Environnement

La mer du Nord : quel chantier !                

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(c)iStock
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Philippe  Lamotte

Philippe Lamotte

Sacré Covid-19 ! Le coronavirus qui nous empoisonne la vie depuis des mois aura même eu un impact sur l’aspect des plages de la côte belge... Nettement moins piétinées suite au confinement, celles-ci ont vu fleurir une végétation bien plus fournie qu’à l’ordinaire ; jusqu’à 1.000 fois plus (!) de roquettes de mer, estime le WWF, une plante à la fleur blanc-bleuté ou rose-lilas qui va chercher l’eau douce en profondeur dans le sable. S’ils étaient laissés tranquilles, ces végétaux fixateurs de grains de sable pourraient contribuer à la formation de dunes dites "embryonnaires" : celles-ci, à terme, renforceraient la protection des stations balnéaires contre la hausse inévitable du niveau de la mer. Le WWF en appelle à un "déclic" dans nos regards : apprendre à voir les plages comme "des lieux de résilience naturelle et économique." Joli programme…

Des montagnes de sable
S’il y en a qui restent probablement à convaincre sur l’intérêt de la roquette, ce sont les gestionnaires et les grutiers qui, en moyenne, déversent chaque année 500.000 m3 de sable sur les plages pour rehausser leur niveau. Intégralement prélevés en mer, ces gigantesques volumes constituent un très bon exemple de l’activité industrielle et commerciale intense qui agite les 3454 km² de la partie strictement belge de la mer du Nord (soit 0 ,5 % de sa surface totale). Pour la fabrication du béton, il faut trois à cinq fois plus de sable ! Sur le plan mobilité, "notre" mer du Nord ressemble à une autoroute : 300.000 mouvements de navires y sont enregistrés annuellement (tankers, pêche, plaisance, patrouilles…), ce qui en fait la zone maritime la plus fréquentée au monde malgré les 300 épaves qui garnissent ses fonds marins.

Éoliennes plein gaz
Depuis une quinzaine d’années, une autre activité économique essentielle s’est développée tous azimuts dans notre "onzième province" : la production électrique de source éolienne. Un signe récent ne trompe pas : adopté en mars dernier, le nouveau Plan d’aménagement des espaces marins (PAEM) prévoit, d’ici à 2026, une extension des parcs existants qui portera alors leur surface totale à 285 km² et, surtout, à une production de 4 gigawatts, soit l’équivalent de quatre centrales nucléaires. Si les plus anciens mâts éoliens en mer développaient une puissance de 3 mégawatts, les plus puissants frôlent aujourd’hui les 10 mégawatts… Par rapport à la surface de son territoire, la Belgique est clairement dans le top mondial de l’éolien off-shore. Certains espèrent (1) que cet aspect pionnier, relativement peu connu, s’élargisse à une fonction plus large susceptible de procurer une vitrine internationale à notre petit pays : la gestion harmonieuse d’activités a priori aussi antagonistes que, d’une part le trafic maritime et l’extraction de sable, d’autre part les activités centrées sur l’énergie verte et la conservation/restauration du milieu naturel.

Des améliorations sensibles
C’est sur ce dernier point que le bât blesse. Certes, les populations de poissons commerciaux se restaurent petit à petit et, ces quinze dernières années, la pollution aux hydrocarbures a sensiblement diminué, grâce notamment à l’intervention d’avions "renifleurs" capable de détecter le type de carburant utilisé par les bateaux. Mais la pollution au cuivre et aux plastiques pose encore problème, de même que l’eutrophisation (accumulation excessive de nutriments) liée à la pollution azotée rejetée par les fleuves.
Un autre problème de taille reste récurrent : chaque mètre-carré de la partie belge de la mer du Nord, très peu profonde, est râclé au moins une fois par an (et jusqu’à dix près de la côte !) par les chalutiers, ce qui ravage les fonds marins et les lits de gravier naturel. Les nombreux bancs de sable sont loin d’être redevenus des refuges intégraux pour la biodiversité. Or, note le WWF, cinq nouvelles zones dédiées aux activités commerciales et industrielles viennent d’être créées par le PAEM (2) à proximité, voire au sein, de zones naturelles. De quoi nuancer les déclarations des autorités fédérales, toutes fières de relever qu’avec le nouveau PAEM, 37,8 % de notre zone marine seraient dédiés à la protection de la nature.