Environnement

Climat : ça passera ou cassera

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Les femmes sont les premières victimes des dégradations environnementales liées aux perturbations du climat.<br />
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Les femmes sont les premières victimes des dégradations environnementales liées aux perturbations du climat.
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Philippe Lamotte

Philippe Lamotte

Ras-le-bol des mauvaises nouvelles en matière de climat ? Désespéré(e) devant la fonte des glaciers et la hausse du niveau des océans ? Alors, voici quelques bonnes raisons de ne pas sombrer dans la déprime.

Primo, l'accord international engrangé à Paris, l'année dernière, est entré en vigueur avec plus de trois ans d'avance sur le calendrier prévu. Rappelez-vous : à la COP 21, qualifiée de cruciale, la communauté mondiale s'était engagée à limiter la hausse de la température moyenne du globe à "nettement moins de 2°C" et, si possible, à 1,5 °C. Une anticipation bienvenue.

Secundo, ce coup d'accélérateur a été rendu possible par une avancée conjointe de la Chine et des États-Unis, soit plus de 40 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Quand deux poids lourds, de surcroît rivaux économiques, décident d'"y aller" ensemble, c'est un signe qui ne trompe pas : la prise de conscience de la gravité de la crise climatique percole enfin des milieux scientifiques vers les leaders politiques. D'accord, l'arrivée à la Maison blanche de Donald Trump, climato-sceptique notoire, a jeté un froid glacial sur ce processus. Mais le prochain président ne pourra pas "casser Paris" avant trois ans, en vertu de dispositions internes à l'accord conclu en France.

Tertio, beaucoup plus discret, un autre accord international conclu à Kigali (Rwanda) il y a quelques semaines prévoit la suppression progressive des gaz dits "HFC", des gaz réfrigérants dont le pouvoir "réchauffant" est infiniment supérieur à celui du CO2.

Enfin, dernière bonne nouvelle : en dix ans à peine, les infrastructures photovoltaïques ont augmenté de moitié à travers le monde. La capacité éolienne, elle, a cru de 23%. Bref, la transition énergétique de la planète serait en marche.

Un budget jeté par les fenêtres

Des annonces trop maigres pour rassurer vraiment ? De nombreux observateurs avisés le pensent. "On bombarde l'opinion publique d'informations partielles pour la persuader que les gouvernements font le nécessaire et que le changement climatique est sous contrôle", s'irrite Daniel Tanuro, auteur de L'impossible capitalisme vert et invité récemment par le Mouvement ouvrier chrétien (MOC) à une journée d'étude sur la thématique climatique (1).

Avec le géographe Pierre Ozer (ULg), fin connaisseur des réalités africaines, il a dressé, devant les militants rassemblés à Louvain-la-Neuve, un tableau glaçant des évolutions les plus récentes appuyées par les chiffres du GIEC, de l'OMM et de l'UNEP (2). L'idée centrale de leur constat : la planète dispose d'un "budget carbone". Cela signifie que si elle veut se maintenir sous la barre des 2°C (du moins avoir deux chances sur trois d'y parvenir), elle doit avoir arrêté, d'ici à une vingtaine d'années, de brûler les combustibles fossiles. Ni plus ni moins ! Si l'objectif est d'1,5 °C, c'est dans six ans à peine qu'il faut avoir mis à fin à ces activités !

Pour bien mesurer l'ampleur de ces chiffres, il faut se rappeler deux choses. Primo, nous frôlons déjà la barre d'1°C d'augmentation de la température terrestre depuis l'ère préindustrielle. Secundo, ces chiffres d'1 à 2°C ne sont jamais que des moyennes. Ils cachent des situations bien plus marquées, contrastées, extrêmes, comme celle qui voit actuellement la calotte glaciaire de l'Arctique fondre à une vitesse inégalée.

On aurait donc tort de se réjouir naïvement sur la perspective de bénéficier à l'avenir, sous nos latitudes, d'étés un peu plus doux. Canicules, pénuries d'eau et sécheresses nous attendent au tournant. Et, ailleurs, typhons, ouragans et glissements de terrain, autrement plus meurtriers.

Les femmes, premières victimes

Un climat perturbé annonce des bouleversements en matière agricole, démographique, politique, géostratégique, etc. Rappelons que le Printemps arabe s'est déclenché en cascade, il y a quelques années, dans un contexte de renchérissement du prix des matières premières agricoles du fait que la Russie, confrontée à une sécheresse inhabituelle, s'était vu contrainte de réduire ses exportations de céréales vers les pays du Maghreb. Cinq ans plus tard, où en est-on ?

"Dans certaines régions du monde, la situation est tellement tendue qu'une modification climatique légère – par exemple un déficit pluviométrique d'à peine 10% – peut entraîner des conséquences socio-économiques énormes", explique Pierre Ozer en citant, vues satellitaires à l'appui, des pays comme la Mauritanie, l’Égypte ou le Bénin. On y voit des côtes grignotées par la mer, des zones intégralement vidées de leurs habitants en quelques années.

"L'inertie actuelle me fait peur. Rien ne semble infléchir les émissions de carbone dans l'atmosphère. Les gaz à effet de serre émis aujourd'hui seront encore présents lors que ma fille, actuellement âgée de neuf ans, sera arrière-grand-mère".

Et d'ajouter, moins allégorique : "Dans les pays du Sud, ce sont les hommes qui migrent les premiers. Parfois, ils reviennent... Mais les femmes, elles, restent aux avant-postes des dégradations environnementales avec, sur leurs épaules, la charge écrasante des enfants et des aînés et de l’éducation des enfants".

Urgent ou très urgent ?

Alors quoi ? On reste assis en espérant que la science - ou le marché(3) - aura raison du problème climatique ? Ou que diverses méthodes de géo-ingénierie ou de séquestration du carbone sortiront la planète de ce mauvais pas ? "Cela reviendrait à pratiquer la politique de l'autruche", rétorquent les experts.

Clôturée mi-novembre à Marrakech, la COP 22 a certes accouché de quelques avancées. Les 47 pays les plus vulnérables de la planète se sont engagés à atteindre au plus vite 100% d'énergies renouvelables, montrant ainsi une sorte d'exemple désespéré aux pays riches et industrialisés. On s'est mis d'accord sur des procédures et des agendas.

Tout sera fait, a-t-on également promis à Marrakech, pour arriver en 2018 à des décisions clefs permettant la mise en oeuvre de l'accord de Paris... Les pays retardataires ont aussi promis qu'ils allaient accélérer la mise au point de leurs plans nationaux de réduction des émissions et libérer les fonds tant attendus pour l'adaptation des pays les plus fragiles.

Fort bien. Mais tout le monde sait pertinemment que ces promesses seront insuffisantes et qu'il faudra, très vite, formuler des objectifs chiffrés bien plus sévères. Marrakech a au moins servi à ne pas couler Paris...

"S'il ne change pas, le monde ouvrier, enfermé dans le paradigme productiviste, va se rendre complice de la catastrophe climatique."

Demain : un espoir ?

Au MOC, chacun s'est réjoui de l'énorme engouement créé par le film Demain. Celui-ci démontre que les jeunes générations de tous les continents, appuyées par des personnalités visionnaires, n'entendent pas rester les bras croisés. Elles veulent agir à leur mesure, au quotidien, sans attendre les décisions politiques prises à haut niveau.

Cela n'empêche pas l'essayiste Daniel Tanuro de donner un coup de pied dans la fourmilière : "Le monde ouvrier reste enfermé dans le paradigme productiviste. S'il ne change pas, il se rendra complice de la catastrophe écologique, car la politique d'appropriation capitaliste des ressources (air, forêt, eau, sol...) a déjà commencé et va se généraliser".

Pour lui, il faut partout combattre les productions "nuisibles et superflues", empêcher l'obsolescence programmée et investir massivement dans les transports en commun, l'isolation des bâtiments et les énergies renouvelables. Voire "socialiser" le secteur des banques et de l'énergie...

Reste cette question, éternelle : comment de tels chantiers, colossaux et à long terme, pourront-ils s'accommoder du timing politique à très court terme de nos décideurs, qui ont les yeux rivés sur les échéances électorales ?


Le mouvement ouvrier chrétien sur le front

Penser global, agir local... Les organisations constitutives du Mouvement ouvrier chrétien (MOC) n'ont pas attendu les COP 21 ou 22 pour mettre en pratique les principes généraux de l'éducation permanente sur leurs terrains respectifs liés au climat et à l'énergie.

Depuis plus de dix ans, les Équipes populaires accompagnent les publics précaires face aux impacts négatifs de la libéralisation du marché de l'énergie : multiplication des opérateurs commerciaux, démarchage intrusif à domicile, risques de fracture numérique suite à l'arrivée des compteurs "intelligents", etc.

L'idée clef : promouvoir les achats collectifs et l'organisation en "consomm'acteurs", plutôt qu'en simples consommateurs passifs et résignés.

À la Mutualité chrétienne, on tente de promouvoir une politique de santé/environnement en informant les membres sur les risques associés à la pollution atmosphérique et aux perturbateurs endocriniens ; avec, bientôt, au Nord du pays, un projet pilote en matière d'indoor pollution (pollution domestique).

Côté syndical, la CSC soutient sur le plan local la dynamique internationale des COP, tout en reconnaissant l'existence de tensions internes au monde du travail : comment concilier les résolutions issues de congrès récents (renoncer au pillage des ressources naturelles, promouvoir une "croissance durable", etc.) tout en revendiquant le maintien du pouvoir d'achat pour les travailleurs ?

Les jeunes organisés et combatifs (JOC), eux, lancent des actions de "désobéissance civile non-violente" pour dénoncer l'incompatibilité entre les traités commerciaux internationaux (TTIP, CETA...) avec la volonté de relocaliser les productions. Tout en prévenant d'emblée : "L'espoir d'un basculement systémique spontané est irréaliste. Il faudra l'intervention de forces sociales organisées. C'est-à-dire des travailleurs, intellectuels ou pas".