Environnement

Compostons ensemble !

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© AJL
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Aurelia Jane Lee

Aurelia Jane Lee

Le soleil brille en ce dimanche printanier. Au compost du quartier Joli-Bois, en bordure de Bruxelles, les habitués commencent à affluer. À pied, à vélo, en famille, munis de leurs seaux de déchets alimentaires, ils se reconnaissent, échangent des nouvelles, tout en versant leur tribut dans le bac prévu à cet effet.

Ce 20 mars n'est pas un jour comme les autres : c'est le Compost Day à Bruxelles. Autour de la cabane et des compostières, un chapiteau et deux stands d'animation ont pris place. Les enfants découvrent comment réaliser des "bombes à graines" à base d'argile, de compost et de semences, avec l'association "Circul'Air" (circulairprenonsletemps.com). Les plus grands découvrent les secrets du vermicompostage et les avantages du Bokashi (bokashicompost.be), des alternatives "d'intérieur" pour ceux qui ne disposent pas d'un jardin et souhaitent composter leurs déchets dans leur cave ou leur cuisine.

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Partager le travail… et les profits

Partager un compost à proximité de chez soi est une autre possibilité. C'est le choix qu'on fait une soixantaine de ménages dans le quartier résidentiel de Joli-Bois à Woluwe-Saint-Pierre. Cette option demande un peu d'investissement : il faut s'y rendre régulièrement, toutes les semaines ou toutes les quinzaines, avec les déchets de fruits et de légumes que l'on aura collectés dans un seau. Et contribuer de temps à autre aux tâches indispensables : retourner le compost dans les bacs pour l'oxygéner et favoriser sa transformation, le tamiser en bout de parcours… "Les participants ont pris l'engagement, en s'inscrivant, de participer deux fois par an au travail en collaboration avec nous", explique Danièle Van Crombrugghe, instigatrice du projet. C'est bien peu au regard des bénéfices apportés : chacun peut repartir avec une part du produit fini pour fertiliser ses jardinières, plantes d'intérieur ou autre parcelle potagère.

Pour Noëlle Borremans, qui fait tourner le projet avec Danièle, le principal avantage de la formule est son aspect social. "C'est pour cela que nous avons choisi de fonctionner avec des permanences. On n'ouvre que le dimanche de 11h à 12h30. D'autres composts de quartiers sont accessibles en continu, mais nous voulons que les gens puissent se rencontrer, se parler… dans une vraie ambiance de quartier." L'occasion aussi de promouvoir d'autres projets en lien avec l'écologie, des balades nature, des ateliers zéro déchets…

 

Ce matin, c'est au tour d'Éric de prêter main forte pour aérer le contenu des bacs. Un service rendu avec enthousiasme ; ce compost collectif, il en a rapidement saisi l'intérêt. "Au départ, je me suis dit 'pourquoi pas ?'. On a un jardinet devant notre immeuble, et je m'étais proposé de commencer avec ça, pour redonner un peu de place à la nature. Ensuite, j'ai réalisé que le tri des déchets, ce n'est pas plus difficile à faire qu'autre chose. Ça permet en plus, tous les dimanches, de discuter avec des gens qu'on connaissait de vue mais à qui l'on n'avait encore jamais adressé la parole. Cela crée des liens. Par ailleurs, on perçoit directement le résultat de son labeur."

Je trouve ça miraculeux de voir nos déchets alimentaires se transformer en terre, une belle terre bien noire, bien grasse. Carine

Carine, elle, est venue aux renseignements en cette journée "portes ouvertes" : "J'ai un compost depuis 3-4 ans dans mon jardin. C'est une amie qui m'a donné de beaux vers de terre bien rouges, et ça a été assez vite. Je trouve ça miraculeux de voir nos déchets alimentaires se transformer en terre, une belle terre bien noire, bien grasse. J'en suis ravie, mais depuis peu, des rats ont pointé le bout de leur museau. Ils ont rongé le plastique au fond de mon bac à compost, qui fait pourtant 3 millimètres d'épaisseur !" Sur le conseil de Danièle, elle envisage de placer des dalles sous l'installation pour empêcher les nuisibles d'encore s'y inviter. Protéger le bac avec un grillage serait une autre possibilité. Carine découvre le fonctionnement du compost collectif et est surprise de voir autant de monde. L'aspect convivial ne l'attire cependant pas. "Je suis assez solitaire et quand j'arrive ici, c'est déjà difficile, parce que ce n'est pas mon truc de parler avec des gens." À chacun sa formule, donc !

Pourquoi un compost collectif ?

"Le plus simple, estime Danièle, c'est de faire le compost chez soi si on le peut : il n'y a qu'à sortir de la cuisine et vider son seau au jardin quand on veut, c'est toujours ouvert et juste à côté. Mais cela implique d'avoir un jardin assez grand (pour ne pas avoir le nez dessus) et ce n'est pas anodin, car quand on va déposer ses déchets, il faut toujours prendre le temps de travailler le compost, lui donner un peu d'air, le surveiller, vérifier qu'il n'est pas trop humide, pas trop sec. Et puis une fois par an, il faut consacrer une demi-journée à le vider, le nettoyer, le remettre en route."

Participer à un compost collectif est donc une solution pour ceux qui vivent en appartement ou ne disposent pas de jardin suffisamment grand. Mais cela peut aussi constituer un premier pas avant de se lancer à domicile. Notamment pour les personnes sans expérience ou qui ne se sentent pas à l'aise de mettre les mains dans la terre. Cela permet de commencer en étant entouré, et de tester la chose avant d'investir dans l'achat de matériel (bac, outils, grillage de protection, tamis…).

Le plus simplec'est de faire le compost chez soi si on le peut : il n'y a qu'à sortir de la cuisine et vider son seau au jardin quand on veut. Danièle

À Bruxelles, l'ASBL Worms (wormsasbl.org) a été fondée en 2008 suite au succès d'un premier compost de quartier à Watermael-Boitsfort. Aujourd'hui, elle recense près de 200 composts collectifs dans Bruxelles et ses environs. Elle accompagne citoyens, écoles et entreprises dans leurs projets de valorisation des déchets organiques. Depuis quelques années, la Wallonie aussi s’est mise aux composts de quartier. Le ministère wallon de l’environnement et de l’économie circulaire a lancé un appel à projets en 2017, et récolté dans la foulée plus de 300 demandes. (1)

Se lancer, oui, mais comment ?

"Il faut d'abord trouver l'endroit adéquat. Parfois, un généreux donateur offre un libre accès à son terrain. Mais le plus souvent, il faut consulter la commune pour obtenir qu'un espace soit mis à disposition gratuitement, indique Danièle. Le projet doit con cerner un nombre suffisant de citoyens. Nous étions dix au départ, et nous savions que cela allait prendre de l'ampleur rapidement." L'endroit idéal devra répondre à plusieurs critères : exposition, accessibilité…

La deuxième étape consiste à obtenir l'assentiment des personnes vivant à proximité. À Joli-Bois, l'idée était d'installer le compost à l'entrée d'un petit parc jouxtant des jardins, quelques immeubles et un centre communautaire. "La commune nous a demandé de réaliser une enquête de voisinage, raconte la guide compost. Une habitante s'est opposée à notre projet, craignant que le compost lui gâche la vue sur le parc et déprécie sa maison. Nous avons alors envisagé d'installer le compost plus loin dans le parc." L'enquête s'est poursuivie, sans plus de grosse opposition. "Il est important que le projet emporte l'adhésion d'un maximum de monde, ou du moins, qu'il n'y ait pas de refus catégorique."

Troisième étape : obtenir un subside. À Joli-Bois, le compost collectif a bénéficié d'une aide communale importante, également pour monter la cabane à outils et clôturer les lieux. "Il faut ensuite faire un choix : soit l'endroit est accessible à tout moment à l'aide d'un code, soit on prévoit des permanences." Jusqu'ici, l'option de n'ouvrir que les dimanches midi semble satisfaire le plus grand nombre. "Il arrive que cela ne convienne plus à certaines personnes, à un moment donné ; elles s'orientent alors vers d'autres solutions, comme les sacs orange" (NDLR : système de récolte des déchets organiques en Région bruxelloise).

Un équilibre se met en place

Pour bien fonctionner, un compost collectif ne peut accueillir qu'un nombre limité de personnes, en fonction de l'infrastructure disponible. "Ici, ça tourne autour de 60 ménages, et avec ce chiffre, le roulement dans les compostières se passe bien, on n'est jamais débordés et jamais en panne de bacs pour accueillir les déchets que les gens amènent. Nous avons 6 bacs, précise Danièle. "Au début, nous avions parfois trop de compost, car certains amenaient leurs déchets mais n'étaient pas intéressés de repartir avec le produit fini. Depuis le confinement, un équilibre s'est établi. C'est enfin entré dans les habitudes des gens."

"En compost collectif, on n'accepte pas de pain, ni de fromage, viande, poisson ou restes de repas, car c'est ce qui attire les animaux. En dépit de cela, on a connu des problèmes avec les rongeurs, se souvient Danièle. Il a fallu agir et installer des grilles anti-rongeurs dans les espaces, avec l'aide de Worms." Depuis, pas d'incidents à déplorer. "Notre présence à chaque permanence garantit aussi que l'on évite le dépôt de déchets non appropriés. Par exemple, les litières d'animaux (lapins, poules…) sont acceptées, sauf lorsque les animaux sont sous traitement, pour éviter les résidus d'antibiotiques."
Il est indispensable que quelques personnes au moins maîtrisent les bases du compostage. "Il existe des formations courtes, mais pour bien comprendre le fonctionnement et les implications, il est préférable de suivre la formation longue, conseille la guide compost, qui s'est formée chez Worms. Les formations courtes offrent quant à elles une base théorique, utile par exemple pour les personnes qui se lancent dans le compostage à domicile."

Dans un compost de quartier, chacun participe à son niveau. Éric confie qu'il n'y connaissait rien au départ et qu'il apprend sur le tas : "Heureusement que Danièle a suivi des cours ! C'est l'intérêt aussi de cette formule collective : répartir le travail, partager les connaissances et tisser des liens."


(1) laterreestunjardin.com/compost-de-quartier

Pour aller plus loin (formations, conseils techniques etc.) :

• En Région bruxelloise :
wormsasbl.org • compostday.brussels/et-apres/

• En Wallonie :
moinsdedechets.wallonie.be/fr/je-m-engage/composter-les-dechets-organiques