds qui empoisonnent l’air urbain ; et, en cas de canicule, à refroidir les îlots urbains noyés dans le béton et l’asphalte. Ainsi, au cœur d’une journée estivale ensoleillée, la température du toit d’une habitation peut grimper à 70°C. Mais, recouverte d’une toiture verte, elle restera stabilisée à 25°C. Les murs végétaux permettent, eux, de réduire la température extérieure d’une habitation de plusieurs degrés. Tout bénéfice pour la facture de climatisation (-50 à 70%)(1).

Freiner les crues

La gestion de l’eau est aussi au cœur des villes de demain. En Suisse et en Allemagne, des villes imaginent des solutions innovantes pour lutter contre les précipitations et les inondations de plus en plus violentes. Au lieu d’avoir recours à des bassins d’orage, qui risquent d’être vite saturés, elles subventionnent les toitures vertes, jardins d’orage et autres façades végétales. Couplé à des citernes, ce type d’aménagement peut absorber entre 30 et 50% d’une précipitation moyenne, ralentissant le déferlement de l’eau vers les égouts. Avec la chaleur estivale, cette humidité sera restituée à l’atmosphère, atténuant les pics de température.

Nous avons tellement mal conçu nos villes que nous allons forcément devoir faire un retour dans le passé, expliquait à l’automne dernier, au Parlement wallon, l’architecte paysagiste Bernard Capelle(2). La nature est un formidable outil de résilience face aux ‘chocs d’eau’ que nos villes sont appelées à connaître à cause du réchauffement climatique. Voyons où nous nous sommes trompés autrefois. Et acceptons que les solutions qui font sourire aujourd’hui paraîtront évidentes à nos enfants et petits-enfants dans cinquante ans”. En gardant toutefois à l’esprit, insiste-t-on chez Inter-environnement Bruxelles, que les politiques pro nature ne sont qu’une voie parmi bien d’autres (accès au logement et aux infrastructures de soins, mobilité douce…) vers le bien-être des populations urbaines.