Environnement

Électrosmog : un débat difficile

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Matthieu Cornélis

Matthieu Cornélis

Invisibles, inodores, silencieux, les champs et rayonnements électromagnétiques artificiels font désormais partie de nos vies. Il y a ceux qui sont générés par les appareils électriques communs et le réseau électrique 50 Hz dans lesquels nous baignons, et ceux qui s'ajoutent, toujours plus, issus des technologies sans fil.

Ces dernières facilitent incontestablement notre quotidien. Difficile, pour ceux qui y ont goûté, de se passer, par exemple, du smartphone et de ses applications mobiles. Le confort qu'elles procurent ne doit toutefois pas mettre le voile sur les questionnements sousjacents.

Nouveauté : l'électrosmog

L'électrosmog est un brouillard électromagnétique généré par les appareils électriques, électroniques et connectés et tous leurs réseaux de câbles et d’antennes. Peu de gens connaissent son existence, et son impact sur la santé varie selon les sources. À l'heure où l'on prépare l'arrivée de la 5G (2020), où l'installation des compteurs électriques "intelligents" (communicants) est planifiée par les Régions, faisons le point.

L'incertitude scientifique

Les champs et rayonnements électromagnétiques dans lesquels nous baignons proviennent à la fois de sources naturelles (la lumière du soleil, le champ magnétique terrestre…) et de sources artificielles (appareils électriques et électroniques, câblages électriques sous tension, technologies sans fil…). Ces champs et rayonnements peuvent différer par leur fréquence : une lampe sous tension produit un champ électrique de basse fréquence 50Hz. Allumée, elle produit de surcroît un champ magnétique 50Hz. Les émetteurs radio produisent des rayonnements à des fréquences plus élevées (radiofréquences). Les radars et la té léphonie mobile utilisent des rayonnements dans la gamme des micro-ondes.

Les micro-ondes peuvent altérer la santé quand elles atteignent des niveaux d’exposition qui sont qualifiés de "thermiques", c’est à dire des niveaux capables d’induire une élévation de la température des tissus. Sur cela, il y a consensus.

La controverse subsiste, par contre, sur l'effet des rayonnements micro-ondes et ceux de radiofréquences émises par les technologies sans fil à des niveaux d’exposition non thermiques. Ainsi, dans la brochure "Les champs électromagnétiques et la santé" (1), le SPF Santé publique écrivait, en 2014, qu'aucune certitude ne pouvait être formulée sur les effets possibles à long terme des champs électromagnétiques. "Les études donnent des résultats très variés et parfois contradictoires. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles les scientifiques ne sont pas enclins à conclure que les champs électromagnétiques faibles sont préjudiciables à la santé."

Même constat du côté du Conseil supérieur de la santé (2) : les connaissances sur les effets non-thermiques des champs électromagnétiques sont insuffisantes pour déduire des valeurs-guides fiables. "L'incertitude domine et le Conseil a, pour cette raison, fait appel au principe de précaution afin d'établir des valeurs guides."

Risques sanitaires

Martin Blank, docteur en chimie physique, a un avis plus tranché : "On a supposé que ces rayonnements et les appareils qui les génèrent étaient biologiquement sécuritaires à des niveaux qui ne chauffent pas les tissus humains. Mais c'est faux", affirme-t-il dans l'ouvrage qu'il dédie aux dangers des ondes électromagnétiques (3). Le même scientifique et une trentaine d'experts à travers le monde sont à l'origine du rapport "Bioinitiative" (4) qui compile plus de 3.000 études allant dans le même sens. Le document confirme les effets biologiques des rayonnements micro-ondes et de radiofréquences "qui peuvent apparaître dans les premières minutes d'exposition à des niveaux associés à l'usage du téléphone mobile ou du téléphone sans fil".

Parmi les effets sanitaires qu'ils pourraient provoquer lorsque les expositions sont prolongées ou chroniques : maux de tête, troubles de la concentration, du sommeil, du comportement, douleurs aux membres, acouphènes… jusqu'à des maladies comme la leucémie, le cancer, l'Alzheimer…

D'après les conclusions du rapport, "les normes actuelles ne protègent pas suffisamment la santé publique de l'exposition chronique à faible dose. Si aucune correction n'est apportée à ces normes obsolètes, ce retard va aggraver les impacts sur la santé publique avec des applications de plus en plus nombreuses des technologies sans fil, exposant encore plus de personnes dans le monde dans la vie quotidienne."

Une relative protection

Des recommandations sont établies par divers organismes pour limiter l'exposition des individus aux ondes. S’alignant sur les conclusions de la version 2007 du rapport Bioninitiative, le Conseil de l’Europe préconisait en 2011 dans sa résolution n°1815 de ne pas dépasser 0,6 Volts par mètre (V/m) à l’immission (là où les ondes sont reçues).

Pour sa part, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) suggère, pour protéger les humains des effets thermiques des ondes électromagnétiques, une limite à 41 V/m pour la fréquence de 900 MHz (l’une des fréquences utilisée par la téléphonie mobile) et jusque 61 V/m pour les fréquences supérieures à 2.000 MHz. Ces limites n'offrent toutefois aucune protection contre les effets biologiques autres que thermiques. Pourtant, la même organisation classait en 2011 les champs électromagnétiques de radiofréquences en catégorie 2B, potentiellement cancérigènes, sur base d’un risque accru de gliome, un type malin de cancer du cerveau associé à l’utilisation du téléphone sans fil.

En 2007, à Bruxelles, la norme appliquée aux antennes de téléphonie mobile était de 3V/m (à 900 MHz), tel que le recommandait la Conseil supérieur de la santé. En 2014, sous la pression des opérateurs de la téléphonie désireux d'implémenter la 4G dans la Capitale, la Région bruxelloise a relâché la norme jusque 6 V/m (à 900 MHz) pour la téléphonie et 9 V/m pour les très hautes fréquences. Exprimé en termes de puissance, cela équivaut à un quadruplement de la norme antérieure. Et dans la foulée, elle supprimait les consultations publiques nécessaires à la délivrance des permis pour installer de nouvelles antennes-relais.

Inquiétudes

Depuis 2014, un comité d'experts est chargé d'évaluer l'impact des ondes électromagnétiques sur la santé des Bruxellois et d'en informer le politique. Suite à la remise de son dernier rapport (5), ondes.brussels (6), une initiative citoyenne, se mobilise. "La méthodologie suivie par le comité d’experts se base sur une consultation d’un nombre restreint de revues et méta-analyses ainsi que sur les recommandations d'autorités scientifiques et sanitaires, explique Wendy de Hemptinne, physicienne et co-fondatrice de ondes.brussels. Les experts du comité ont reconnu eux-mêmes qu’ils n’avaient pas le temps de se pencher sur l’abondante littérature scientifique actuelle (7). Dès lors, dans leurs conclusions, ils prennent au moins dix ans de retard." Pendant ce temps, les technologies sans fil sont déployées à un rythme effréné. L'exposition de la population augmente, ainsi que les dommages qu'elle pourrait occasionner. Dans le doute, mieux vaut être prudents.


Bonnes pratiques

Plutôt que se priver de toute technologie et du confort qu'elle apporte, essayons d'en faire un usage raisonné et précautionneux. Surtout les femmes enceintes et les jeunes, plus vulnérables. Conseils.

  • Supprimer la source de rayonnements : privilégier les alternatives filaires pour l'accès à Internet et les téléphones domestiques, déconnecter les options sans fil des appareils lorsqu'elles ne sont pas utilisées… 
  • Minimiser la durée d'exposition : limiter le nombre et la durée des appels, privilégier les SMS, éteindre le smartphone et le Wi-Fi la nuit… 
  • S'éloigner de la source : téléphoner en mode haut-parleur lorsque c'est possible ou avec des oreillettes, se tenir à distance des personnes qui téléphonent… 
  • Réduire la puissance de la source : éviter d'utiliser le téléphone dans les endroits où la réception est de mauvaise qualité, dans les transports…

"Une vie de contemplation et de frustration"

La sensibilité aux ondes électromagnétiques affecte tous les êtres humains. Certains d'entre nous souffrent de symptômes plus ou moins sévères : les électrohypersensibles.

"Je téléphonais une heure par jour, je n'étais absolument pas technophobe, se rappelle notre témoin. En 2007, je m'en suis procuré un. Dès le moment où je l'ai allumé, j'ai attrapé des picotements dans les mains, dans les bras, sur le visage, sur les lèvres… Je l'ai éteint, puis rallumé, les symptômes revenaient." Peu de temps après, d'autres sont apparus : "énormes vertiges, hypertension, palpitations… Puis des problèmes cognitifs : des blancs dans des conversations, je remplaçais des mots par d'autres, étrangers au contexte."

L'homme qui se livre à nous, électrohypersensible, ne supporte plus d'être exposé à des ondes artificielles (GSM, Wi-Fi, 4G…). L'omniprésence de ces dernières l'a contraint à s'exiler en "zone blan che", soit un rare morceau de territoire épargné par les ondes électromagnétiques. Sur sa vie sociale, l'électrosensibilité a eu un effet "dévastateur". "En 2007, je pouvais encore organiser mes déplacements, les ondes n'étaient pas omniprésentes. J'en suis réduit à une vie de contemplation et de frustration."

5% de la population

Selon les associations, c'est le nombre de personnes qui seraient hypersensibles aux ondes électromagnétiques à des degrés divers. En plus des rayonnements électromagnétiques, elles souffrent aussi de l'incompréhension de leurs collègues, de leur entourage, de leurs proches. "Certaines personnes doivent démissionner de leur travail, se sentent isolées car les amis d'avant les trouvent embêtants avec leurs problèmes, des couples divorcent…" Si leur habitation peut être assainie, "il y a le Wi-Fi du voisin, les antennes-relais qu'on ne peut pas retirer, et la disponibilité d'objets nonconnectés qui diminue fortement. Ça devient difficile d'acheter une TV qui n'est pas 'smart'."

Plus d'infos : www.arehs.be